Les sports spectacle, un ersatz de pratique religieuse?

17. Actualité archives 2007



Plus que jamais, dans les bars, dans les brasseries et sur tous les écrans géants du monde, du hockey au baseball en passant par le golf, les sports spectacle se font omniprésents.

L'engouement pour les événements sportifs télévisés dépasse actuellement l'ordre rationnel des choses. Et, chaque jour, de nouveaux types de sports spectacle font leur apparition. C'est à se demander si, pour la population, les sports spectacle ne servent pas d'ersatz à la pratique religieuse.
Examinons la pertinence d'une telle hypothèse. Remontons à nos origines religieuses judéo-chrétiennes: c'était, selon la Genèse, le désir d'en savoir toujours plus mais trop qui, un jour, valut à l'humain d'être chassé du paradis terrestre et condamné aux lois pénibles du travail de la terre. Selon ce récit, par notre esprit, nous nous élevions au-dessus du règne animal mais, malheureusement, du même coup, nous ne nous mêlions pas de nos affaires et empiétions sur un terrain qui n'est pas le nôtre: celui de l'omniscience divine. (D'où l'idée du péché originel.)
Pour contrer notre inconscient collectif coupable, la religion agissait comme une sorte d'exorcisme: en soumettant entièrement notre esprit à la volonté divine, on abdiquait ainsi humblement de notre savoir devant les desseins impénétrables de Dieu et on pouvait espérer malgré tout être pardonné et sauvé le jour du jugement dernier.
Mythes purificateurs
Remarquons qu'au cours de l'histoire, l'humain a toujours eu recours à différents mythes purificateurs. À ce chapitre, la pratique religieuse n'a pas toujours constitué le seul moyen disponible en ce sens. Dans la Grèce antique, par exemple, la pratique sportive olympienne constituait également pour la population une forme de purification.
Toutefois, dans ce dernier cas, et à l'inverse de la tradition judéo-chrétienne, ce n'était pas l'âme (la raison qui abdiquait) mais bien plutôt le corps de l'athlète qui s'offrait en sacrifice à travers les affres des efforts physiques qu'il devait fournir pour emporter la victoire. Le corps meurtri de l'athlète était alors, tout comme le sera plus tard, chez les chrétiens, le corps meurtri du Christ, l'élément rédempteur. L'acte purificateur qu'exerçait l'athlète olympique était d'ailleurs si apprécié par la communauté grecque qu'on faisait de lui un demi-dieu.
Or n'est-ce pas présentement cette action purificatrice de l'événement sportif qui est en train de resurgir? Comment, par exemple, comprendre autrement l'importance démesurée que prend actuellement auprès des fanatiques de sport l'idée d'être de l'équipe gagnante? Ne peut-on pas y voir un ersatz de la pratique religieuse où on espère, tout comme autrefois, à travers une valorisation excessive de l'effort physique, être pardonné et sauvé vis-à-vis de forces supérieures occultes?
Le corps comme outil
Tout comme au temps des Grecs, l'athlète d'élite actuel cherche à accomplir un exploit remarquable non pas en faisant appel aux méandres d'une raison arrogante et suffisante mais en utilisant péniblement et à fond de train un outil bien simple et légitime: son corps.
Le sport spectacle ne garderait-il pas cette place de choix auprès des foules principalement parce qu'il est l'expression exemplaire du travailleur soumis mais acharné sur les frasques de l'intellectuel irrévérencieux? En s'astreignant volontairement en notre nom aux lois pénibles du corps, l'athlète d'élite, qu'il soit Zinédine Zidane, Michael Jordan, Alex Kovalev ou Elena Likhovtseva, ne se veut-il pas celui qui relève fièrement au plus grand plaisir de millions de spectateurs et de téléspectateurs à travers le monde le défi du châtiment originel, celui du travail physique?
Notons à cet effet comment le dur et douloureux entraînement auquel l'athlète d'élite consent ne pose aucun problème; au contraire, encouragées à fond de train par ses partisans, les blessures et les meurtrissures de son corps sont tout à son honneur et témoignent positivement de son dur labeur. S'astreindre à se défoncer physiquement pour obtenir la victoire, n'est-ce pas là, comme au temps des Grecs, le premier et seul devoir de l'athlète d'élite vis-à-vis d'un public avide de sacrifices?
Les sports spectacle seraient, à l'instar de la pratique religieuse, un baume devenu nécessaire. Dans un milieu aussi technique que le nôtre, un milieu où la raison raisonnante de l'humain prend plus que jamais toute la place et prétend tout connaître et tout contrôler, ce spectacle du dur travail de l'athlète d'élite sur son corps rappelle au spectateur sa condition originelle, celle du travailleur soumis et repentant.
Par son effort physique, l'athlète d'élite permettrait d'entrer en symbiose avec un monde où, comme humains, nous devons apprendre à garder notre place et à travailler dur. Cette place n'est pas celle où on prétend ainsi tout contrôler et tout dominer à travers un savoir arrogant mais bien plutôt celle où nous consentons à respecter humblement les lois de la nature.
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Pierre Desjardins, Auteur et professeur de philosophie, Montréal


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