Urgences: les vraies solutions

Pour régler le problème des urgences au Québec, il va falloir une attention de tous les instants et une approche englobant tout le système

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Commission Castonguay

Par Michael Schull
(Photo André Pichette, La Presse)

Il faut louer le Québec pour avoir divulgué, à la suite des demandes de La Presse, les temps d'attente dans toutes les urgences de la province et pour avoir mis en lumière un problème délicat sur le plan politique, lequel dure depuis longtemps.
Il est facile de se perdre dans les statistiques, dans les temps d'attente ou dans les nuances quant aux notes accordées aux hôpitaux dans le «palmarès» publié par le quotidien. Il est plus utile de prendre du recul et de retenir un seul chiffre: le patient moyen sur une civière dans une urgence au Québec attend plus de 16 heures avant d'obtenir son congé ou un lit d'hôpital. Bien sûr, cela n'est que la moyenne, et des patients attendent bien plus longtemps encore; en fait, 6% des patients passent plus de deux jours à l'urgence avant de la quitter. Ce chiffre de 6% ne semble pas si atroce jusqu'à ce que vous sachiez que cela représente plus de 171 000 visites aux urgences en une année au Québec.
Le Québec n'est pas le seul à devoir faire face à un problème semblable et de nombreuses provinces sont aussi aux prises avec l'engorgement de leurs urgences. En Ontario, le surpeuplement dans les urgences est également répandu, mais le temps moyen passé dans une urgence a été de 3 heures et 18 minutes en 2006. En outre, moins de 2300 visites, ou 0,04% du total, ont été caractérisées par un séjour de plus de 48 heures à l'urgence. Dans la région d'Edmonton, le temps d'attente moyen a été de 4 heures et 36 minutes alors qu'aux États-Unis, il a été de 3 heures et 12 minutes. Bien sûr, il existe des différences quant aux définitions et à la qualité des données susceptibles d'expliquer une partie de la différence mais il semble manifeste que le Québec est dans une classe à part au chapitre des temps d'attente dans les urgences.
L'expérience d'autres pays devrait fournir des motifs d'espoir au Québec. Ainsi, le National Health Service du Royaume-Uni a dû faire face à une crise semblable et, en 2002, les autorités ont procédé à un chambardement complet du système des urgences, ce qui a eu pour effet de réduire considérablement les temps d'attente. Aujourd'hui, 98% des patients passent moins de quatre heures à l'urgence en Angleterre. Ce succès s'est fondé sur la notion voulant que les solutions se trouvent au sein de tout l'hôpital et de la collectivité, solutions qui comprennent des réformes des manières de faire dans les hôpitaux et de la «culture» courante chez les médecins et les administrateurs. Il a aussi fallu faire des investissements en dotation de personnel et en ressources pour les soins de courte durée.
Un problème complexe
En fait, le problème des urgences en est un de l'hôpital et du système de soins de santé. Il reflète des problèmes chroniques comme la disponibilité limitée de lits pour des soins de longue durée dans la collectivité, le recours insuffisant à de simples techniques de génie industriel pour améliorer l'efficacité au sein des hôpitaux de même qu'une culture de cloisonnement qui décourage le personnel de différents services hospitaliers de travailler ensemble pour améliorer les soins aux patients. En fait, attribuer des notes aux hôpitaux pris individuellement au Québec peut s'avérer improductif étant donné qu'une telle approche ne tient pas compte des problèmes du système dans son ensemble et fait porter le blâme sur les «mauvais» hôpitaux. L'expérience britannique est particulièrement instructive: elle démontre que les efforts concertés, à l'échelle de tout le système et appuyés sur des ressources suffisantes, peuvent réduire considérablement les temps d'attente.
Les données de nombreuses provinces montrent année après année que les Canadiens attendent beaucoup plus longtemps qu'ils ne devraient pour obtenir des soins. Mais ces statistiques cachent autant d'aspects qu'elles en dévoilent: elles ne soufflent mot de la qualité des soins dans les urgences, ce qui est une grave carence en ce qui a trait à notre connaissance de l'état des soins d'urgence au Québec et ailleurs au Canada. Il y a des signes d'espoir toutefois. Par exemple, l'Ontario a établi des normes de performance voulant que 90% des visites à l'urgence des patients doivent durer moins de quatre heures ou de six heures, selon la gravité des cas. Cependant, l'objectif du ministère de la Santé du Québec de limiter à 12 heures en moyenne le temps d'attente dans les urgences semble, au mieux, peu motivant, ou au pire, un obstacle à l'amélioration. Quel administrateur, médecin ou infirmière souhaiterait faire preuve d'imagination, trimer dur et investir de rares ressources en sachant qu'il aurait encore les plus longues moyennes de temps d'attente au Canada une fois son objectif atteint?
Il est possible de réaliser des améliorations d'importance au chapitre du temps d'attente dans les urgences. D'autres autorités y sont parvenues. Des hôpitaux au Québec et au Canada le font. Le Québec a fait un pas dans la bonne direction en rendant publics les temps d'attente dans les urgences. Mais les vraies solutions vont exiger une attention de tous les instants et non pas de solutions miracles, une approche englobant tout le système, et non pas des retouches ici et là, la modernisation des pratiques dans les hôpitaux, l'attention à la qualité des soins, l'augmentation de la capacité, et un vrai leadership pour s'engager à fournir des soins d'urgence dans des délais respectables.
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Michael Schull
L'auteur est directeur de la médecine d'urgence à l'Université de Toronto et chercheur principal au Institute for Clinical Evaluative Sciences.


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