Une province comme les autres

(...) M. Harper mise de façon aussi démagogique. Il fait le pari que le Québec profond réagira de la même façon que l'Alberta profond.

Harper et la culture



En 2006, ce n'est pas seulement le scandale des commandites et l'usure du pouvoir qui ont eu raison des libéraux. À leur grande surprise, les Canadiens avaient découvert en Paul Martin un leader mou et indécis, qui n'inspirait pas confiance.
Malgré les craintes qu'il suscitait, Stephen Harper apparaissait au contraire comme un homme de décision, qui savait ce qu'il faisait et faisait ce qu'il disait. Après deux ans et demi à la tête d'un gouvernement qu'il mène à coup de trique, on a appris que la détermination du premier ministre peut facilement se transformer en entêtement. Mais, contrairement à Stéphane Dion, qui peut être tout aussi buté, cela lui fait rarement commettre une erreur stratégique.
Quand il a vu l'opinion publique se mobiliser pour que la chef du Parti vert, Elizabeth May, soit invitée à participer au débat télévisé entre les chefs de parti, ses objections sont tombées rapidement.
Jusqu'à sa déclaration de mardi à Saskatoon, il aurait encore pu revenir sur les compressions dans les subventions à la culture. Tout autre que lui aurait jugé absurde de s'attirer autant de problèmes pour une question de 45 millions. Il n'y avait aucune nécessité d'en faire une question de principe. D'ailleurs, s'il avait su, il aurait sans doute attendu après les élections.
M. Harper ne laisse jamais échapper une phrase par inadvertance, même s'il refuse de la répéter en français. En déclarant que «les gens ordinaires» ne se sentent pas très interpellés par les lamentations d'artistes qui participent à «un gala fastueux entièrement financé par les contribuables», il était certainement conscient de franchir un point de non-retour.
S'il avait voulu s'assurer de solidariser les artistes d'un océan à l'autre, il n'aurait pas pu mieux dire. Hier, dans une belle démonstration d'unité nationale, l'Union des artistes (UDA) et l'Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (ACTRA) ont crié leur indignation d'une seule voix.
M. Harper a dû être ravi de voir Gilles Duceppe et Jack Layton bras-dessus bras-dessous au Club Soda. Son bonheur aurait été complet si Stéphane Dion et Elizabeth May avaient été de la partie.
On ne le dira jamais assez: la clé de toute la stratégie du Parti conservateur pour assurer son hégémonie sur la politique canadienne est de faire en sorte que le vote progressiste, y compris celui des amoureux des arts et des lettres, soit le plus divisé possible et de monopoliser le vote de droite.
Comme en 2006, la marée bleue risque de s'arrêter aux portes des grandes villes canadiennes, que ce soit Montréal, Toronto ou Vancouver, mais l'hinterland canadien offre suffisamment de possibilités d'expansion aux conservateurs pour leur assurer une majorité à la Chambre des communes.
En raison de leur situation linguistique unique en Amérique du nord, les Québécois ont toujours eu le sentiment d'entretenir une relation privilégiée avec la culture, leurs chanteurs, leur cinéma, leur télévision. Diane Lemieux l'avait exprimé maladroitement le jour de sa nomination au ministère de la Culture, en mars 2001, quand elle avait déclaré: «L'Ontario n'a pas de culture propre.»
Il n'en demeure pas moins qu'une certaine distance s'est établie. Samedi dernier, ma collègue Odile Tremblay déplorait les méfaits du vedettariat, qui avait faussé les perceptions. Les artistes québécois, perçus à tort comme une bande de privilégiés, sont en quelque sorte victimes de leur succès, ou plutôt de celui des meilleurs d'entre eux.
À cet égard, ils ne sont pas dans une situation différente de celle de leurs collègues du Canada anglais, qui sont victimes des mêmes préjugés sur lesquels M. Harper mise de façon aussi démagogique. Il fait le pari que le Québec profond réagira de la même façon que l'Alberta profond. Autrement dit, qu'au-delà des symboles, le Québec est bel et bien une province comme les autres. Jusqu'à présent, il faut bien constater que les sondages lui donnent raison.
Au printemps 2006, le dramaturge Michel Tremblay avait créé une commotion en déclarant qu'il n'arrivait plus à s'identifier au projet souverainiste parce que sa principale justification était devenue économique. «Il faut bâtir une société dont le centre sera autre chose que la maudite économie», disait-il.
Ses propos me sont revenus à l'esprit hier matin en entendant le président de l'UDA, Raymond Legault, expliquer que l'industrie culturelle avait deux fois l'impact économique de l'extraction du pétrole et du gaz, cinq fois celui de l'industrie automobile. Quand il est question d'âme, les chiffres ne sont pas les arguments les plus convaincants.


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