La rareté de logements s’aggrave dans plusieurs villes du Québec. Dans la région de Montréal, le taux d’inoccupation a baissé une nouvelle fois cette année, atteignant son niveau le plus bas en 15 ans. Déjà, des associations de locataires pressent Québec d’agir pour éviter la « crise » le 1er juillet.
« Il y a vraiment lieu de s’inquiéter que des gens se retrouvent à la rue, lance d’emblée Maxime Roy-Allard, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ). Est-ce que des mesures d’urgence seront implantées plus rapidement cette année ? Parce qu’il faut prévoir une crise plus importante encore. »
La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) a dévoilé mercredi son plus récent rapport sur l’état du marché locatif à travers le pays. Résultat ? Le portrait s’est assombri un peu partout au Canada, y compris au Québec. Plusieurs villes de la province ont un taux d’inoccupation sous la barre des 3 %, un seuil synonyme de marché équilibré selon la SHCL (voir encadré).
À Québec, la proportion de logements disponibles est de 2,4 %, comparativement à 3,3 % en 2018. À Gatineau, elle est plus basse (1,5 %), et encore plus à Drummondville, où le taux d’inoccupation est de 1,1 %.
Quant à la grande région de Montréal, elle a atteint son plus bas taux d’inoccupation en 15 ans, soit 1,5 %. Elle avait pourtant déjà connu un creux historique de 1,9 % en octobre 2018. Sur l’île même, ce chiffre est de 1,6 %, légèrement plus élevé qu’en banlieue (1,2 %).
Or, le locatif est ce qui se construit le plus à Montréal depuis quatre ans, fait savoir au bout du fil Francis Cortellino, économiste à la SHCL. « Beaucoup plus que le condo. »
Ce marché connaît en effet depuis deux ans un véritable boom de mises en chantier, une première depuis la fin des années 1980. L’an dernier seulement, quelque 11 000 nouvelles unités sont apparues sur le territoire de la métropole — excluant les résidences pour aînés.
Pourtant, le taux d’inoccupation ne cesse de baisser depuis trois ans. L’offre ne suffit tout simplement pas à la demande « très, très forte », répond M. Cortellino.
Montréal accueille un nombre croissant d’immigrants, surtout des résidents non permanents. Cela comprend des demandeurs d’asile, des étudiants étrangers et des travailleurs temporaires. Une clientèle qui se tourne majoritairement vers les appartements à louer plutôt que vers des propriétés à vendre.
La propension plus grande chez les moins de 35 ans de rester locataire, réticents sans doute à l’idée d’acheter en pleine surchauffe immobilière, y joue aussi pour quelque chose. De même que le vieillissement de la population, ajoute Francis Cortellino
Loyers
À Montréal, ce sont les appartements de trois chambres et plus qui sont les plus durs à dénicher, avec un taux d’inoccupation sous la barre du 1 % (0,8 %). À l’inverse, les studios se font moins rares (3,3 %).
« Ce n’est pas surprenant du tout, commente Maxime-Roy Allard du RCLALQ. Car ce qui se construit surtout, dit-il, ce sont des logements petits et luxueux, question de faire plus d’argent avec davantage d’unités par immeuble.
Sans surprise, le taux d’inoccupation varie d’un quartier montréalais à un autre. Dans le Sud-Ouest par exemple, il oscille autour de 0,5 %, alors que dans l’arrondissement de Saint-Laurent, il est d’environ 3 %. Fait à noter, la SCHL n’a pas fourni un chiffre global pour beaucoup de quartiers, notamment Anjou, Montréal-Nord, Ahuntsic et Hochelaga-Maisonneuve.
« La crise est double présentement : il manque de logement, et ceux qui sont disponibles ne sont pas abordables », estime de son côté Véronique Laflamme, du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). La hausse « fulgurante » des coûts pour se loger inquiète particulièrement l’organisme.
À Montréal, le loyer moyen a augmenté de 3,9 % entre 2018 et 2019. Selon la SCHL, il en coûte désormais 660 $ en moyenne pour un studio, 761 $ pour un appartement d’une chambre, 867 $ pour deux chambres et 1129 $ pour un logement de trois chambres ou plus.
Les logements disponibles à la location sont beaucoup plus dispendieux que ceux déjà loués, estime néanmoins le FRAPRU. Bon nombre de ménages appelés à déménager — prochainement ou dans la foulée du 1er juillet — auront « très peu d’options sur la table. Les gens devront changer de quartier, changer leurs enfants d’école, quitter leur milieu de vie… », s’inquiète Véronique Laflamme.
À ses yeux, seul l'ajout de logements sociaux pourra endiguer la pénurie à moyen et long terme. L’organisme, tout comme le RCLALQ, exhorte également Québec à instaurer un contrôle obligatoire des loyers. Selon eux, une telle mesure éviterait les hausses de prix draconiennes dans la foulée de rachats d'immeubles ou de déménagements de locataires.
Une opinion qui n’est toutefois pas partagée par le directeur des affaires publiques de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), Hans Brouillette. Il faut plutôt encourager les propriétaires à garder leurs logements au sein du marché locatif, plaide-t-il, puisque « plusieurs » retirent le leur.
Et comment ? « Ça prend des ajustements à la méthode de fixation des loyers », dit-il, interpellant du même coup le gouvernement Legault. La rénovation des appartements vieillissants, par exemple, n’est pas rentable à court terme. « Actuellement, si je veux rénover un logement locatif, ça va me prendre 32 ans pour l’amortir. »
Le loyer des logements neufs est également « déconnecté » de celui des plus vieux logements montréalais, renchérit M. Brouillette. « Si vous avez une tour de logements, c’est possible que vous tiriez de bon revenus, avance-t-il. Mais pour les plus petits propriétaires, les loyers ne sont pas assez alléchants pour qu’ils aient le goût de garder leurs logements dans le marché locatif. »
Tout en qualifiant la situation de « préoccupante », la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, souligne que le taux d’inoccupation atteignait 0,6 % au début des années 2000, refusant de dire s’il y a crise — ou non — du logement.
Concernant les logements sociaux, la ministre a simplement rappelé que son gouvernement avait annoncé, en juillet, 260 millions pour le programme AccèsLogis, afin d’augmenter le nombre de logements sociaux et abordables au Québec.
« Nous poursuivons nos négociations avec le gouvernement fédéral au sujet du financement dévolu au Québec dans la Stratégie nationale du logement », a-t-elle aussi fait savoir.
Des régions sous pression
Plusieurs régions, qui connaissent déjà d’importantes pénuries de logements, ont vu leur situation s’aggraver et parlent déjà de « crise ». C’est le cas de la région métropolitaine de recensement (RMR) d’Ottawa-Gatineau dont le taux d’inoccupation de 1,5 %, identique à l’an dernier, figure parmi les plus bas au Québec.
La pénurie s’explique par l’accueil d’un bon nombre d’immigrants et les inondations, qui ont réduit la taille de son parc immobilier. Et même si plus de 3000 nouveaux logements ont été construits à Gatineau, ils ne sont pas adaptés aux besoins des familles nombreuses. « Ils vont livrer des logements d’une chambre à coucher, alors qu’on en a besoin de 3-4-5 chambres, qui sont, en plus, beaucoup trop chers pour une famille au salaire minimum », déplore François Roy, directeur de Logemen’occupe, à Gatineau.
Le bas taux d’inoccupation est aussi particulièrement inquiétant dans les RMR de Québec (2,4 %) et Sherbrooke (2,3 %), selon le FRAPRU. Normand Couture, de l’Association des locataires de Sherbrooke anticipe un 1er juillet « très problématique. »
Déjà, l’an dernier, plus d’une dizaine de familles s’étaient retrouvées à la rue le 1er juillet, sans compter celles — entre 5 et 10 — qui perdent leur logement en cours d’année. En plus de la gentrification, il dénonce la hausse des loyers, que les locataires auront du mal à absorber. « Il y a 6000 ménages locataires qui consacrent plus de 50 % de leurs revenus pour se loger, alors qu’on sait que la SCHL considère que la situation est problématique à 30 %. »
Lisa-Marie Gervais