Une génération nihiliste?

Éducation au Québec — effondrement du système


Contrairement aux idées reçues, les cégépiens d'aujourd'hui valorisent le savoir et leurs études, avant la consommation et le divertissement.
À entendre la rumeur publique, alimentée à souhait par les médias, les jeunes sont incultes, indifférents au monde qui les entoure et ils ne tiendraient à aucune valeur. Pour tout dire, les jeunes seraient nihilistes! Et quand ils ont des valeurs, ce serait celles dictées par l'économie marchande, soit la consommation et le divertissement. Ils y seraient passivement asservis selon certains carburant généreusement aux préjugés.
Ces représentations ne sont pas sans déteindre malencontreusement sur le portrait des cégépiens. Ils seraient porteurs du même mal! Une récente enquête réalisée dans l'ensemble des collèges du Québec auprès de 1729 étudiants s'inscrit en faux contre ces mythes entretenus à leur égard. Voyons de plus près.
Les valeurs des cégépiens
Cette enquête nationale effectuée au printemps dernier a mis en évidence l'existence d'un système de valeurs prédisposant au savoir et aux études collégiales chez les cégépiens. C'est ainsi que des énoncés de valeurs tels que l'acquisition de connaissances, la compétence professionnelle, la méritocratie- soit l'importance de l'effort pour réussir-, bien faire les choses et l'autonomie, figurent au premier rang des énoncés de valeurs retenus par les étudiants. À mi-chemin, on retrouve d'autres énoncés tels que l'importance de posséder une culture générale et la signification que revêt le diplôme d'études collégiales pour les étudiants.
Les valeurs liées au monde de la consommation et du divertissement sont présentes bien sûr- les enfants du cyberespace sont aussi le produit de la société de consommation- mais elles sont secondarisées dans l'esprit des cégépiens par rapport à leurs études. Ainsi, les énoncés de valeurs se rapportant à l'apparence, à la consommation de biens matériels ou à l'argent vite fait, se situent au bas du tableau des énoncés de valeurs.
Globalement, les cégépiens sont pragmatiques et ouverts à la différence- ce sont aussi les enfants des chartes des droits pour qui le racisme, l'homophobie ou le sectarisme religieux par exemple ne font pas partie de leur vision du monde. Et les études collégiales constituent pour la majorité d'entre eux un parcours significatif en lien étroit avec leur avenir personnel et professionnel.
Sur un autre registre, nous avons mesuré l'impact du système de valeurs des cégépiens sur des indicateurs de la réussite scolaire. Il appert que des valeurs telles que l'importance accordée aux études, à l'effort pour réussir, à la famille et au diplôme collégial sont positivement associées à un bon rendement scolaire ou à une persévérance accrue aux études collégiales. Inversement, ceux et celles privilégiant des valeurs liées au monde de la consommation et à la culture de l'immédiateté (ce qui importe c'est le moment présent), présentent des risques plus imminents à l'échec et à l'abandon scolaires.
Une génération qui s'exprime bien
Les valeurs des collégiens ne sont pas le seul déterminant de la réussite scolaire. Des facteurs tels que la qualité de contact avec les professeurs, le soutien familial, les conditions socioéconomiques ou le bien-être personnel par exemple exercent un rôle certain sur la trajectoire scolaire des élèves. Cependant, selon nos résultats, le système de valeurs des cégépiens, conjugué à d'autres facteurs, représente un fil conducteur de la réussite. En particulier, il constituerait un facteur décisif chez les élèves masculins à risque d'échec et d'abandon scolaires.
La bonne nouvelle consiste au fait que la grande majorité des cégépiens ont dans leur mire la réussite de leurs études. Elle loge au premier plan de leurs valeurs. C'est ainsi que 78 % des collégiens estiment " très importante " cette réussite (83 % chez les filles, 63 % chez les garçons). On est loin du désabusement collectif que certains croient déceler dans les nouvelles générations.
Le repérage des principaux indicateurs de l'enquête nationale nous fait donc voir un profil de cégépiens se sentant bien au collège, engagés dans leurs études et valorisant le savoir. Informés, critiques et créatifs, s'exprimant avec facilité, ils réclament de leurs enseignants une pédagogie certes exigeante mais aussi variée dans ses méthodes afin qu'ils se réapproprient les apprentissages, les connaissances.
Le cégep est pour eux un lieu de développement personnel et de préparation de leur avenir professionnel. Et ils s'y investissent: les élèves consacrent en moyenne 12 heures par semaine à leurs études (près du cinquième y accorde 20 heures et plus sur une base hebdomadaire) et 85 % considèrent leur charge de travail comme « élevée « ou « très élevée ». (...)
Des cégépiens incultes, indifférents et sans valeurs où le collège serait une oasis de passage laissant libre cours à leur errance existentielle? Fadaise que tout cela! Ce n'est pas la première fois que les représentations populaires ne s'accordent pas avec la réalité. Ces cégépiens ont plutôt besoin d'enseignants qui croient en eux, en leur potentiel réel, de parents qui les appuient moralement et financièrement- ils sont un facteur de persévérance aux études selon nos travaux- et d'une population qui reconnaît en eux un investissement pour l'avenir de la société.
Jacques Roy
_ L'auteur est professeur au cégep de Sainte-Foy et membre-chercheur à l'Observatoi re Jeunes et Société de l'INRS.

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L’auteur est professeur au cégep de Sainte-Foy et membre-chercheur à l’Observatoire Jeunes et Société de l’INRS.





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