La Fête nationale du Québec constitue toujours une occasion de choix pour s’interroger sur le mystère entourant cette société francophone qui n’en finit plus de survivre, d’abord, puis de s’épanouir en terre d’Amérique. Mieux encore, depuis la Révolution tranquille, la même irréductible société a réussi à quitter la mentalité de colonisé pour se hisser parmi les collectivités humaines enviées par la grande majorité des pays du monde.
Une telle ascension s’explique essentiellement par le recours au capitalisme d’État mis en place durant les années 1960 et complété par la réforme éducative et culturelle qui s’est étendue de 1965 - création du ministère de l’Éducation - à 1978, année de la publication de la Politique québécoise du développement culturel. On aurait alors pu croire qu’on était enfin arrivé à bon port.
Mais non. Trente ans plus tard, la mondialisation renvoie tout le monde à ses grimoires. Dans un texte qu’il signe dans Le Devoir du 23-24 juin, Gérard Bouchard tire la sonnette d’alarme sur la référence identitaire que constitue la langue française pour notre société aux prises avec la mondialisation. Après la langue « gardienne de la foi » qui a rassemblé nos aïeux depuis la Conquête jusqu’au Désormais de Paul Sauvé, et après la loi 101 qui a fait du français la langue d’une nation accueillante et inclusive, la langue française, symbole identitaire, serait aujourd’hui mise à mal par la mondialisation.
Langue et culture
La langue est certes le porte-étendard de l’identité d’un peuple. C’en est le signe le plus visible. C’est beaucoup et peu à la fois. Promouvoir l’usage de la langue en négligeant de mettre en valeur les autres signes de la culture d’un peuple compromet l’un et les autres.
Les Camille Laurin, Guy Rocher, Fernand Dumont et Pierre Lucier avaient bien exposé dans le premier tome de la Politique québécoise du développement culturel l’importance de promouvoir la cité culturelle. Visionnaires, ils définissaient la culture sous son aspect anthropologique. La culture québécoise se distingue aussi bien par son idiome que par l’architecture de ses maisons, sa mode vestimentaire, sa gastronomie, son histoire, ses traditions, ses créations artistiques, etc. Bref, « la culture tout entière est un milieu de vie. Elle ne se réduit pas à des objets de musées ou à des oeuvres de création solitaire. Si le patrimoine rassemble des signes qui rappellent un héritage d’humanité, si les oeuvres des artistes ou des intellectuels expriment la plus haute conscience de l’homme, l’ensemble de l’existence est produit de culture ». (T. 1, p. 9).
J’ajouterais que si notre culture est différente de celle de la France, ce n’est pas uniquement parce que nous avons vécu séparés sur un autre continent, durant deux siècles, mais surtout parce que nous avons dû construire notre existence en nous protégeant du froid comme d’autres se protègent du soleil, en négociant notre avenir avec les Premières Nations et en vivant des ressources du pays. Cela donne une manière de vivre, de penser, de parler unique au monde.
La langue ne peut monter seule aux barricades de la mondialisation. Ici, en Amérique du Nord, ce serait trop lui demander. La lutte est inégale. Pour réussir à nous imposer comme société originale, à défaut de souveraineté nationale, il faut opposer à la concurrence de l’anglais, lingua franca, une culture originale, forgée par des saisons bien tranchées, parlant une langue originale, portée par des créateurs capables de révolutionner les arts du cirque aussi bien que de faire essaimer l’ingénierie québécoise aux quatre coins du monde.
La culture dans la cité
Un chercheur australien a bien démontré l’importance de la culture dans la cité (Jon Hawkes, 2001). Il rappelle qu’à la suite du rapport Brundtland (1987) et du premier sommet de Rio, la plupart des pays occidentaux ont fait de l’environnement le troisième pilier du développement durable (après l’économique et le social). L’analyse de Hawkes le conduit à affirmer qu’avec l’évolution de la mondialisation et l’arrivée du millénaire, il faut ajouter au développement durable un quatrième pilier : la culture. Mais il ne s’arrête pas en chemin. Il introduit, au centre de ce « carré » du développement, l’indispensable gouvernance.
Hawkes apporte une autre particularité à son concept de culture. On y trouve aussi bien la culture « objet » que la culture « sujet ». Il avance que tout projet de développement, urbain ou national, devrait être analysé à l’aide d’une grille culturelle.
Nous y sommes. C’est la cité culturelle. La cité reflet des femmes, des hommes - des étudiants -, des familles qui l’habitent. La loi 101 a élargi la langue gardienne de la foi à la langue d’une nation, une nation qui se veut inclusive. Hawkes confirme la justesse de la vision des auteurs de la Politique québécoise du développement culturel de faire du pays, des villes et des villages qui le composent, une véritable cité culturelle. À cet égard, le défi posé à notre langue par la mondialisation pourrait et devrait passer par l’engagement des partis politiques de situer la culture au coeur de la prochaine campagne électorale. Et surtout, de considérer la culture-sujet comme la marque identitaire de notre collectivité. Le fruit sera alors mûr pour le pays.
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Yvon Leclerc - Doctorant à l’Institut national de la recherche scientifique et directeur de cabinet du ministre Camille Laurin de 1978 à 1984
La cité culturelle
IDÉES
Yvon Leclerc2 articles
Ex-directeur de cabinet de Camille Laurin de 1978 à 1984 et étudiant au doctorat en études urbaines à l'INRS Urbanisation, Culture et Société
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