Vas ti fé cour'aredjî, Europe!

(En wallon : "Va te faire foutre, Europe!")

Chronique de José Fontaine

Le succès des listes populistes aux élections italiennes a fait souffler un vent de panique dans les milieux dirigeants européens qui condamnent les partis populistes. Avec un extraordinaire sens du comique (c'est le cas de le dire [Beppe Grillo, vainqueur des élections, est un ancien clown et son parti représente le quart des Italiens.]]). Puisque, cette fois, le populisme ne s'érige pas contre le Parlement, ce serait plutôt l'Europe qui, comme on le sait (mais il ne faut pas hésiter à le rappeler sans cesse), a décidé, dans les faits, d'enlever aux parlements nationaux leur [prérogative essentielle, soit de contrôler le budget de l'Etat, celui des technocrates de la Commission ayant le dernier mot. On lira aussi cet éditorial étonnant du journal Le Monde (27 février), le plus servilement européiste des journaux français (voire européens) qui se met à douter fameusement!
L'Europe est une dictature

La déliquescence de l'Etat en Europe, la perte totale du sens de la souveraineté est telle que dans un Etat comme la Belgique, le gouvernement fédéral justifie ses prises de position par rapport à ce que dit l'Europe et c'est tout. Depuis que le Gouvernement Di Rupo est en place, et avec les prévisions pour l'année qui vient, on dépasserait déjà les 18 milliards d'€ d'économies, pour éviter que la Belgique ne perde la confiance des «marchés» et ne voie les taux d'intérêts de sa dette augmentés par les usuriers qui semblent se mettre en état de piller le monde. Les dettes des Etats souvent égales ou supérieures à leur PNB, on peut les voir avec la simple logique humaine. Tout économiste sait que les Etats s'endettent non pas parce qu'ils augmentent leurs dépenses courantes (services sociaux, pouvoirs publics, investissements normaux). Ces dépenses, depuis que les dettes ruinent les Etats européens (la chose a commencé dans les années 1970), n'augmentent absolument pas. Elles sont toujours dans la même proportion du PNB qu'il y a 40 ans. Ce qui augmente ce sont les taux d'intérêt. Les banques ont trouvé leurs vaches à lait, les Etats. Quand on voit ces chiffres, la logique simplement humaine nous souffle ce qui va suivre.
Des dettes illégitimes et de toute façon impossibles à rembourser
Ces dettes sont détenues par des centaines de gens dans le monde. Mais comment ces centaines, tout au plus ces milliers de gens peuvent-ils estimer détenir en valeur l'équivalent de ce que nous faisons en un an, nous qui sommes des millions, des milliards même?
Nous enseignons, nous guérissons des malades, nous construisons de hauts immeubles, nous faisons des découvertes scientifiques, nous passons des heures auprès des autistes, des exclus, des femmes battues, nous cultivons la terre, nous traçons des routes, conduisons des bateaux sur les mers, travaillons pour l'espace, l'aviation, écrivons des romans, montons des spectacles, vendons dans les super-marchés à des millions de gens par an, portons le courrier à des millions d'autres, transportons des enfants, des adultes et des personnes âgées en bus, rendons la justice, balayons les rues, transformons l'acier, fabriquons de la bière, du chocolat, taillons des diamants, gardons les forêts, informons tout un pays, assurons la maintenance de l'équipement informatique des chemins de fer, du téléphone, creusons des tunnels, déchargeons les bateaux, conduisons les avions, gardons les aéroports, ciselons le verre, administrons les communes, les provinces, la Wallonie, inspectons les aliments, importons du champagne, des biscuits, transportons du fer, du cuivre, du bois, du fourrage, taillons des vêtements, éteignons les incendies et il arrive même que sans nous les banques ne fonctionneraient pas, car nous sommes derrière leurs guichets, bref, nous faisons TOUT. On se demande à qui TOUT doit quoi que ce soit? Et pourtant c'est cette sinistre farce que l'on nous raconte depuis trente ans et qui va un jour nous empêcher de faire... ce qui vient d'être dit, soit TOUT.
La mobilisation en Wallonie

La Wallonie se mobilise. Ce n'est encore qu'un frémissement. Mais c'est important. Du côté flamand, la NVA soutient la droite wallonne du gouvernement qui veut poursuivre l'assainissement budgétaire sans désemparer, tandis que le PS voudrait que l'austérité s'étale un peu plus.
Mais, ailleurs, en Wallonie et à Bruxelles, le Comité d'annulation de la dette du tiers monde (CADTM), a réussi à réunir la FGTB wallonne et la partie la plus radicale de la CSC wallonne, le mouvement des femmes Vie Féminine, le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, l'Action chrétienne des femmes rurales, les Amis du Monde Diplomatique, Inter-Environnement Wallonie, ATTAC, les partis les plus à gauche, l'éducation permanente, le MOC bruxellois ...en vue de lancer partout en Wallonie (et aussi à Bruxelles), des audits citoyens, à même de montrer que la dette publique est une dette illégitime que les Etats sont en droit de ne pas rembourser.
Je suis allé jeudi à une réunion fondatrice d'un de ces groupes locaux. J'ai été très frappé par la connaissance qu'ont ces hommes et femmes de la base des mécanismes insensés de la dette de l'Etat, du fait que la Banque centrale européenne prête de l'argent à taux réduit aux banques pour qu'elles puissent le prêter aux Etats à un taux plus élevé; des Etats qui ne sont si endettés qu'en raison du comportement aberrant des banques qui les a ruinées elles-mêmes, ce qui a obligé les Etats à les renflouer, banques qui, en retour, recommencent à leur prêter à des taux usuraires! Au fou! Dans Le Monde de mardi dernier, Jacques de Saint Victor, professeur d'histoire des idées et du droit à Paris VIII et à Rome III, écrivait à propos de Beppe-Grillo que son succès «pourrait avoir le mérite d'ouvrir les yeux des politiques d'usuriers qui corrodent, comme dans les années 1930, la démocratie parlementaire. En refusant de faire payer aux peuples la crise des dettes souveraines - qui est d'abord la conséquence des folies de la finance -, le populisme de la protestation se montre plus incisif que celui de la peur.» [[Le Monde du 5 mars, p. 17.]] Et s'agit-il vraiment de populisme?
On pourrait presque dire qu'en Flandre, avec les 40% dont est crédité le parti nationaliste NVA terriblement à droite, l'opinion est en faveur d'un gouvernement encore plus antisocial que celui que Di Rupo préside. Le Premier ministre wallon occupe cette fonction avec l'idée d'en faire sans doute le couronnement d'une carrière au service des privatisations néolibérales, gouvernement qu'il a d'ailleurs en quelque sorte baptisé en insistant sur son objectif premier qui était de sauver la droite flamande non NVA. C'est peut-être en Wallonie que ce gouvernement (pourtant présidé par un Wallon), risque d'avoir les pires ennuis si la mobilisation en cours se confirme. Mais elle est profonde, informée, radicale. Le leader de la NVA propose aux Wallons de voter à droite pour sauver la Wallonie. La droite ne passera pas en Wallonie! Elle ne passera pas!
Ailleurs en Europe

Sans doute, les opposants à l'Europe (car c'est de cela qu'il s'agit, on vise par le mot Europe les institutions actuelles dont le but est la destruction de la démocratie comme le montre Susan George [[Cette fois en finir avec la démocratie. Le rapport Lugano II, Seuil, Paris, 2012.]]), n'ont-ils pas tous le même but. C'est à cela que la gauche européenne doit faire fort attention. Si ce n'est pas elle qui mène le combat, ce seront d'autres forces qui, comme dans les années 1930, profiteront de la misère des gens pour arriver au pouvoir pour faire encore pire, leur idéologie étant la plupart du temps fondée sur le rejet de l'autre, comme Marine Le Pen qui en France propose qu'un référendum ait lieu sur la participation de la France à l'UE. Comme dans cette circonscription de Eastleigh le 28 février dernier en Angleterre où une candidate ultra-conservatrice et xénophobe du United Kingdom Independence Pary, prônant l'arrêt de l'immigration a vu son score passer de 3% à 28%. Comme en Autriche où un milliardaire venu du Canada (Frank Stronach) s'est lancé dans une élection régionale pour y cartonner à droite [[Le Monde du 5 mars, p. 16.]]. Au Portugal, des manifestations monstres dans les grandes villes réclament le pouvoir au peuple. Comme celle organisée samedi passé à Lisbonne avec 400.000 personnes reprenant avec une émotion profonde et d'une seule voix l'un des hymnes de la révolution dite des oeillets en 1974 qui renversa le pouvoir fasciste issu de Salazar.
Une prophétie de 1967
Il me semble que ce que le mouvement populaire doit saisir et comprendre, c'est que ce sont les Etats européens eux-mêmes qui doivent reprendre les choses en main, éventuellement en rompant avec l'Europe s'il le faut. Eventuellement, parce que la construction européenne a beau nous diriger tout droit vers un retour silencieux du totalitarisme, cette fois marchand et de langue anglaise, l'idée qui a présidé à son lancement d'unir les peuples demeure positive. Mais c'est pour cela qu'il faut envoyer l'Europe actuelle au diable comme le fait ce sympathique liégeois en casquette et sarrau et en usant de son wallon si expressif. Il ne s'agit pas là de quelque chose d'irréfléchi. Je voudrais aussi que le mouvement populaire comprenne que ce qu'il faut sauver avant toutes choses, c'est la démocratie parlementaire en relisant ce que disait un philosophe bruxellois déjà en 1967 - prodigieuse perspicacité! L'entente entre les peuples ne devait aboutir selon lui ni à un affaiblissment des nations, ni à un affaiblissement des Etats. Jean-Marc Ferry m'a toujours dit que sa pensée sur l'Europe était magnifiquement résumée par ce que dit Kant dans son fameux essai Sur la Paix perpétuelle, ouvrage d'un réalisme politique très grand. Kant use d'un vocabulaire un peu spécial, mais Jérôme Grynpas avait traduit très bien sa pensée pour nos contemporains. Et rien ne sera meilleur pour conclure que de lui laisser la parole. Ces lignes de 1967 semblent avoir été écrites pour aujourd'hui :

«Il n'est pas évident du tout qu'un développement dans le sens de la supranationalité et, à plus lointaine échéance, de la " mondialisation " de l'institution étatique soit pour l'heure tellement souhaitable. En effet, si le mode de vie démocratique ne trouve pas, entre-temps, le moyen de se revigorer, les super-États qui naîtraient accroîtraient encore les vices actuels de la vie politique. Ces nations-continents (ou cette nation-planète) seraient gouvernés par des équipes totalement soustraites au contrôle démocratique et protégés par la complexité encore plus terrifiante de ses rouages. D'une façon plus générale, on peut se demander si une universalisation qui aurait éliminé toute confrontation, toute émulation ne supprimerait pas, ipso facto, la dynamique même du progrès tant moral que matériel. Quand on parle de confrontation, il ne faut pas traduire cela par guerre. Quand on rejette - du moins dans l'état présent des choses - l'idée de mations-continents ou de nation-planète, cela ne signifie nullement le retour aux vieux antagonismes nationaux. On se contente de croire, pour les raisons exposées plus haut, que la dynamique du progrès sera mieux préservée si coexistent des entités nationales dont la diversité laissera libre cours à plus d'expériences, tout en limitant chaque fois ce qu'elles auraient d'excessif si elles avaient de trop vastes espaces pour s'implanter.» [[ Jérôme Grynpas, La philosophie, Marabout, Verviers, 1967, p. 287.]]
Il faut revenir à l'Europe des fondateurs, l'Europe des patries, celle du général de Gaulle que la Belgique a stupidement rejetée par crainte d'une Europe dominée par la France. Pour attraper sur le dos une Europe dominée par l'Allemagne et au-delà, par le néolibéralisme mondial dont le meilleur relais en Belgique semble actuellement le parti socialiste wallon et son chef absolu, Elio Di Rupo, ce qui se traduit littéralement de l'italien : Elie Précipice!
Errata
Dans mon article de la semaine passée une mauvaise façon de m'exprimer a pu laisser croire que l'Islande se serait débarrassée de sa dette publique, en fait elle a mis ses banques en faillite et refusé de payer les créanciers (ce qui avait été précisé mais pas clairement). La dette publique de l'Islande a augmenté considérablement, mais cette île de 300.000 habitants dans l'Atlantique nord semble mieux faire que les 500 millions d'habitants de l'UE, notamment sur le pourtour de la Méditerranée.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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2 commentaires

  • André Vincent Répondre

    10 mars 2013


    Tout à fait d'accord avec vous monsieur Fontaine. On pourrais dire aussi : Vasti fé'aredji Canada !
    Elle me l'a dit redit promis
    une belle petite gayole...

  • Archives de Vigile Répondre

    9 mars 2013

    Merci monsieur Fontaine pour ce magnifique article.
    Article si éclairant non seulement, cette fois-ci, sur la Wallonie que nous commençons maintenant à mieux connaître grâce à vous mais sur l'Europe elle-même ainsi qu'à propos de ces bouillonnements qui donnent malgré tout un peu d'espoir.
    Surtout quand on pense que, un peu partout en Amérique du Sud des états à nouveaux visages dessinent de nouveaux rivages.
    À côté de tout cela notre petite quête de liberté pour notre peuple québécois paraît bien balbutiante. Mais les dommage infligés à la démocratie dans tant de pays européens devraient nous inciter d'autant plus à continuer ici le combat.