En réaction au texte de M. Yann Takvorian, "Des mouches et du vinaigre"

Des mouches et des vautours

J'ai bien peu de sympathie pour vos états d'âme.

Immigration française au Québec


J'ai relu, plusieurs fois, avec une colère à peine contenue, votre opinion sur l'immigration au Québec. Je ne connais pas la nature de votre expérience ici, mais à la lecture de votre texte, il convient de dire qu'elle fut décevante. Le climat, le système de santé dégradé, les affres du séparatisme, les ordres professionnels sectaires, le marché de l'emploi protectionniste. Diantre! Rien n'y fit, comme on dit si bien. Alors vous êtes rentré, avec femme et enfants désabusés, en Provence.



J'ai bien peu de sympathie pour vos états d'âme. Car, je dois le préciser, le ton de vos propos me fait vous définir non pas comme un immigrant, mais plutôt comme un opportuniste. Quelle énorme différence entre ces deux arrivants venus d'ailleurs. L'un vient chercher mieux, pour lui-même et ses enfants. Il part d'un endroit où son avenir, sa sécurité, sont souvent menacés, ses ambitions impossibles à réaliser. Il faut renier beaucoup pour émigrer, laisser sa patrie, sa famille, et refaire ailleurs sa vie. Désespoir, puis espoir, nouvelle vie, compromis. Ces gens-là, les immigrants, sont bienvenus ici, M. Takvorian. Et vous le savez. Nous côtoyons ces gens avec grande ouverture, tentons de découvrir leurs coutumes, d'apprendre de leurs expériences. Nous achetons de leurs commerces, testons leur cuisine, les intégrons dans nos écoles, respectons leurs croyances spirituelles. Nous les aimons comme voisins, collègues, amis, gendres et brus Car même si tout n'est pas parfait en cette terre d'Amérique francophone, il suffit d'avoir un tant soit peu voyagé pour bien réaliser que le racisme, l'exclusion, le sectaire se sont définis ailleurs qu'ici.
Je suis président de l'un de ces syndicats sectaires que vous décriez. Nous manquons d'anesthésiologistes au Québec, alors nous avons décidé de favoriser l'installation de nos collègues étrangers dans les régions en pénurie. Opportunisme direz-vous? Peu m'importe. Cette initiative a permis à plusieurs communautés d'être mieux desservies, et à plusieurs nouveaux arrivants de mettre en valeur leur savoir-faire et leur compétence. Nous avons mis en place les mécanismes visant à favoriser l'évaluation, la venue et la reconnaissance des compétences de nos collègues étrangers, et j'en suis très fier. Alors quand on me dit que le Québec n'a rien à offrir, je fulmine. Je connais très bien les barrières qui existent ailleurs, et en particulier en France, pour limiter la mobilité des professionnels venus d'autres pays. Vous savez très bien que si j'essayais de m'établir comme professionnel dans votre belle Provence, le sectarisme et le protectionnisme se manifesteraient dans leur plus éclatante efficacité et je retournerais, gros Jean comme devant, dans ma belle province... Côté ouverture, nous n'avons rien à envier à qui que ce soit. Bien sûr, tout n'est pas parfait, mais on y travaille.
Nous aimons ces gens
Mon propos est qu'il convient de bien distinguer l'immigrant et l'opportuniste. L'immigrant repart à neuf. Il vient s'installer pour refaire sa vie avec l'espoir de faire mieux. Celui-ci arrive avec le respect de sa terre d'accueil, et espère le respect de ses racines et de ses traditions. Il ne vient pas tout prendre. Il espère pouvoir donner, contribuer, de par sa différence, à faire évoluer son hôte. N'osez jamais dire, M. Takvorian, que cette personne n'est pas bienvenue au Québec. C'est faux. Nous aimons ces gens. L'opportuniste, par ailleurs, est d'une toute autre nature. Celui-ci arrive sur une terre à exploiter. Très conscient de ses compétences et capacités, il vient réaliser un potentiel. Culture, traditions ou terre d'accueil ne sont que concepts éculés et anachroniques. Ce n'est pas ce qu'il recherche, l'opportuniste ne se satisfait que de la réalisation de ses propres ambitions. Alors, Québec, Ontario, Alberta, Californie, Chine, Argentine ne sont que des destinations. Le plus offrant se gagnera le coeur et les faveurs de l'opportuniste. L'opportuniste qui échoue fait porter le blâme aux traditionnels démons du nationalisme et de l'exclusion. Ne tentez pas de confondre immigration et opportunisme, M. Takvorian. Vous faussez le débat.
Je veux ajouter en terminant que je n'ai rien contre les opportunistes. Plusieurs d'entre eux réussissent, restent dans leur terre d'accueil et, eux aussi, nous font évoluer. C'est la nature des sociétés ouvertes d'intégrer les éléments progressistes et dynamiques, tout autant que les gens différents de race, de religion, de couleur ou de croyance. Tous sont bienvenus, en cette terre d'Amérique francophone. Il s'agit, simplement, de nous respecter autant que, nous-mêmes, nous respectons les nouveaux venus.
(En réaction au texte de M. Yann Takvorian, "Des mouches et du vinaigre", publié dans nos pages mercredi.)
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Pierre Fiset

L'auteur est président de l'Association des anesthésiologistes du Québec.

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