Vivre ensemble

11 septembre 2001



Cinq ans après les attentats du 11 septembre 2001, la planète tangue entre deux attitudes: maintenir un climat de guerre larvée contre l'hydre du terrorisme; ou, comme on le suggère dans une partie de la presse américaine, déclarer victoire contre cet ennemi informe et diffus pour recommencer à vivre normalement.
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Personne ne peut nier la persistance du terrorisme. Si, depuis l'écrasement spectaculaire de quatre avions détournés par 19 jeunes islamistes en 2001, aucun attentat ne fut perpétré en territoire américain, il y eut ceux de Bali, de Londres et de Madrid entre autres. Cependant, les meilleurs spécialistes relativisent aujourd'hui la force de frappe de mouvements comme al-Qaïda, dont les erreurs furent nombreuses et la capacité fonctionnelle, largement affaiblie.
Dans un livre bref destiné au grand public (Le 11 septembre 2001 cinq ans plus tard, Septentrion), le professeur Charles-Philippe David et les chercheurs de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM, montrent, chiffres à l'appui, que «la menace terroriste à laquelle les pays occidentaux font face n'est pas véritablement plus importante que par le passé». Quant aux États-Unis, «ils sont certes plus puissants, mais à bien des égards moins libres d'agir».
Au terme d'une vaste enquête menée pour le magazine américain Atlantic Monthly (des entrevues menées avec plus d'une soixantaine d'experts), le journaliste James Fallow conclut que la meilleure façon d'alléger encore davantage la puissance des mouvements extrémistes, est d'opérer une désescalade dans le discours. «La guerre encourage la division simpliste du monde entre alliés et ennemis. Cette polarisation donne à des groupes terroristes dispersés une unité qu'ils n'auraient pas pu réaliser par leurs propres moyens.»
En perpétuant la rhétorique de la guerre globale, Washington et ses alliés (dont le gouvernement du Canada) confortent Oussama ben Laden et ses acolytes dans une position de puissance aux yeux des peuples musulmans, surtout auprès des extrémistes qui rêvent de djihad global et entretiennent l'illusion de pouvoir détruire la superpuissance américaine. Chaque menace terroriste devrait donc être traitée individuellement.

Les spécialistes consultés par Fallow montrent que la réponse au terrorisme a été, ces dernières années, plus destructrice que les actes terroristes eux-mêmes, en nombre de morts en Irak et en Afghanistan seulement, mais aussi par les sévères restrictions aux libertés individuelles imposées aux citoyens des pays occidentaux. La réaction israélienne à l'enlèvement de deux soldats par le Hezbollah en juillet dernier en est un autre exemple éloquent.
En outre, dans cette tentative suicidaire de mener une «guerre globale» contre un ennemi qui ne l'est pas, les États-Unis ont perdu leur autorité morale, non seulement dans les zones du monde où l'islamisme fleurit sur la haine du Yankee, mais aussi auprès de leurs alliés : Abou Ghraïb, Guantanamo, les prisons secrètes de la CIA, les erreurs en Irak, l'unilatéralisme anti-européen, ont affaibli le pouvoir d'influence (soft power) des États-Unis sur le reste du monde.
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Cette attitude a, par ricochet, atténué la cohésion occidentale et fait perdre confiance dans notre civilisation même, déjà ébranlée par d'autres faillites morales.
Le rejet massif de la religion dans nos contrées n'est peut-être pas non plus étranger à notre difficulté de saisir l'importance que celle-ci peut représenter pour des peuples qui nous sont de moins en moins inconnus à cause de l'immigration.
Les conflits meurtriers qui ensanglantent la planète ne sont pas les nôtres uniquement parce que la télévision nous fait partager instantanément toute la souffrance du monde. Ils se reproduisent dans nos villes où des imams invitent de jeunes hommes à combattre la civilisation qui, pourtant, leur donne accès, par exemple avec l'éducation, aux instruments de leur liberté. Et où des rabbins, plus soucieux de la perpétuation de leur secte, privent leurs enfants de la rencontre avec l'Autre et d'une éducation normale qui ouvre les horizons.
La mondialisation renvoie les nations à elles-mêmes.
Le défi lancé aux Occidentaux par les attentats du 11 septembre 2001 n'est pas neuf : comment allons-nous vivre ensemble, égaux et différents ?
Ce défi, nous ne pourrons, à notre niveau, le relever qu'à deux conditions.
D'abord, il faut, certes, reconnaître la différence, la comprendre et l'accepter.
La deuxième condition n'est pas moins importante. À l'heure d'aujourd'hui, elle devient peut-être même impérieuse. Il faut reconnaître dans notre pays l'existence d'une majorité, de ses valeurs, qui s'enrichissent ou évoluent par métissage, certes, mais qui constituent le corps principal d'intégration à la société d'accueil.
Cette reconnaissance de la majorité doit venir d'abord de la majorité elle-même. L'Occident doute de lui-même, et le Québec n'échappe pas, à son échelle, à ce douloureux sentiment. Comme collectivité, nous avons de plus en plus souvent l'impression d'avoir perdu toute stature morale (je ne parle pas ici de moralisme), fondement du respect de soi-même. Il faut commencer par reprendre confiance en notre légitimité.
Dès que nous nous serons réconciliés avec notre identité (je crois que nous sommes en train de le faire par nos débats sur le développement durable, l'éducation, les jeux de hasard, la pérennité des services publics et par les appels à la responsabilité lancés par les jeunes...), celle-ci sera d'autant plus accueillante et s'imposera d'elle-même.
À ces deux conditions, nous pourrons plus aisément accueillir l'Autre et appliquer, ensemble, des règles : pratiquer l'accommodement raisonnable, refuser les tribunaux islamiques; accepter la différence, refuser catégoriquement la haine. Seuls les extrémistes en souffriront. Ils auront perdu, à leur tour, toute autorité morale.
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michel.venne@inm.qc.ca

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Michel Venne35 articles

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Directeur général Institut du Nouveau Monde

Michel Venne est le fondateur et le directeur général de l’Institut du Nouveau Monde. Il est le directeur de L’annuaire du Québec, publié chaque année aux Éditions Fides. Il prononce de nombreuses conférences et est l’auteur de nombreux articles scientifiques. Il est membre du Chantier sur la démocratie à la Ville de Montréal, membre du comité scientifique sur l’appréciation de la performance du système de santé créé par le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec, membre du conseil d’orientation du Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques favorables à la santé, membre du conseil d’orientation du projet de recherche conjoint Queen’s-UQAM sur l’ethnicité et la gouvernance démocratique.





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