Une situation incontrôlable

Aucun des protagonistes de la dangereuse partie qui a commencé au Proche-Orient n'a de stratégie cohérente pour y mettre fin

Géopolitique — Proche-Orient


«L'objectif de cette opération n'est clair pour personne- ni le gouvernement, ni le premier ministre, ni l'armée israélienne et tous ses chefs », a écrit le journaliste Hagay Huberman dans le journal conservateur israélien Hatzofe. « Personne n'a essayé de calculer 20 coups à l'avance. Quant ils parlent d'opération en cours, ils veulent dire qu'elle continue à se dérouler de manière autonome et qu'au fur et à mesure, nous verrons tous à quoi elle mène », poursuit le journaliste.
En quelques jours à peine, la situation est devenue totalement incontrôlable. Les pistes de l'aéroport de Beyrouth sont pleines de trous après avoir été bombardées par les avions de chasse israéliens, Haïfa, la troisième ville d'Israël, a été touchée par des roquettes et l'armée israélienne a traversé la frontière sud du Liban. Les troupes israéliennes ont occupé le Sud-Liban pendant 18 ans après avoir envahi ce pays en 1982. Elles ont perdu des centaines d'hommes et ont tué des milliers de personnes avant leur retrait. À présent, elles sont de retour pour Dieu sait combien de temps.
Il y a moins d'un an, les forces de défense israéliennes ont évacué la bande de Gaza. Elles s'y trouvent à nouveau aujourd'hui, faisant sauter les maisons, les locaux de l'administration et les postes de police. Pas parce que leurs commandants pensent vraiment que cela les aidera à retrouver leur soldat qui a été enlevé, le caporal Gilad Shalit, mais parce qu'ils ne voient pas ce qu'ils pourraient faire d'autre. Toute la stratégie va à vau-l'eau et le premier ministre Ehoud Olmert n'a plus de plan. Il se contente de réagir mécaniquement- et lorsque les Israéliens sont confrontés à une menace sérieuse, leur réflexe habituel consiste à attaquer avec une force écrasante.
C'est compréhensisble puisque le principal atout d'Israël est précisément sa force écrasante. Ses forces armées sont incomparablement plus puissantes que celles des tous ses voisins mises ensemble. Lorsqu'on dispose d'un tel avantage, il paraît stupide de ne pas en profiter.
Sauf que gagner toutes les guerres et tuer des dizaines de milliers d'Arabes n'a pas l'air de résoudre le problème. Il n'y a que six millions d'Israéliens, et une centaine de millions d'Arabes vivent dans un rayon de 750 kilomètres autour d'Israël. Tôt ou tard, l'avenir à long terme de l'Etat hébreu passe par la réconciliation avec ses voisins- ce qui dépend avant tout de la paix avec les Palestiniens, les principales victimes de la création d'Israël.
Les élections palestiniennes qui ont porté au gouvernement le Hamas, hostile à toute forme de paix avec Israël, a aidé Ehoud Olmert à présenter cet argument. Le meurtre de deux soldats israéliens et l'enlèvement du caporal Shalit par l'aile militaire du Hamas, il y a trois semaines, auraient dû accréditer cette thèse, et c'est ce qui s'est passé au départ. Mais ensuite, la tentation d'user d'une force exagérée s'est imposée.
Depuis que Shalit est prisonnier, des frappes militaires israéliennes de plus en plus aveugles ont tué près d'une centaine de Palestiniens dans la bande de Gaza. Ailleurs, les Arabes informés de ces attaques ont été pris d'une rage impuissante jusqu'à mercredi dernier, où les guérilleros du Hezbollah, qui avaient chassé les Israéliens du Sud-Liban il y a six ans, ont traversé la frontière nord d'Israël, tué trois militaires israéliens et pris deux autres soldats en otages.
Tout le monde sait que le gouvernement libanais ne contrôle pas le Hezbollah, mais Israël a quand même fait porter à Beyrouth la responsabilité de ces actes, ordonné à ses blindés d'entrer au Liban et lancé une vague de raids aériens qui ont déjà coûté la vie à plus de 130 personnes, dont au moins sept Canadiens. Les otages n'en seront pas libérés pour autant, mais cela pourrait provoquer une guerre de plus grande ampleur où s'engagerait non seulement le Liban, mais aussi la Syrie. En tout cas, cela évite à Ehoud Olmert d'être taxé de « faiblesse », ce qui est toujours fatal pour un politicien israélien.
Le Hamas et le Hezbollah sont tous deux passés maîtres dans l'art de manipuler Israël pour le pousser à réagir de manière excessive (même si cela implique en fait qu'Israël détruira le peu d'infrastructures qui existaient dans la bande de Gaza et anéantira de nouveau celles du Liban). La superpuissance en miniature du Moyen-Orient sait très bien tout casser et aussi longtemps que la véritable superpuissance qui la soutient n'intervient pas, personne d'autre ne peut lui résister. Mais aucun des protagonistes de la dangereuse partie qui a commencé n'a de stratégie cohérente pour y mettre fin.
Gwynne Dyer
L'auteur journaliste indépendant canadien à Londres. Ses articles sur les affaires internationales sont publiés dans 45 pays.


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