Vivre et travailler à Montréal : Les sirènes du Saint-Laurent

Par Valérie Lion

Immigration française au Québec


L'Express - Quelque 3 000 Français s'installent chaque année dans la métropole québécoise. Ses atouts: des conditions fiscales et économiques fort attrayantes pour les entrepreneurs, alliées à une qualité de vie urbaine assez exceptionnelle
Mercredi 1er décembre, Montréal prend ses quartiers d'hiver: la «première bordée» (neige) est annoncée. Il y a de la fébrilité dans l'air, un mélange d'excitation et d'angoisse. Heureux de voir la ville recouverte de son manteau blanc, les Montréalais sont aussi effrayés à l'idée de plonger dans cinq mois de froid et de gel. Chez les Français installés ici, le temps écoulé se compte non pas en années, mais en hivers. Jonathan, Toulousain d'origine, en est à son quarantième. Chauffeur de taxi, il s'apprête à prendre sa retraite. Mais il ne quittera pas sa ville d'adoption: «Chaque hiver est un défi. On le traverse, on survit... et on oublie, jusqu'au suivant.» Pascal et Laurence François, eux aussi venus du sud-ouest de la France, n'en sont qu'à leur cinquième hiver: «L'émerveillement est toujours là. A la première neige, nous sommes comme des gamins!» assure Pascal, 33 ans, professeur de finance à HEC Montréal, la première école de gestion francophone en Amérique du Nord. Evidemment, quand le verglas transforme les trottoirs en patinoire, le charme opère moins...
«C'est l'une des cinq métropoles d'Amérique du Nord les plus performantes pour l'emploi»
L'hiver est un cap à franchir pour les nouveaux arrivants. Pas question d'hiberner, ce serait encore plus dur. Mieux vaut rester actif et aimer la glisse: patinage au Vieux-Port, en bordure du Saint-Laurent, luge ou ski de fond sur le mont Royal, la «montagne» au c_ur de la ville, ski de piste en fin de semaine dans les Laurentides, à une heure et demie de route. En février, le festival Montréal en lumière attire une foule emmitouflée venue assister à des spectacles de rue par - 20 ou - 25 degrés! Aux plus frileux la ville souterraine offre ses dizaines de kilomètres de couloirs, permettant de passer du métro aux tours de bureaux en flânant parmi les boutiques. Le tout sans mettre le nez dehors! Nathalie Francisci a son truc pour supporter l'interminable hiver: chaque année, en mars, elle s'envole huit jours au soleil de Cuba ou du Mexique, comme bien d'autres Québécois.
C'est souvent sa seule semaine de congés: à 34 ans, Nathalie dirige Venatus, une société de huit personnes spécialisée dans le recrutement de fonctions financières et comptables. En quelques années de travail acharné, cette ex-Parisienne, mère de deux fillettes, s'est imposée dans le monde des affaires francophone, avec des clients prestigieux - la Caisse de dépôt et placement du Québec, Chanel, Transcontinental, etc. Pourtant, quand elle débarque à Montréal, le 10 juillet 1996, Nathalie met pour la première fois les pieds en Amérique du Nord. Du Québec elle ne connaît que son conjoint, rencontré en France. Elle quitte un poste de responsable du recrutement au siège des Caisses d'épargne, à Paris, et repart de zéro. «Ici, on vous donne votre chance, raconte-t-elle. Personne ne vous connaît? Vous n'êtes rien? Ce n'est pas un problème. J'ai appelé en direct des patrons de bureaux d'experts-comptables en leur proposant mes services. Quelques jours plus tard, j'ai décroché une première mission; d'autres ont suivi... Si vous travaillez fort, les portes s'ouvrent. En France, cela aurait été impossible.»
Outre la faiblesse des charges sociales et des taxes, les entrepreneurs peuvent profiter d'un bon réseau de financement. Mais le Québec n'est pas la Californie. Les fortunes se bâtissent plus lentement, et discrètement. Les Français - ils sont 3 000 à s'établir chaque année à Montréal - viennent surtout chercher une meilleure qualité de vie et une ouverture sur l'Amérique. Ils sont aussi séduits par les arguments du gouvernement québécois, soucieux d'attirer des francophones pour maintenir la communauté de langue française et répondre aux besoins en main-d'_uvre de l'économie. «La région de Montréal figure, depuis cinq ans, parmi les cinq régions métropolitaines les plus performantes en Amérique du Nord pour la croissance de l'emploi», rappelle Alan DeSousa, responsable du développement économique de la ville.
La grande séduction des études québécoises
David de Angelis, 22 ans, tout frais diplômé d'HEC Montréal, a été conquis par les études à la mode québécoise: il enchaîne sur une maîtrise d'économie financière. «Ici, je me suis mis à travailler beaucoup, non pour la gloire, mais pour les notes, raconte le jeune homme, qui a décroché des bourses d'excellence grâce à ses bons résultats. Lors d'un entretien pour un emploi, on peut me les demander, en plus du CV.» Scolarité très encadrée, cours plus interactifs, le dépaysement est total. Comme David, ils sont plus de 5 000 étudiants français à suivre chaque année tout ou partie de leur cursus au Québec, dont près de 4 000 à Montréal. Soit ils profitent de l'entente entre 200 universités françaises et la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (Crepuq) permettant l'échange durant un semestre ou deux, soit ils s'inscrivent à titre individuel, cas le plus fréquent. Ils paient alors les mêmes frais de scolarité que les jeunes Québécois - environ 1 700 dollars canadiens (1 020 ) par année.
Désireuses de recruter à l'étranger, la plupart des universités québécoises seront présentes au Salon des formations internationales de Paris, les 8 et 9 janvier, porte de Versailles: l'université du Québec, l'université de Montréal et deux de ses écoles affiliées, HEC Montréal et l'Ecole polytechnique, l'université Laval à Québec, l'université de Sherbrooke, enfin Concordia, l'une des deux universités anglophones de Montréal. Toutes seront également au rendez-vous de la Journée des universités canadiennes, au Centre culturel canadien, rue de Constantine, à Paris, le 11 janvier.
Le taux de chômage - près de 9% en 2004 - cache un marché fluide où la fidélité à l'employeur est une notion relative. «Un patron peut licencier un salarié du jour au lendemain... et un salarié peut partir du jour au lendemain», explique Nathalie Francisci. Informaticienne, Laurence François n'est jamais restée plus de deux ou trois mois sans travail. En revanche, elle a dû se mettre à niveau en anglais pour les entretiens d'embauche. Montréal, deuxième ville francophone au monde après Paris, compte en effet 20% d'anglophones et 50% de ses habitants sont bilingues.
Rivale de Québec, capitale administrative et politique de la province éponyme, Montréal a tout d'une grande métropole. Près de la moitié de la population québécoise vit dans son agglomération - 3,5 millions sur 7,5 millions d'habitants. Son ouverture sur les Etats-Unis - la frontière américaine est à une heure de voiture, New York à une heure d'avion - en fait un lieu privilégié pour les affaires. Le Grand Montréal génère 50% du PIB québécois avec la plupart des industries de pointe du Québec: aérospatiale, pharmacie, biotechnologies, technologies de l'information et de la communication. Quelque 280 filiales de sociétés françaises sont implantées à Montréal, au premier rang desquelles Air liquide, Aventis, Axa et L'Oréal, qui y ont situé leur siège canadien. Mais «la plupart d'entre elles embauchent des locaux», précise Marc Bouteiller, chef de la Mission économique de Montréal.
La ville concentre aussi 25% des dépenses canadiennes en recherche-développement industrielle et 20% de la recherche universitaire du Canada. Les scientifiques y sont nombreux... et heureux. Véronique Brechler, une Clermontoise venue - voilà dix ans - accomplir son postdoctorat à l'Institut de recherches cliniques de Montréal, ne devait y rester... qu'un an. Elle travaille à présent dans une société de biotechnologie. Son compagnon, Guillaume Lesage, a facilement déniché un postdoctorat en biologie à l'université anglophone McGill, après une thèse à l'université de Montréal. Tous deux ont renoncé à obtenir un poste en France, où «les concours sont très politiques et les financements réduits», déplore Guillaume.
L'origine ou le diplôme pèsent moins que la compétence et l'expérience
Pascal François, lui, a d'emblée cherché un emploi hors de France et a profité d'une offre d'HEC Montréal. Pour un salaire annuel de 100 000 dollars canadiens avant impôt comme professeur agrégé, il donne une centaine d'heures de cours par an, ce qui lui laisse le temps de mener à bien ses travaux de recherche. «En France, dit-il, je disposerais d'un salaire décent comme professeur en école de commerce, mais je serais écrasé d'heures de cours; à l'université, je serais mal payé tout en ayant peu de moyens pour la recherche.» Autre argument de poids: le congé fiscal, accordé aux chercheurs étrangers pour une durée de cinq ans suivant leur arrivée, fait tomber le taux d'imposition de 40 à 20%.
Recherche, enseignement, mais aussi services aux entreprises, commerce, soins de santé: les trois quarts des emplois se trouvent dans le secteur tertiaire. Certaines professions, telle celle d'infirmière, sont particulièrement recherchées. Joséphine Millet, 26 ans, est arrivée de Strasbourg en novembre 2003 avec un contrat d'un an, renouvelé depuis. Elle vient d'être titularisée aux urgences de l'hôpital Saint-Luc, après avoir réussi l'examen qui lui assure la reconnaissance de son diplôme.
Malgré ses trois ans d'expérience dans l'Hexagone, «la petite Française» a dû s'adapter à une nouvelle organisation: moins d'autonomie dans ses fonctions, plus d'individualisme dans les équipes. Elle a aussi compris que les postes de jour ne s'obtiennent qu'à l'ancienneté: à moins de dix ans, aucune chance! Joséphine enchaîne donc les services de nuit, de 20 heures à 8 heures...
Quel que soit le secteur ou le métier, l'adaptation professionnelle demande un effort. «Je me suis retrouvé à travailler en français dans un environnement anglo-saxon, raconte, amusé, Jean-Pierre Sablé, consultant chez Capgemini Canada. Avant, c'était plutôt l'inverse.» Mais l'usage de la langue commune est un piège: elle conduit souvent à oublier que les Québécois sont avant tout des Nord-Américains. «Ici, on se tutoie, mais cela ne signifie pas que la distance est abolie, ni qu'on peut tout dire, poursuit Jean-Pierre. Il faut savoir insister sur les éléments positifs plutôt que sur les éléments négatifs.» Résultat: des relations professionnelles beaucoup plus consensuelles dans la forme, mais une grande exigence sur le fond. L'origine ou le diplôme pèsent moins que l'expérience et la compétence. Au final, seul le résultat compte.
Provinciaux frustrés ou Parisiens exténués par les cadences infernales de la capitale française, tous plébiscitent la vie à Montréal. La journée démarre tôt, vers 8 heures-8 h 30. La pause déjeuner est rapide, mais la soirée n'est pas sacrifiée à cause d'horaires à rallonge. «Les journées de travail sont intenses et efficaces mais raisonnables en durée, assure Véronique Brechler. Guillaume et moi avons des boulots passionnants et, en même temps, notre vie familiale est préservée.» Ils quittent rarement le bureau après 17 h 30 pour aller chercher leurs deux enfants, Agathe et Léonard, à la garderie, dont les portes ferment à 18 heures.
«Les journées sont mieux équilibrées», confirme Pascal François, qui, avec sa compagne, profite à fond de la vie montréalaise, entre activités sportives et sorties au restaurant: «Nous pouvons programmer des loisirs pendant la semaine et prendre moins de vacances dans l'année.» A part la trêve des fêtes de fin d'année (les entreprises ferment souvent entre Noël et le jour de l'An), les grandes vacances ne dépassent pas deux semaines l'été, à moins d'avoir négocié à l'embauche une troisième, voire - pour les plus chanceux - une quatrième semaine de congés... Sauf qu'à Montréal, la journée de travail finie, on peut vite se sentir en vacances!
Outre le mont Royal et ses chemins de forêt, les parcs et les jardins ne manquent pas. Les îles sur le Saint-Laurent offrent espaces verts, pistes cyclables, et même des plages. En mai, quand la neige a disparu, le vélo est roi. L'été, la température grimpe allègrement au-dessus des 30 degrés. Les festivals envahissent les rues: jazz, humour, chanson, il y en a pour tous les goûts et tous les soirs... L'offre de spectacles est riche et accessible: «Il est possible d'acheter des places au dernier moment. Les prix sont corrects; les déplacements, faciles», énumère Jean-Pierre Sablé, Montréalais depuis trois ans et demi. Au printemps, Montréal va inaugurer sa Grande Bibliothèque: un immense bâtiment de verre où plus de 4 millions de documents seront gratuitement accessibles. L'occasion pour la ville de confirmer ses ambitions culturelles et de démarrer en beauté une année de manifestations littéraires, l'Unesco l'ayant choisie comme capitale mondiale du livre pour 2005.
Une ville animée mais sûre. Les cultures et religions y cohabitent sans tensions
Montréal attire chaque année plusieurs dizaines de milliers d'immigrants, d'Asie, du Moyen-Orient et d'Afrique. Elle n'est plus seulement une ville bilingue, où francophones et anglophones se côtoient dans une ambiance pacifiée, trente ans après la lutte pour imposer le français dans la vie publique. Elle compose une véritable «courtepointe» (patchwork) de nationalités. La communauté française - ils sont 40 000 immatriculés au consulat général de France à Montréal et 85 000 à vivre dans le Grand Montréal - n'est qu'une parmi beaucoup d'autres - italienne, haïtienne, libanaise, etc. L'intégration est plutôt facile, à condition de ne pas jouer son «maudit Français», c'est-à-dire de râler pour un oui ou pour un non, ou de pécher par snobisme. «C'est comme une grande ville de province dans un contexte international, résume Nathalie Francisci. Une terre d'immigration où les barrières sociales sont assez faibles.»
Animée mais sûre, la métropole québécoise est très prisée des familles en quête de tranquillité urbaine. Les multiples cultures et religions cohabitent sans tensions. «Dans la rue, toutes les cabines téléphoniques sont à pièces, et elles fonctionnent», relève Véronique Brechler. Rentrer chez soi à 3 heures du matin, après la fermeture des bars, n'est pas inquiétant. Chaque jour, quelle que soit l'heure (et la température), Joséphine se rend à pied à l'hôpital, distant d'à peine vingt minutes de son domicile. «La ville est accueillante, conviviale, chaleureuse, sans agressivité, assure-t-elle. On s'y sent tout de suite bien, on apprend à se détendre.» Comme beaucoup de Français, elle a été séduite par la facilité du quotidien: faire ses courses le soir ou le dimanche, régler rapidement des problèmes administratifs, se loger, tout est simple. Et plutôt abordable, moyennant quelques compromis. Le vin et le fromage sont chers? «On mange moins de fromage, et ce qu'on économise sur l'essence, on le récupère sur le vin!» glisse Pascal François.
Si les prix de l'immobilier ont connu une envolée ces deux dernières années, ils restent raisonnables. Le marché locatif est dynamique: chaque 1er juillet, les baux peuvent changer de main. La colocation est très répandue chez les étudiants ou les jeunes célibataires, qui trouvent facilement à se loger pour 400 à 500 dollars (240 à 300 ) mensuels par personne. Non loin du centre-ville, au pied de la montagne, le Plateau Mont-Royal, quadrillé de rues arborées et colorées, est le quartier préféré des Français. A l'achat, les prix s'échelonnent entre 200 000 et 450 000 dollars canadiens (120 000 et 270 000 ). Véronique et Guillaume viennent d'acquérir pour 350 000 dollars (210 000 ) une maison en duplex de 150 mètres carrés, jardin et terrasse compris, à deux pas du métro et des commerces. Pascal et Laurence François ont jeté leur dévolu sur un «condo» neuf (appartement dans un petit immeuble) de quatre pièces pour 230 000 dollars (140 000 )!
Le couple se sent si bien à Montréal qu'il a demandé la citoyenneté canadienne. «Nous n'avons pas encore testé les points faibles de la société québécoise, notamment les systèmes éducatif et sanitaire», reconnaît cependant Pascal, futur papa. Les garderies publiques offrent des places à 7 dollars par jour, mais les listes d'attente sont très longues. La garderie privée coûte 135 dollars par semaine pour un enfant. L'école publique est gratuite, mais, pour un enseignement «à la française», il faut compter entre 1 000 et 1 400 dollars par trimestre par enfant dans l'un des deux collèges français de Montréal, Stanislas ou Marie-de-France. Enfin, en cas de maladie, l'absence de médecine de ville oblige à se rabattre sur les cliniques médicales sans rendez-vous, aux horaires d'ouverture limités (9 heures-16 heures) ou aux urgences des hôpitaux, débordées. Autant de difficultés qui n'ont jamais découragé Véronique et Guillaume: «Tous les deux ou trois ans, nous remettons en question notre choix et, chaque fois, nous finissons par rester!»
Post-scriptum
655 000 emplois sont à pourvoir au Québec d'ici à 2007, d'après le ministère québécois de l'Emploi: 285 000 liés à la croissance économique et 370 000 dus aux départs à la retraite. Le détail des 150 métiers et professions offrant les meilleures perspectives est disponible sur www.emploiquebec.net


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