Le capitalisme pour les nuls

Le cul ne mène plus le monde

Actualité - analyses et commentaires

Si la santé a été au cœur des obsessions collectives depuis 30 ans, on peut présumer que l'économie va devenir notre bobo préféré. Espérons seulement qu'elle réussira à quitter les soins intensifs après qu'un groupe multidisciplinaire se sera penché sur les entrailles du patient. Constipation chronique ou cancer colorectal, il faudra davantage qu'un lavement pour régler le problème de la crise du crédit qu'annonçait le gouverneur de la Banque du Canada cette semaine.
S'il fut un temps où l'économie était réservée aux riches, aux puissants et aux diplômés de ce monde, elle est désormais l'affaire de tous, comme la politique, sa grande soeur. Autrefois, le cul menait le monde; aujourd'hui, c'est l'économie et le PIB. Voilà pourquoi je couche avec un économiste de gauche: mon PIB est en paix avec mon cul. Berlusconi ne peut pas en dire autant.
L'économiste de gauche (peu médiatisé, peu écouté, peu crédible, sauf s'il a un passé de droite et qu'il s'est réformé après un burn-out) incarne le poète et le rêveur de cette structure complexe qui implose et explose dans tous les sens.
Ma bête économiste est un peu social-démocrate, un peu féministe et un peu onaniste. Onaniste? C'est lui qui le dit et je n'ai aucune raison de ne pas le croire. Combien de fois m'a-t-il expliqué que l'économie est devenue une science sociale surinvestie par les mathématiques, une des raisons pour lesquelles elle apparaît si complexe au citoyen lambda, qui peine à calculer les intérêts de ses placements aux rendements négatifs et à comprendre pourquoi Vincent Lacroix est déjà remis en liberté.
Les sciences économiques sont truffées de formules algébriques et de lettres grecques, d'équations complexes, de variables inconnues, de modèles mathématiques nébuleux dont on ignore l'utilité même. Mon matheux préféré l'avoue sans vergogne et qualifie ses études universitaires «d'onanisme grec». Rien à voir avec la débandade du moment au pays de Papandréou...
C'est en forgeant qu'on devient chômeur
Donc, l'économiste de base vibre jusqu'à la moelle devant l'élégance de ses modèles mathématiques. Par exemple, il peut vous exposer dans une formule chiffrée quel est le niveau de chômage nécessaire pour qu'une économie (capitaliste) soit en bonne santé. Vous saviez ça, vous, qu'il faut des chômeurs pour que l'économie prospère? Moi, je l'ai appris dans Petit cours d'autodéfense en économie - l'abc du capitalisme, de Jim Stanford, un économiste canadien qui a oeuvré au sein du syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile et qui leur a monté ce petit cours sur le capitalisme pour mieux les outiller devant le langage et le MO (modus operandi) de l'adversaire. Même s'il affiche un parti pris ouvertement socialiste, Stanford n'en profite pas moins pour vulgariser, parfois laborieusement, le capitalisme sauvage tel qu'il est devenu.
Le nerf de la guerre du capitalisme, c'est la concurrence. Enracinée dans le moteur de la psyché humaine, la concurrence permet au capitalisme de prospérer en misant sur la nature foncièrement compétitive de l'être humain. Tout le monde égal? Qui veut de ça vraiment? Peu de sociétés, hormis peut-être les Scandinaves et leur social-démocratie qui fait des envieux. Il faut probablement dépasser le stade du «je pisse plus loin que mon voisin» pour en rêver.
S'outiller pour mieux tirer les ficelles
Depuis la crise de la bulle immobilière de 2008 qui a touché au symbole de la maison, de la protection matricielle, le commun des mortels sent que l'économie lui échappe, qu'il ne peut plus faire confiance aux institutions financières et que les gouvernements ne font que puiser dans ses goussets pour redonner aux riches. Les Robin des bois se font rares, mais les indignés et le 99 % commencent à se dire qu'ils devront apprendre à parler le jargon du 1 % .
«La crise de l'euro est très complexe!, me souligne mon économiste de mari. Ça prend des équipes de spécialistes pour en comprendre les détails. Mais la prochaine crise — parce qu'elle arrive à grands pas — est très simple à voir venir et personne n'en parle: c'est la crise des fonds de pension. S'il y a une chose facile à prévoir en économie, c'est la démographie!»
La lumière est passée à l'orange depuis un bon moment déjà, mais nous continuons à nous endetter allègrement alors que l'avenir s'annonce tout sauf rose pour les futurs retraités.
D'où l'intérêt de s'outiller pour savoir de quoi il en retourne. À commencer par le PIB, cet énigmatique fourre-tout qu'on nous sert à toutes les sauces et qui exclut 40 % de la production par le travail, domestique ou social (le bénévolat, par exemple).
«C'est fou comme les gens veulent entendre parler du PIB et comprendre», m'explique la sociologue Laure Waridel, actuellement doctorante à Genève à l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) et qui s'intéresse à l'émergence d'une économie écologique et socialement équitable et aux paradigmes économiques postcapitalistes. «Dernièrement, à Mont-Tremblant, j'ai donné une conférence à du monde bien ordinaire et les yeux étaient tout ronds lorsque je présentais le PIB en rapport avec les dommages environnementaux. On sent que quelque chose se passe. L'économie nous est présentée comme de la physique, mais c'est une science sociale qui devrait nous aider à saisir les échanges entre les gens, entre le privé et le public. L'air que tu respires, ça n'entre pas dans le PIB, c'est gratuit. Mais si tu fais de l'asthme parce que l'air est pollué, tes pompes et tous les frais médicaux qui en découlent, ça, c'est comptabilisé.»
On voit tout de suite l'intérêt d'une structure économique qui se rend malade elle-même et dont le PIB prospère. Les chiffres ont l'air nickel, mais tout le monde en crève. Une question me turlupine. Faut-il attendre d'avoir le sida pour utiliser des condoms? Ou faut-il envisager l'onanisme pur et dur?
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La notion de myopie
En économie, on parle volontiers de la myopie des gouvernements ou des consommateurs. En fait, le Conseil des ministres devrait compter au moins un optométriste. L'entrevue avec le philosophe et sociologue Edgar Morin, dans la dernière édition de Terraeco, traite justement de cette myopie généralisée: «Nous ne sommes pas encore assez conscients du péril. Nous avançons comme des somnambules vers la catastrophe.»
Ce phare, âgé de 90 ans, nous parle de la vitesse qui anime la civilisation occidentale, porteuse de cette notion d'aller (vite) vers un avenir meilleur. Or, grâce aux dérives du néolibéralisme, nous nous dirigeons — rapidement — dans le mur. «Et le système de compétition et de concurrence — qui est celui de notre économie marchande et capitaliste — fait que pour la concurrence, la meilleure performance est celle qui permet la plus grande rapidité. La compétition s'est donc transformée en compétitivité, ce qui est une perversion de la concurrence», dit le sociologue français. Il constate aussi que notre temps rapide est un temps «antiréflexif». Une pause utile pour réfléchir:
www.terraeco.net/Edgar-Morin-Nous-avancons-comme,19890.
http://fr.chatelaine.com/blogues/jo_blogue
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Et les zestes
Noté que nous étions le 11-11-11, mon jour malchanceux à la Bourse, mais chanceux en amour. À 11h11, tous les économistes vont avoir un petit frisson dans la région de l'hyperbinaire, pas très loin du sacrum.
Visionné le dernier film de Cédric Klapisch, Ma part du gâteau, qui sort en salle aujourd'hui. Le réalisateur de Chacun cherche son chat et de L'auberge espagnole nous offre cette fois une réflexion sur les crises financières provoquées par l'appât du gain et le goût du jeu. Le film flirte malgré tout avec les clichés: la femme de ménage terre-à-terre et le courtier désabusé qui a perdu le sens des valeurs. Une belle illustration du capitalisme et une leçon du courtier sur la façon de gagner 6000 euros en une heure. La revanche des mis-à-pied et des gagne-petit. Un film qui a dû connaître un certain succès en France avec ses 10 % de chômeurs. La crise de l'euro influe sur l'art, c'est inévitable.
Salué le projet de remettre un cours d'éducation économique et financière au programme du secondaire. Novembre a été déclaré Mois de la littératie financière au Canada, mais le Québec est la seule province à ne pas dispenser de tels cours. The Globe and Mail traitait cette semaine de la question de l'endettement et de l'analphabétisme économique des jeunes en la matière. Selon un sondage lancé au début du Mois de la littératie financière, les trois quarts des jeunes de 17 à 20 ans imaginent qu'ils seront propriétaires d'une maison à l'âge de 30 ans et qu'ils gagneront 90 000 $ ou plus par an, soit trois fois la moyenne du revenu au pays. Ils croient au père Noël aussi.
Adoré le livre du professeur de marketing Jacques Nantel (avec la journaliste Ariane Krol), On veut votre bien et on l'aura. Rien que pour le titre, déjà... Nantel y démantèle l'aura du marketing, devenu très agressif avec l'arrivée du Web. Il y traite de l'endettement aussi, plus important au Canada (150 % du revenu, début 2011) qu'aux États-Unis (137 %). Il parle aussi du crédit, d'obsolescence planifiée et de tout ce que cette industrie de la séduction peut essayer de vous faire miroiter pour vous inciter à dépenser. J'aime bien Jacques Nantel, d'une part parce qu'il redonne le pouvoir aux consommateurs (après tout, l'économie, c'est nous!) et d'autre part parce qu'il se permet de les mettre en garde contre les spécialistes du marketing. Rien qu'avec sa fonction «Les clients qui ont acheté cet article ont aussi acheté celui-là», Amazon a augmenté ses ventes de 30 %. La dangereuse efficacité du marketing (le sous-titre du livre de Nantel et Krol) est à étudier elle aussi. Le marketing, ce sont les bas jarretelles du capitalisme.
Terminé la saison 1 de la série Damages avec l'avocate carnassière Glenn Close. Je suis accro. Dans cette première saison, elle s'attaque à un homme d'affaires qui escroque ses employés dans une fraude comptable inspirée du scandale Enron. La seconde est influencée par les industries de l'énergie et les scandales dans l'industrie minière. Et la troisième s'inspire du scandale financier Bernard Madoff (condamné à 150 ans de prison). Bref, un procès n'attend pas l'autre et notre avocate — qui utilise des méthodes frauduleuses elle aussi — est une méchante parmi les méchants. On peut donc en conclure que les escrocs gagnent toujours. Cinq saisons sont prévues au programme.

Zeitgeist par CHOIX-REALITE

Revisité le site [www.zeitgeistmovingforward.com->www.zeitgeistmovingforward.com], le film de Peter Joseph à l'origine de la pancarte qui trône au sommet de la statue de la reine Victoria, place du Peuple. Le film de près de trois heures est gratuit et propose toutes sortes de solutions (parfois très farfelues) au néolibéralisme et au pouvoir dévastateur de l'argent. Je l'ai visionné avec grand intérêt au printemps dernier, à sa sortie.
Souri devant la publicité du second sommet des GEDI (Génération d'idées) qui aura lieu du 25 au 27 novembre au Palais des Congrès à Montréal. Après les problèmes soulevés, l'heure des solutions. Pourquoi j'ai souri? On «carte» les vieux (plus de 35 ans) à l'entrée! Si vous avez envie de changer le monde et que votre matériel de camping fait pitié, voilà l'endroit où aller se retrousser les manches bien au chaud. www.generationdidees.ca
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«Il faudrait savoir combien de temps les salariés accepteront de travailler plus dur que jamais en échange d'une part de gâteau de plus en plus petite.» - Jim Stanford, Petit cours d'autodéfense en économie

«Il y a deux types de problèmes dans la vie: les problèmes politiques sont insolubles et les problèmes économiques sont incompréhensibles.» - Alex Douglas-Home

«Car notre grande tragédie, c'est que l'humanité est emportée dans une course accélérée, sans aucun pilote à bord. Il n'y a ni contrôle, ni régulation. L'économie elle-même n'est pas régulée.» - Edgar Morin

«À mesure que diminue la liberté économique et politique, la liberté sexuelle a tendance à s'accroître en compensation.» - Aldous Huxley, Le meilleur des mondes
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