Voie royale vers l’ouverture de la Constitution

Deux juristes québécois cherchent à invalider la loi sur la succession au trône

La boîte de Pandore

Québec — Des changements, somme toute anodins, aux règles de succession à la couronne britannique, donc à la couronne du Canada, pourraient forcer le gouvernement Harper à rouvrir la Constitution.
C’est du moins ce que soutiennent deux constitutionnalistes qui ont déposé jeudi en Cour supérieure une requête pour faire déclarer inconstitutionnelle la Loi sur la succession au trône adoptée par Ottawa et sanctionnée en mars dernier.
Pour changer les règles de succession de la couronne, le gouvernement Harper ne peut agir unilatéralement, comme il l’a fait, avancent Geneviève Motard et Patrick Taillon, deux professeurs de la Faculté de droit de l’Université Laval. Ottawa n’a d’autre choix que de rouvrir la Constitution en obtenant l’assentiment de toutes les provinces et du Sénat.
La Chambre des communes a adopté le projet de loi C-53 afin de consentir aux modifications, souhaitées par le gouvernement britannique, visant à permettre que l’aîné du roi ou de la reine puisse accéder au trône quel que soit son sexe. En outre, le monarque pourra épouser une personne de religion catholique romaine et non plus uniquement une personne de religion protestante. Les 16 États du Commonwealth ont été appelés à entériner ces changements.
Dans leur requête, les deux juristes affirment qu’en vertu de l’article 41 de la Constitution de 1982, tout changement à la « charge de reine » exige l’adoption de résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l’Assemblée législative de chacune des provinces, ce qui comprend l’Assemblée nationale du Québec. Ils sont représentés par Me André Joli-Coeur, l’ami de la Cour représentant le Québec dans le renvoi sur la sécession du Québec de la Cour suprême, et Me Alexandre Brousseau. Ils sont appuyés par Me André Binette, le constitutionnaliste Henri Brun et le juriste Marc Chevrier, du Département de science politique de l’UQAM.
Cette indispensable modification constitutionnelle, « c’est la voie royale pour la réouverture de la Constitution canadienne », s’est exclamé Marc Chevrier en entrevue au Devoir. « Il est quand même étonnant que le Québec ne soit pas au front. » Car à partir du moment où on rouvre la Constitution, d’autres demandes pourraient être formulées.
« Ça pose toute la question de la non-réparation à la suite de 82, croit l’universitaire. Quelle sera la position du Québec ? Est-ce qu’il veut remettre au programme la question de cette réparation, d’une part ? D’autre part, est-ce qu’il veut présenter d’autres demandes et qu’est-ce que peut, dans ce cas, faire raisonnablement un parti qui, lui, prône l’indépendance du Québec ? »

Réforme du Sénat
Ce qui vaut pour les règles de succession au trône vaut aussi pour la réforme du Sénat que veut imposer le gouvernement Harper et dont la Cour suprême doit juger de la constitutionnalité cet automne. « On a deux contournements manifestes de la Constitution de la part du gouvernement Harper, le Sénat et la couronne », a-t-il souligné. Il y voit une question de principe pour le Québec. « On lui a imposé cette Constitution, et en plus, on lui impose son non-respect. »
Si le Québec a perdu une bonne partie de son droit de veto en 1982, « il subsiste sous la forme de l’article 41 », estime Marc Chevrier. La loi adoptée par Ottawa est calquée sur un précédent survenu lorsque le roi Edward VIII a abdiqué et qu’il a fallu changer les règles de succession au trône. En vertu du Statut de Westminster, le Canada devait donner son assentiment pour qu’une loi britannique s’applique au Canada, ce que la Loi sur la succession au trône, adoptée en 1937 par le Parlement canadien, a confirmé. Or, depuis 1982, aucune loi britannique ne peut s’appliquer au Canada, a signalé Marc Chevrier.
Avec la présente loi sur la succession au trône, « le Canada revient à une position de prérapatriement et sacrifie son indépendance », croit le juriste, reprenant l’analyse de la constitutionnaliste australienne Anne Twomey. Marc Chevrier a fait d’ailleurs remarquer qu’il n’y a pas qu’au Canada que les changements à la couronne britannique posent problème ; c’est le cas en Australie, une autre fédération, où il existe, par ailleurs, un fort mouvement républicain.
La requête présente deux autres arguments pour invalider la loi fédérale. Cette loi donne l’assentiment à la loi britannique qui maintient l’interdiction faite aux catholiques, et uniquement aux personnes de cette religion, de devenir roi ou reine du Royaume-Uni, et donc du Canada. Le roi ou la reine doit aussi se joindre à l’Église anglicane. Par conséquent, le chef de l’État canadien ne peut être de foi catholique, membre de tout autre religion que la foi anglicane ou encore non croyant. Cela constitue une discrimination contraire à la liberté de conscience et de religion et au droit à l’égalité garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, avance-t-on.
Enfin, les lois fédérales doivent être adoptées dans les deux langues officielles, ce qui comprend tout document auquel la loi fait référence. Or, la loi sur la succession au trône ne contient aucune version française de la loi britannique à laquelle elle renvoie, font observer les demandeurs.


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