Vendredi noir en Austérie

L’austérité pour les nuls

2e5d78f1322507af3b6eb582432c818e

L'austérité et la création de richesse

Le mois des morts se termine et je n’ai que l’austérité à l’esprit. La mort est peut-être un rien austère aussi. Du moins, elle fait dans les services essentiels non subventionnés. On quitte la scène nu comme un ver, en laissant ses dettes derrière, nos restes mortels n’intéressant plus que les cimetières.

Le trépassé est un citoyen modèle en période d’austérité. Il ne manifeste pas, ne proteste jamais, sa tête d’enterrement est pleinement justifiée, il ne coûte rien, s’adresse au privé et réussit à consommer encore post mortem, préarrangements ou pas, avec sandwichs pas-de-croûtes. Tu ne peux pas te serrer la ceinture plus que lui.

Nous ferons de bons citoyens ; le death boom s’en vient. En attendant, j’étais plutôt rassurée par l’idée d’austérité. Je la confondais avec la simplicité volontaire, me disant qu’il était temps qu’on applique une logique chirurgicale pour laisser des finances saines à nos enfants. Vous connaissez le refrain judéochrétien un rien doloriste : si ça ne fait pas mal, c’est que ça ne guérit pas.

Après avoir lu le magazine Liberté, qui consacre son dernier numéro à l’austérité, je saisis que nous sommes passés de la chirurgie à la chimiothérapie. On nous administre un remède de cheval pour notre bien, quitte à ce que nous en mourions, pour le mieux-être de… de toujours les mêmes.

Le sociologue Éric Pineault se déchaîne sur l’idéologie austérienne dans Liberté : « Il ne faut surtout pas penser qu’il est question d’un mauvais moment à passer, d’une simple traversée du désert, ou qu’on doive tout simplement se serrer la ceinture le temps d’atteindre un fantomatique équilibre budgétaire. Non, l’austérité est un levier de transformation sociale », écrit-il dans « Bienvenue en Austérie ». Selon lui, cette idéologie ne vise « rien de moins qu’une révolution conservatrice permanente ».

J’ai vérifié auprès de mon économiste de mari ; il n’était pas au fait que l’austérité est un courant idéologique. « Porter des bas bleus peut être une idéologie politique aussi ! » Et les théories du complot lui donnent de l’urticaire avancée. N’empêche, Monsieur le mari, tu ne trouves pas qu’on joue avec les allumettes ?

Quand l’austérité tue

Oui, il trouve. Ça fait des mois qu’il me prévient que ça va trop vite, trop loin, qu’on coupe trop partout et que la classe moyenne va descendre dans la rue. C’est demain, la rue, je le rappelle. À la maison, nous parlons d’hostie-rité.

L’économiste Pierre Fortin a même tiré sur l’alarme vendredi dernier à RDI Économie : le Québec risque de basculer en récession d’ici deux ans à cause des politiques d’austérité, aussi appelées plus sobrement « rigueur budgétaire » ou « consolidation ».

Rappelons ici que l’austérité appliquée un peu partout en Europe a été condamnée par le FMI (qui l’avait d’abord préconisée) comme méthode de correction économique. Loin d’atteindre les cibles souhaitées, l’austérité nuit à la relance économique et foutrait tout le monde dans le pétrin.

Moins de jobs, moins d’argent ; moins d’argent, moins de consommation ; moins de consommation, moins de jobs, et rebelote. J’oubliais : moins d’État, plus de privé. On pourrait penser que ça s’arrête là.

Eh bien non. L’austérité tue, mais il n’existe pas de cimetières pour aller pleurer les dommages collatéraux du déficit zéro. Selon les auteurs David Struckler et Sanjay Basu, deux chercheurs en santé publique, l’un à Oxford, en Angleterre, l’autre à Stanford, en Californie, l’austérité augmenterait l’alcoolisme, le nombre d’épidémies, de dépressions, de suicides.

Les deux auteurs de Quand l’austérité tue (paru en 2013 sous le titre The Body Economic. Why austerity kills) se sont penchés sur des études de santé publique étalées sur dix ans, comparant notamment l’Islande (une des plus grandes catastrophes bancaires en 2008 et un système de santé financé par l’État, comme le nôtre) avec la Grèce.

L’Islande n’a pas connu de hausse de mortalité durant ce qu’on appelle la Grande Récession, en partie parce qu’elle a mis en prison les banquiers néo-vikings et maintenu ses programmes d’aide sociale.

La Grèce, elle, avec l’austérité, a vu le taux de VIH augmenter de 200 %, le nombre de suicides doubler, le retour de la malaria… une tragédie grecque.

Les auteurs nous rappellent que plus de 10 000 Islandais sont descendus dans la rue, armés de leurs casseroles, et ont déclenché des émeutes en 2009. 3 % de la population (l’équivalent de 10 millions de personnes aux États-Unis, ou de 250 000 personnes au Québec) a eu raison du gouvernement en place, des coupes et des banquiers.

Paradis fiscaux et Black Friday

Dimanche dernier, j’assistais à un panel au Salon du livre de Montréal. Mon économiste de mari, le journaliste Gérald Fillion, l’économiste Ianik Marcil et le chercheur Alexandre Sheldon (qui a participé au livre primé par le prix Pierre-Vadeboncoeur, Paradis fiscaux, la filière canadienne, d’Alain Deneault) y discutaient d’austérité et de paradis fiscaux.

J’ai pris quelques notes dans mon calepin lorsqu’il a été question de trouver l’argent pour atteindre le déficit zéro. « De 1981 à aujourd’hui, l’impôt des entreprises est passé de 38 % à 15 %. »« On assiste à une augmentation constante des paradis fiscaux, de 1500 % depuis 20 ans. C’est désormais la norme. »« Au Canada, cela représente 50 % des transactions, soit 170 milliards de dollars en 2013. »

Vu l’opacité desdites transactions et la dématérialisation technologique, on peut soupçonner que ce montant s’avère très « conservateur ». Mais, selon des calculs de napkin sur un coin de la table, en taxant les paradis fiscaux au Québec, on comblerait le déficit annuel.

Les panélistes ont tous convenu en soupirant qu’il faudrait une volonté politique pour les éliminer. Rappelons que M. Couillard a placé des fonds dans l’île de Jersey lorsqu’il travaillait en Arabie Saoudite.

Question : quel est le seul parti, aux dernières élections, qui parlait de paradis fiscaux et dénonçait l’austérité pour valoriser la solidarité ? Il a réussi à faire élire trois députés seulement. C’est David contre Goliath.

Sur ce, je vous laisse aller profiter de ce vendredi noir dans les magasins. Ne ratez pas les soldes sur les casseroles.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->