La dette sociale ou le « trou de la Sécu » sert de prétexte aux gouvernements néolibéraux pour mettre en place des réformes régressives. Cette dette sociale doit être relativisée.
De sa création jusqu’en 2006, les comptes de la Sécurité Sociale étaient soit excédentaires, soit légèrement déficitaires. Le recours au financement externe était marginal et relevait souvent du jeu d’écriture. Le tournant néolibéral de l’économie et des politiques qui y sont associées date du début des années 1980.
Jusqu’en 1980, l’ACOSS1 avait recours à deux sources de financement :
le Trésor public pour des avances à court terme ;
la Caisse des dépôts et consignations pour des prêts relais.
Début 1980, se mettent en place, au sein de l’ACOSS |1|, des Conventions d’objectifs et de Gestion (COG) qui introduisent deux nouveautés : la comptabilité séparée des caisses et la facturation croisée des excédents et des besoins de financement, avec productions d’intérêts entre caisses. Cette nouvelle logique comptable d’entreprise privée marque le début de la financiarisation des comptes de la Sécurité sociale.
C’est avec l’UNEDIC, une association créée hors Sécurité sociale en 1958 sous forme associative et à gestion paritaire pour contrer l’influence de la CGT et redonner une position dominante au patronat avec le paritarisme, que s’ouvrent les portes du financement de la dette sociale par les banques privées.
En septembre 1981, l’UNEDIC (assurance-chômage) emprunte 6 mds F auprès des assurances et des mutuelles sur lesquelles l’État reste influent et peut imposer des taux très faibles |2|.
En 1994, l’UNEDIC souscrit un emprunt obligataire de 10 mds F à 5,25 % |3|.
En 2002, elle renouvellera l’opération avec un emprunt obligataire de 12 mds F au taux de 5,50 %.
En 2004, l’ACOSS (la « banque de la Sécu ») sera autorisée à emprunter 7 mds F auprès des banques spécialistes en valeurs du Trésor (celles qui financent la dette de l’État). Ce recours à l’emprunt, garanti par l’État, marque l’ouverture définitive de la Sécurité Sociale à la financiarisation.
En 2007, la loi de financement de la Sécurité sociale autorise l’ACOSS à avoir recours à des billets de trésorerie pour ses besoins de financement à court terme.
On peut lire sur le site de l’UNEDIC, qu’à la fin de l’exercice 2007, 9,17 mds € d’autorisation d’emprunts ont été utilisés comme suit :
Obligations = 6,2 mds € ;
Billets de Trésorerie = 2,87 mds € ;
Titrisation = 0,1 md €.
La titrisation consiste à transformer en titres négociables sur les marchés financiers des créances de l’UNEDIC. Les cotisations sociales servent à la spéculation !
En 2010, on touche le fond ! Une convention est signée entre l’ACOSS et l’AFT (Agence France Trésor) portant sur un programme d’émissions pour des financements à court terme sur les marchés financiers. Ce programme s’appelle Euro Commercial Paper, basé à la City de Londres. On y trouve des entreprises, des sociétés financières (banques centrales, assurances, Hedge Funds, Mutual Funds) des sociétés de Trading, etc. Comme dans tout paradis fiscal, l’origine des fonds est incertaine, douteuse et souvent mafieuse. La Sécu blanchit de l’argent sale !
Dans sa note de présentation aux investisseurs émise en septembre 2014 |4|, l’UNEDIC vante la fiabilité de ses capacités à rembourser et présente les économies à réaliser sur le dos des chômeurs (1,6 md € sur 2 ans) comme un gage de la soutenabilité de ses remboursements.
En 2016, le site de l’UNEDIC ne rend public que 11 des 31 mds € de contrats souscrits. Agir dans l’ombre pour mieux détruire les droits humains fondamentaux est leur stratégie.
Cette incomplète énumération des dérives de la dette sociale, sur le chemin de la financiarisation de son financement, illustre le marigot dans lequel la protection sociale est tombée.
Ces banques du marché primaire |5|, créancières de la dette sociale, sont toutes impliquées dans des faits délictueux et des scandales rendus publics. Très peu d’entre elles ont connu des poursuites judiciaires. Le comportement de ces prédateurs de biens publics n’a pas changé malgré quelques amendes qu’ils s’empressent de faire payer aux particuliers et à leurs employés. Les paradis fiscaux continuent de prospérer en l’absence de réelle volonté politique de changement. Il est urgent de mettre fin à ce pillage du droit fondamental à la protection sociale pour toutes et tous.
Il est difficile de chiffrer avec précision le coût de cette financiarisation, mais il se chiffre assurément en dizaines de milliards d’euros. Avec la baisse des prestations et cette logique financière, nous enrichissons ces créanciers. La population paie le prix fort d’une dette qui n’est pas la sienne mais celle du patronat qui organise, avec l’État, le trou de la Sécu afin de mieux la privatiser.
Plus que jamais, un audit public et citoyen de cette dette s’impose. À l’heure où de nouvelles réformes de la protection sociale sont exigées par le FMI, l’OCDE et la Commission européenne, au nom de la réduction de la dette publique et des déficits, il devient impératif de construire et multiplier des collectifs d’audit de la dette sociale. Le fruit de ce travail, mené de façon transparente et publique, est une pierre à ajouter à l’édifice de nos revendications et mobilisations.
Nous devons nous réapproprier notre protection sociale, en évincer le patronat et l’État de sa gestion, rendre publique la réalité des comptes, remettre en cause cette financiarisation qui, non seulement enrichit les nantis mais sert de prétexte aux reculs sociaux. Il nous faut faire payer au patronat et au Capital la dette envers la protection sociale. Une autre redistribution des richesses produites par le travail est possible et nécessaire.
Pascal FRANCHET
Notes :
|1| L’Agence centrale des organismes de Sécurité Sociale (ACOSS), créée par les ordonnances de 1967, assure la trésorerie au quotidien des 4 branches du régime général (maladie, famille, vieillesse et accidents du travail/maladies professionnelles).
|2| Lire à ce propos l’excellent livre de Benjamin Lemoine : L’ordre de la dette, Éditions La découverte, 2016, sur le « Circuit du Trésor » et l’annexe 6 de la brochure « Que faire de la dette sociale ? » http://www.cadtm.org/Que-faire-de-la-dette-sociale
|3| Pour mémoire, l’inflation était de 1,2 % en 1994 et ne dépassera pas 1,6 % jusqu’en 2002.
|4| http://www.unedic.org/sites/default/files/fr-investisseurs-sep14.fr
|5| Ces titres et obligations sont revendus sur le marché secondaire. On ignore qui sont les créanciers réels de la dette sociale tout comme pour celle de l’État.
source: http://www.interet-general.info/spip.php?article24058
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé