Préparant un numéro de la revue TOUDI que je dirige (qui est surtout maintenant sur la toile), je reçois une proposition d'une jeune Marocaine qui désire s'exprimer sur l'Islam en Wallonie. Cela tombait bien parce que j'avais déjà sollicité une interview de Luc Dardenne à propos de son dernier livre Sur l'Affaire humaine (qui est un plaidoyer pour une forme d'athéisme), et de Camille Focant qui est un des meilleurs exégètes de langue française, spécialiste notamment de l'évangile de Marc.
Le politiquement correct et Saint Nicolas
Tant en Wallonie qu'en Flandre et dans d'autres pays comme l'Autriche par exemple, quand reviennent les cadeaux de décembre, ce n'est pas d'abord le Père Noël que nous fêtons mais Saint Nicolas, le patron des enfants sages. C'était un évêque d'Asie mineure. Il nous arrivait dans nos classes d'écoles primaires accompagné du Père Fouettard que l'on nomme en néerlandais Zwarte Piet, ce qui a amené je ne sais quelle commission de l'ONU la semaine passée à poser la question du racisme de cette tradition : du politiquement correct qui semble une perte de temps par rapport aux vrais problèmes que posent le racisme et l'intégration.
C'est vrai que le Père Fouettard-Zwarte Piet est noir, mais c'est un peu la dualité entre le Bon et le Mauvais que le Père au fouet symbolisait à nos yeux, pas son origine africaine (ou les deux registres du sacré, effrayant et fascinant). Rentré à 5 ans à l'école primaire, croyant encore à Saint-Nicolas, je me posais la question du retour de l'au-delà d'un personnage pareil et il me semblait qu'il aurait fallu l'interroger sur cela.
A l'université de Louvain, il était permis que le grand saint interrompe les cours. Mais un professeur facétieux s'était permis, avant d'abandonner son pupitre, de poser des questions bien précises à Saint-Nicolas (d'où venait-il?comment son retour sur terre était-il possible? etc.), et le personnage qui le jouait était plus qu'embarrassé. Dans mon école primaire, quand je sus que Saint Nicolas était une légende, j'appris que le Père Fouettard était une dame célibataire encore jeune et très originale du nom de Lily.
Il n'y a pas d'antiracisme logique mais trafique : la fraternité
Mais si le politiquement correct est absurde, il convient de lui opposer la fraternité. A mon sens, comme le montre Taguieff, on ne peut pas se contenter en ces matières de l'idée que les hommes sont semblables, ce qui d'ailleurs n'implique pas la fraternité de soi, ni même l'antiracisme de soi.
Il y a un racisme qui prône un seul modèle d'humanité (universel), tablant au fond sur l'identité entre tous les hommes et qui en exclut pourtant d'autres êtres humains. C'est l'impérialisme occidental à quoi ont dû s'opposer les peuples du tiers monde insistant sur le fait que les hommes sont différents, radicalement.
Position qui a à son tour peut nourrir certaines formes de racisme estimant que les hommes ne doivent pas se mélanger et qu'il faut garder des races pures ou des ethnies pures.
Ce qui amène à cette conclusion chez Taguieff qu'il faut tenir ensemble que 1. les hommes sont semblables et que 2. les hommes sont différents. Aucun humanisme ne peut nier l'une ou l'autre proposition alors que pourtant les tenir ensemble est une contradiction logique.
Par conséquent l'unité humaine est tragique, ce qui, si l'on peut dire, n'a rien de dramatique dans la mesure où la rencontre de l'autre ne va pas de soi et est toujours tragique. C'est l'uniformité humaine qui serait dramatique.
Intégrés mais toujours discriminés
La première page du journal flamand De Standaard ce matin reproduit des photos de Flamands d'origine étrangère mais reconnaissables à leurs traits physiques : l'un s'étonne qu'étant né et ayant grandi à Neerpelt, on le félicite toujours pour son néerlandais parfait. Une autre portant un beau voile qui l'avantage, s'étonne que les vieilles dames serrent de plus près leur sac à main quand elle les croise dans la rue.
Un troisième raconte que lorsqu'il était étudiant, il tenait pour payer ses études, un bar où l'on vendait des boissons alcoolisées, mais lui-même ne buvait jamais de tels breuvages et on s'étonnait qu'ils n'en prennent pas quand on lui en offrait un. Alors il se servait un cocktail qui avait l'apparence de l'alcool, mais n'en était pas.
Pour ma part, je pense sincèrement que les personnes d'origine maghrébine représentent de moins en moins un danger pour les pays européens si elles en ont jamais présenté un, ce dont je doute fort. Lorsqu'une personne d'origine marocaine à Liège a ouvert le feu sur les gens dans la rue, l'une des victimes était elle-même d'origine maghrébine, un jeune garçon qui fréquentait un collège catholique. Et tout le collège est allé en groupe à ses funérailles à la mosquée où le professeur de religion catholique du collège a été invité à prendre la parole.
Nous avons besoin des étrangers
Nous avons besoin de tels exemples dans un pays comme la Belgique. S'y élaborent en effet depuis longtemps des identités liées à la culture mais aussi au territoire, l'économie, les moeurs. Et dans cette multiplicité dominée par la grande dualité wallo-flamande, certains esprits que je n'hésite pas à considérer comme pervers (même si peut-être parfois inconsciemment), ont eu tendance à considérer que la seule identité partageable était l'identité belge, le fait de se dire wallon ou flamand étant, à leurs yeux, une façon d'être raciste et xénophobe.
Il y a d'ailleurs eu un parti en Flandre dont le nationalisme a épousé le rejet des étrangers. Le tort fait à la Flandre par ce parti est immense. Et d'une manière générale à tous ceux qui pensent qu'à la Belgique devrait se substituer une confédération entre quatre entités, la Wallonie, la Flandre, la Région de Bruxelles et la petite Communauté de langue allemande à l'est d'une des cinq provinces wallonnes.
Bien entendu le politiquement correct belge entretient toujours la confusion à ce propos. L'existence d'une multiplicité engendre toujours des conflits, les Québécois le savent autant que les Wallons. Et tout être humain sensé. Toute entité est aussi opposée aux aux autres, à commencer par l'entité individuelle.
Et dans un conflit, il convient d'aller jusqu'au bout, ce qui implique parfois que l'on doive être dur à l'égard d'un autre groupe. On en revient là au fond au tragique de l'unité humaine qui ne pourra jamais être sans conflits, ce qui ne signifie pas nécessairement des conflits violents ou haineux, mais des conflits avec la peine qui s'y ajoute. Qui sont structurants d'humanité, c'est ainsi et donc aussi de fraternité. Il implique donc qu'à l'instar des Bruxellois par exemple, les Wallons et les Flamands se veuillent des sociétés profondément mélangées et métissées. Elles n'ont d'ailleurs même pas à le vouloir, elles le sont effectivement, ce n'est pas réservé à ce qui nous sert encore de capitale, une capitale que Wallons et Flamands n'aiment guère, mais pas parce qu'elle serait «impure».
Les Wallons exclus de certaines informations
Ayant résidé toute sa vie à Bruxelles, il éprouvait toujours bien des réticences à l'égard de cette exclusion des Wallons et des Flamands par la capitale.
La chaîne de télévision francophone, la RTBF qui est une chaîne publique mal financée, c'est vrai, tendant courageusement de se maintenir, c'est vrai aussi, certainement désireuse de rester ouverte à la Wallonie (80 % de son public), me semble avoir un jour livré le fond de sa pensée, lorsque son administrateur général a osé prétendre (il y a dix ans) : « La RTBF a une mission de service public de et dans la Communauté française. C'est notre cahier des charges. On a donc vocation à être la vitrine culturelle de cette Communauté et à en être proche. En tant qu'acteur déterminant de cette Communauté, la Wallonie doit donc avoir une place sur nos antennes... »[[Il est d'ailleurs frappant que même pour la Communauté, Philippot ne dit pas que la RTBF est sa télévision, mais qu'elle doit en être «proche», ne pouvant donc pas trop se commettre avec les simples mortels...]]
Certains amis de Bruxelles m'ont dit à ce propos qu'il s'agissait de sa part d'une maladresse. Je ne le crois plus.
Quand on vous dit, malgré l'énormité du propos tellement la chose est évidente, que vous resterez des nôtres ou que vous l'êtes, c'est probablement que nous ne l'êtes pas ou plus. qui est aussi un observateur implacable du monde social note un incident significatif à la sortie des funérailles d'un personnage de Pierres noires : Les Classes moyennes du Salut, le comte de Brugnes, banquier ruiné au jeu et qui s'est suicidé. Sa ruine a comme conséquence que sa famille est déclassée, notamment sa très jolie fille qui était en quelque sorte promise au fils aîné de la famille Plazenat. Mais la mère de ce jeune homme dit, bien haut, à celle-ci qu'elle et sa mère compteront toujours au nombre des amis intimes de sa propre famille. Ce qui est rapporté au narrateur par une religieuse ne voyant pas que la séparation de Jacqueline d'avec la grande bourgeoisie commençait pas ces mots protecteurs : «la religieuse en était dans son inconscience un témoin d'autant meilleur» ajoute Malègue (Pierres noires : Les Classes moyennes du Salut, Spes, Paris, 1958, p. 587).]]
C'est d'ailleurs la même chose que lorsque certains disent que les personnes d'origine étrangère ont «une place» en Wallonie. Il ne faut pas accepter de tels propos qui déshonorent ceux qui les entendent mais bien plus ceux qui les tiennent.
Vivent les Maghrébins de Wallonie!
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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