Parents mous, enfants fous, profs à bout

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« Allô bitch ! » : il faut restaurer le principe de hiérarchie et rétablir la discipline à l'école

On dit souvent qu’il n’y a pas de job plus difficile au monde que celui de parent. Je suis d’accord. Mais il y a un boulot encore moins valorisant que celui-là : se tenir debout devant une classe de 24 enfants qui ne sont pas les vôtres. Je me prosterne devant ce mur d’enseignantes (notez le féminin) qui s’aligne dans la cour d’école chaque rentrée. Je suis béate d’admiration devant leurs 25 tentacules indépendants (notez le masculin).



Devant ces hommes aussi, mais on n’en rencontre que 12 % au primaire. Jamais vu un mec enseigner à mon B. Et c’est grand dommage, mais c’est un autre sujet.



Le sujet, c’est le décrochage de tous ces enseignants, hommes ou femmes, 25 % au primaire dans les cinq années qui suivent leur arrivée devant un tableau noir ou blanc, selon les derniers chiffres disponibles au ministère de l’Éducation (2011). Un sur quatre ! Un phénomène en progression. Si les parents décrochaient au même rythme que les profs, il faudrait un ministère des Orphelins du Québec pour pourvoir aux besoins des enfants.



Pourquoi décrochent-ils ? Non, ce ne sont pas les moisissures dans les murs ; quoique le symbole est frappant. Tous les professeurs avec qui je me suis entretenue en viennent à des constats similaires. L’Association québécoise des enseignantes et des enseignants du primaire publiera sous peu un mémoire pour appuyer leurs dires, mettant en cause la précarité, la lourdeur de la tâche, la formation inadéquate, le manque de ressources et… la discipline.



Il faut lire le livre de l’enseignante au secondaire (privé) Anne-Marie Quesnel, Parents essoufflés, enseignants épuisés, sur les répercussions d’une éducation trop laxiste pour s’en convaincre : ce sont nos enseignants qui galèrent et la transmission des connaissances qui en souffre. Si les cohortes comptaient autrefois une ou deux têtes fortes, c’est désormais la majorité qui se rebiffe et défie l’autorité, en partie parce que nous valorisons le « caractère », sans parler du sésame à la mode de « l’estime de soi ». Quand tes parents t’emmènent chez Saint-Hubert pour « acheter la paix », on peut s’attendre au pire.



Allô bitch!



« L’enseignant est perçu comme un “ ami ” dans la cour d’école. Depuis dix ans, les jeunes ont beaucoup moins de réserve envers l’adulte », constate Marie-Chantal Héroux, suppléante à la Commission scolaire des Grandes-Seigneuries, dans la région de Candiac. Quand on sait qu’ils saluent leurs amis en les traitant de « bitch » ou « pute », s’insultent ouvertement dans les corridors, et que leur conception de l’amitié est souvent dictée par les réseaux sociaux, c’est assez pour se sentir menacé. L’intimidation, on le sait, ne se limite pas aux élèves entre eux.



Après dix ans de ce régime, où elle s’occupait de plusieurs classes spécifiques une journée par semaine au primaire (une charge de 80 % qui permet au titulaire de souffler), Marie-Chantal jette la serviette elle aussi, et se réoriente vers la psychothérapie, à 42 ans : « Je n’ai jamais voulu avoir “ ma ” classe, la tâche est trop lourde. Et ce l’est de plus en plus avec les exigences des parents, les tâches administratives, les comités et réunions, le manque de respect. En plus, chaque enfant est diagnostiqué de quelque chose, devenu un cas unique. Certains parents s’attendent à du tutorat ou à ce qu’on élève les enfants pour eux ! »


 


De fait, entre les TOC (troubles obsessifs-compulsifs), les TDAH (troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité), les dyslexiques, les anxieux, les hypo ou hypersensibles, les cancres, les surdoués, les p’tits tannants qui débordent d’une énergie mal canalisée par deux cours de gym, les troubles oppositionnels et les allergiques aux moisissures, le prof doit naviguer avec des plans d’intervention sur mesure pour chacun et un monticule de paperasserie à remplir pour rassurer tout le monde. Le Québec n’a plus rien à envier à la France en termes de lourdeur bureaucratique.



Les écoles font désormais appel à des techniciennes en comportement – moins coûteuses que des psychoéducatrices – pour mettre de l’ordre dans tout ça. Et c’est sans compter que les jeunes profs inexpérimentés héritent des écoles réputées difficiles, car les anciens ont priorité. C’est comme si on demandait à un résident en médecine de procéder à une transplantation cardiaque. Seul.



On est-tu obligé, madame?



Aux dires de ceux qui ont connu l’avant et l’après, les nouvelles technologies nuisent aussi à la capacité d’apprentissage des élèves, habitués d’être surstimulés en tout temps, en dehors des heures de classe. Les enseignants peinent à maintenir leur attention plus de trois minutes, TIC ou pas. « Et puis, les jeunes enseignants ont tendance à vouloir se faire aimer, ajoute Marie-Chantal. C’est un problème en soi. » Problème auquel s’ajoutent les exigences du parent-roi qui ne tolère pas qu’on « brime » sa progéniture et conteste allègrement les directives scolaires en minant la crédibilité des enseignants auprès des élèves.



Et, comme le décrit Mme Quesnel dans son essai, plus le milieu est favorisé économiquement, plus les enseignants en arrachent avec le code de discipline. Élèves gâtés, choyés, surprotégés et insolents, le modèle fait des petits dans la classe moyenne, selon ce prof qui y enseigne depuis 20 ans.



« Le sens de l’effort a beaucoup diminué. Face à nos demandes, on entend souvent : “On est-tu o-bli-gé de le faire ?”», constate Marie-Chantal, mère de deux ados.



Mes conversations avec ces quelques professeurs qui ne se voient plus enseigner dans 20 ans m’ont fait réaliser une chose : nous élevons nos enfants seuls. L’équipe-école (!) ne fait pas forcément équipe, les parents non plus. Nous sommes loin de l’époque où le tissu social serré servait aussi de filet de sécurité moral pour tous. Chacun éduquait les enfants, qui appartenaient à tout le monde, même ceux du voisin. Paradoxalement, le message passe toujours mieux lorsqu’il est porté par un tiers.



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