L'arche de VLB

Un écrivain par-devers ses bêtes

Une photo extraordinaire d'un écrivain prolifique présenté dans un texte lumineux!




Aussi adroit avec les brebis qu’avec les chats, les cochons ou les chevaux, Victor-Lévy Beaulieu aurait pu être vétérinaire. Il rêvait d’étudier le cerveau. Il a plutôt consacré ses heures à décrypter l’âme humaine tout en se réfugiant auprès des animaux.

Trois-Pistoles — À Trois-Pistoles, l'homme passe pour une bête sauvage, un loup-garou errant la nuit pour se transformer le jour en barbu hirsute qui soigne ses animaux à poils et fuit la bêtise du monde en se repliant sur son territoire, ceinturé par la 132 et le fleuve. J'ai dit bêtise? Fumisterie, merdier, naufrage, uniformisation, ennui auraient tout aussi bien pu convenir.

Apprivoiser Victor-Lévy se fait doucement et n'entre pas dans sa tanière qui veut. Depuis belle lurette, l'écrivain québécois, que Grasset vient d'éditer dans sa section «littérature française», ne se prête plus à la divine comédie sauf pour donner du fil à retordre aux politiciens ou se moquer des journalistes.

Dans son «empremier du monde», Victor-Lévy est aussi souverain que les drapeaux du Québec qui nous accueillent devant sa maison d'édition, qui redonne un sens au terme puisqu'il y loge.

Son refuge d'animaux lui tient lieu d'antre, de bibliothèque et de salon, de bureau et de clinique vétérinaire. Dans cette arche accostée, VLB règne en silence sur les mots et les bêtes qui lui répondent dans leur patois à elles, mélange d'aboiements et de miaulements, de bêlements et de hennissements, de couinements et de cancanages. Du moins, ce prince des marées échappe aux commérages et ragots qui sont le lot du vulgaire sur les rives...

Victor-Lévy connaît aussi le langage des plantes, entretenant plates-bandes et vagabondes avec le même élan qui le pousse vers tout ce qui est naturel et indigène, ne le trahit ni ne le juge, lui laisse toute liberté d'être, en toute simplicité.

Je connaissais le VLB polémiste, politicien, écrivain, éditeur et scénariste. J'ai fait connaissance avec Victor-Lévy, le sage-homme qui materne et soigne, accouche ses brebis, prépare des biberons, cuisine du foie de boeuf pour ses chats, fait pousser de la lavande, récolte ses framboises.

Ici, ni cirque ni voltige; seule la complicité silencieuse entre la vraie nature de l'homme et ses compagnons de fortune prévaut.

«Ce qui me passionne chez les bêtes, c'est qu'elles vous forcent à rester curieux. [...] Depuis vingt ans que je vis maintenant au quotidien avec des animaux, dans ma maison, dans ma grange-étable et autour de mes bâtiments, je ne cesse pas d'être étonné par l'esprit de générosité de la nature quand on lui porte respect, qu'on fait corps avec elle plutôt que de vouloir la dominer de l'extérieur», écrit-il dans son dernier livre qui traite de sa passion pour les animaux depuis l'aube de son existence, de leur pouvoir balsamique, de sa victoire sur l'alcoolisme et de ses zoothérapeutes.

Jamais moins que les Grâces, jamais plus que les Muses

Pour arriver à donner une trentaine de chatons qui couraillaient dans sa cuisine (Victor-Lévy est contre la stérilisation), l'éditeur a fait paraître un curieux communiqué de presse le mois dernier: «Adoptez un chaton et recevez gratuitement et autographié personnellement, Ma vie avec ces animaux qui guérissent.» J'ai accouru à Trois-Pistoles après m'être plongée dans ces mémoires animalières du célèbre écrivain du Bas-du-Fleuve, abondamment garnies de photographies et d'anecdotes truculentes, de souvenirs et de réflexions sur notre monde en voie de décimation.

Pour une fois, la culture a aidé la nature; les chatons ont trouvé preneurs aisément. Victor-Lévy en conserve neuf près de lui, ainsi que ses deux chiens blancs, Bonhomme et Tifille. «Comme a dit le poète, jamais moins que les Grâces, qui étaient trois, jamais plus que les Muses, qui étaient neuf», précise ce rebelle issu d'une tribu de 13 enfants et qui estime être né sous une bonne étoile.

On saisit, à la lecture de son récit, à quel point VLB a eu besoin des animaux pour apprivoiser ses propres démons, repousser les muses noires de l'autodestruction: «Si je n'avais pu profiter de mes soirées et de mes nuits à me bercer parmi mes animaux, je ne crois pas que j'aurais pu résister aux sirènes du gros gin ou à celles du whisky écossais. Les animaux constituaient pour moi une belle leçon de choses, ils avaient une conception zen de l'existence: on ne vit jamais que des instants qui sont dans leur chacun un privilège; si on a la santé, le gîte, le boire et le manger, on n'a plus qu'à en jouir, en toute sérénité, sans culpabilité ni remords», écrit encore l'homme de lettres, qui s'est infligé deux cures volontaires en clinique de désintoxication, il y a quinze ans. «Normalement, le séjour était de 3-4 semaines; j'ai décidé d'y rester durant huit. Ils hésitaient même à m'accepter au cas où j'arrête d'écrire. Mais je n'ai jamais écrit quand je buvais», raconte l'écrivain, dont l'oeuvre compte 75 titres et plusieurs pièces de théâtre et téléromans populaires.

Il cite en exemple William Burroughs, Raymond Chandler ou Timothy Leary, puis se rappelle les écrivains qu'il a connus, Yves Thériault, Ferron, Gérard Bessette: «Je ne voulais pas mal vieillir, amer, aigri. J'en ai trop vu. Je veux jouir de la première heure du jour, peu importe ce qui est arrivé la veille, et me réveiller de bonne humeur à 70 ans», me confie Victor-Lévy, qui ne dort que quatre heures par nuit, écrit tous les matins, bien avant que la «jument de la nuit» ne disparaisse.

Moulin à paroles

«Les gens qui écrivent sont plus vulnérables et fragiles que les gens ordinaires. Ils se questionnent plus et ne trouvent pas nécessairement de réponses. Ça les met dans un état d'angoisse», m'explique celui qui a materné nombre d'écrivains à titre d'éditeur. «Je n'ai jamais compris les gens qui écrivent et trouvent ça souffrant. Moi, j'écris un livre, trois jours plus tard j'en écris un autre. Je n'ai pas de mérite, ça vient avec les gènes.» Puis, Victor-Lévy me cite de mémoire Xavier Galarneau dans L'Héritage comme s'il avait vraiment existé, bourre sa pipe, ajuste ses petites lunettes rondes et reprend, intarissable, sur les missions spatiales, la disparition des dinosaures, la racine latine du mot «ennui» (vivre en état de haine), la mafia de la construction au Québec, le métier d'éditeur qui l'a amené à envoyer deux chapitres de son dernier ouvrage dans 750 animaleries, son prochain livre consacré à Nietzsche, qu'il est à tout relire, le pelage mouillé de ses chats qui s'affalent sur ses pages manuscrites, qu'il doit retranscrire à la mitaine, les jeunes écrivains vaniteux au talent moyen, son prochain voyage au Mali avec le conteur Toumani Kouyaté, ses chapeaux Borsalino qui font de lui un personnage de roman.

J'aurais aimé l'écouter encore et encore. Je suis repartie en catimini, avec deux pots de confiture et une chatte sous le bras... que j'ai baptisée Victoire, en son honneur.

Pour le reste, on peut faire confiance à la nature; elle ne parle pas, elle ronronne tout son content.

***

Reçu: des mains de VLB, le seul exemplaire disponible au Québec de son autoroman Bibi publié chez Grasset. L'ouvrage sera lancé à Paris début septembre, pour la rentrée littéraire. La quatrième de couverture présente l'auteur ainsi: «Vivant aux Trois-Pistoles, bourgade québécoise au bord de l'Océan, Victor-Lévy Beaulieu est éditeur, gentleman-farmer, et milite activement pour l'indépendance du Québec. Il est considéré comme un des plus grands écrivains de son pays.» VLB rigolait en me la lisant.

Aimé: le dernier livre de VLB, Ma vie avec ces animaux qui guérissent (éd. Trois-Pistoles). Plus grand public, cet ouvrage nous montre un homme à nu devant ses animaux, tel qu'en lui-même. VLB nous apprend les bêtes et démontre une connaissance intime de ses amis à quatre pattes, tant au plan comportemental qu'au plan médical. Disponible dès le 17 août au Québec.

Feuilleté: la dernière livraison du magazine Nature sauvage (été 2010). On y consacre un dossier au carcajou, cet animal mythique et rare. De magnifiques photos sur l'Arctique canadien, le joyau fondant, le parc national du Mont-Saint-Bruno et ses trésors cachés, et Tadoussac, le repère migratoire.

Savouré: plusieurs entrées du Dictionnaire amoureux des chats de Frédécric Vitoux (Plon/Fayard), dont celle «Écrivain (Les chats et l')». «Dans cette solitude et ce silence nécessaires à chaque écrivain, seuls les chats peuvent trouver une place et accompagner en quelque sorte son lent travail de rédaction. Seuls les chats peuvent être les complices ou les partenaires de celui qui s'est ainsi retranché du monde. Seuls les chats peuvent encore jouer pour lui ce rôle de veilleur et de critique, qui est indispensable.» On y parle aussi des chats de Malraux, dont VLB a connu l'épouse, de Colette et des cimetières, que les chats adorent fréquenter. Un délice pour le félinophile.

***

Une énigme mathématique d'Archimède et Euclide

Combien de pommes reçoivent les Grâces et combien de fleurs offrent-elles aux Muses?

Trois Grâces blondes se promenaient

Sous les tonnelles des jardins de l'Olympe,

Cueillant des fleurs aux rares parfums

Et aux teintes variées, rose, blanches, rouges et bleues,

Lorsqu'elles rencontrèrent par hasard neuf belles Muses

Qui portaient en abondance des pommes rondes et dorées.

Chaque muse donna à chaque Grâce quelques pommes,

Et reçut en retour quelques roses,

Ce qui leur fit à toutes un nombre égal

De fleurs et de fruits.

***

- «Quand je suis parmi mes animaux, à les soigner, à en prendre soin, à jouer avec eux, c'est moi que je soigne, c'est de moi dont je prends soin, c'est avec moi que je joue. J'en oublie le monde tel qu'il est devenu dans l'affreuseté de son quotidien, manquant de sens pour les avoir tous émoussés.»- Ma vie avec ces animaux qui guérissent, VLB

- «Être nu c'est ne plus rien se cacher, c'est ne plus avoir besoin de mots car le corps parle de lui-même, dans cet ailleurs de l'enfance qui n'est plus que la simplicité quand elle sait s'habiter.» - L'Héritage, VLB


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