Comme humains, nous avons un inconscient collectif coupable : celui qui nous pousse à questionner. C’est là le sens du mythe de l’arbre du fruit défendu, c’est-à-dire de l’arbre de la connaissance. C’est ce désir d’en savoir toujours plus, mais trop, qui fait à la fois notre gloire et notre déshonneur. Car par ce questionnement perpétuel (la connaissance), nous ne nous mêlons pas de nos affaires et nous empiétons sur le terrain des dieux.
Et même encore aujourd’hui, tout travail de la pensée reste un acte suspect. La science et l’art sont toujours au banc des accusés ! Dans l’imaginaire populaire, le savoir est même menaçant… N’a-t-on pas toujours en tête l’image du savant fou, de celui qui, comme dans le roman Frankenstein, se prend pour Dieu et crée un monstre incontrôlable ?
Habituellement, pour contrer cet état de culpabilité dû à cette quête incessante de savoir qui nous habite presque malgré nous, nous utilisons la pratique religieuse : c’est elle qui fait de nous des êtres qui, en se soumettant humblement à la volonté divine, espèrent être pardonnés et sauvés. La religion fonctionne alors comme un exorcisme : il s’agit, le temps d’une prière, de se purifier en abdiquant de son savoir devant la toute-puissance divine.
Mais la pratique religieuse n’est pas le seul instrument de purification possible. Il en a existé d’autres dans le passé. Parmi ceux-ci, citons le sport olympique.
Notons que dans l’activité olympique, ce sera le corps et non l’esprit qui, en se hissant à des degrés d’excellence inégalés, deviendra l’élément rédempteur. L’athlète se purifie et nous purifie en mettant particulièrement en valeur quelque chose que la nature lui a accordé sans condition à sa naissance : non pas un esprit rebelle, mais sa constitution physique, c’est-à-dire son corps !
En guise de repentir, l’athlète d’élite s’immolera en notre nom sur l’autel de l’effort physique. En ce sens, la purification obtenue par le sport est noble : loin d’être une forme d’humiliation, comme dans la religion, elle est l’expression d’une fierté, celle de la célébration du corps. Respectant le pouvoir et le savoir des dieux ou de la nature, l’athlète ne profane rien. Il ne questionne pas. Il ne se rebelle pas. Il ne conteste pas sa condition naturelle de mortel. Il demeure au contraire docile et se contente en toute simplicité de faire fructifier ce qu’il a reçu, son corps.
C’est d’ailleurs, notons-le, ce qui vaut en général à l’athlète d’élite la faveur des autorités en place. Car celui-ci n’est pas menaçant et les autorités savent qu’il ne conduira pas le peuple dans des zones interdites.
On remarquera d’ailleurs à ce sujet comment, dans les journaux sportifs, on ne commente pas l’événement olympique en parlant du jeu de tel ou tel athlète, mais toujours plutôt de son travail. Car pour bien remplir son rôle auprès des foules, l’athlète doit donner l’impression qu’il travaille uniquement à développer son corps. Investi de cette tâche purificatrice, il doit par exemple se soumettre entièrement à son entraîneur sans poser de questions. Et s’il a le malheur d’utiliser des ruses et, par exemple, triche ou se drogue, il subira durement l’opprobre du peuple.
Car il faut comprendre que si le sport olympique a aujourd’hui une place aussi grande auprès des foules, c’est qu’il a retrouvé son rôle d’antan : celui, tout comme dans la religion, de libérer les gens de leur culpabilité du savoir. Et cela ne dure que deux semaines. En ce sens, au moment où, plus que jamais, règnent partout la science et la technologie, avec les innombrables problèmes environnementaux qui en découlent, nous pouvons dire que l’olympisme apparaît comme un remède nécessaire. Il a retrouvé son sens d’origine : celui d’être l’expression voulue et entretenue de la victoire du corps sur un esprit toujours un peu trop prétentieux.
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Pierre Desjardins - Professeur de philosophie
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