Barcelone — Alors que les partis nationalistes semblent assurés de la victoire, la campagne électorale catalane s’est achevée hier dans un parfum de scandale. « C’est la campagne la plus dure et la plus sale de l’histoire de la Catalogne », a déclaré à la télévision le président Artur Mas.
Le mois dernier, le candidat du parti nationaliste Convergencia i Unio (CiU) a précipité ces élections afin de demander aux électeurs de lui donner le mandat de tenir un référendum sur l’indépendance de la Catalogne après la manifestation indépendantiste du 11 septembre dernier qui avait rassemblé un million et demi de personnes à Barcelone.
Depuis plusieurs jours, les révélations publiées par le journal de droite de Madrid El Mundo sont venues perturber le débat. Selon le quotidien proche des milieux les plus conservateurs, un rapport de police révélerait qu’Artur Mas ainsi que le leader nationaliste Oriol Pujol, fils de l’ancien président Jordi Pujol, auraient des comptes en Suisse.
L’information a été qualifiée de « calomnie » par le procureur fiscal de Catalogne, Martin Rodriguez. Les représentants d’un syndicat de policiers ont aussi affirmé vendredi que le rapport en question ne mentionnait pas directement Mas et Pujol.
En tête
Artur Mas a accusé le Partido Popular (PP) de Mariano Rajoy de ne « pas être étranger » à ces « calomnies » qui rappellent, dit-il, « une époque pré-démocratique ». Représentant d’une droite dure, El Mundo est le journal qui, en 2004, avait laissé entendre que l’attentat du 11 mars à la gare d’Atocha était le fait des terroristes basques et non des islamistes.
Les sondages les plus récents, qui mettent tous CiU en tête sans pour autant lui accorder la majorité absolue, semblent laisser croire que ces révélations n’ont guère influencé les électeurs catalans, qui s’apprêtent à porter au pouvoir une majorité composée de partis nationalistes en faveur du référendum.
« Ces supposées révélations nous rappellent les pires méthodes du franquisme, dit la columnist du quotidien la Vanguardia Pilar Rahola. Les traditions démocratiques sont fragiles en Espagne et il subsiste à Madrid des milieux qui n’ont pas totalement rompu avec la vieille mentalité impériale. Mais les électeurs ne sont pas dupes et cela pourrait favoriser la réélection d’Artur Mas. Toutefois, on a peut-être rompu le dernier fil qui lui permettait de renouer un dialogue avec Madrid. »
« Veut-on transformer l’Espagne en une prison pour les Catalans ? », a demandé Mas. Dans son dernier meeting de campagne, au Stade San Jordi, à Barcelone, le leader de CiU a à nouveau réclamé des électeurs une majorité absolue en chambre. Si CiU semble assuré d’arriver en tête, la majorité absolue (68 députés sur 135) reste très difficile à atteindre dans le système électoral catalan et représenterait un événement exceptionnel.
Rajoy en première ligne
Dans les derniers milles de la campagne, le président du gouvernement espagnol a lui aussi sorti l’artillerie lourde. Il a accusé Mas de « tromper » les Catalans avec son projet souverainiste qui, dit-il, « ne mènera nulle part ». Il n’est pas question, dit-il, de « permettre à quiconque d’arracher les Catalans à l’Espagne et à l’Union européenne ».
Madrid semble prête à tout pour empêcher tout référendum en Catalogne. Avec son leader catalan Alicia Sanchez Camacho, le très centralisateur PP a toujours été minoritaire dans cette région autonome.
La place du second parti de Catalogne jusque-là dévolue aux socialistes pourrait être convoitée dimanche par Esquerra republicana (ERC), l’autre parti indépendantiste, de centre gauche celui-là.
Contrairement à CiU qui a longtemps maintenu un flou artistique sur le sujet, ERC propose l’indépendance pleine et entière de la Catalogne depuis les années 30. « Dans cette élection, ERC est perçu comme une police d’assurance, dit le politologue Onno Seroo, de l’Université Ramon Lull. Beaucoup d’électeurs voteront pour ERC afin de s’assurer que CiU ne reculera pas sur le référendum et l’indépendance ».
Le leader d’ERC, l’historien Oriol Junqueras, a terminé sa campagne en apposant symboliquement une nouvelle étoile sur le drapeau de l’Union européenne. « On aura trahi la volonté des citoyens et de ceux qui ont manifesté le 11 septembre dernier si la prochaine législature se termine sans la tenue d’un référendum ou d’une consultation sur l’indépendance », a-t-il déclaré.
Crise chez les socialistes
Assis entre deux chaises, les socialistes (PSC) pourraient être les grands perdants de cette élection. Leur publicité télévisée met d’ailleurs en scène un homme assis à une table où les convives s’engueulent mais qui ne semble pas vouloir prendre part à la discussion.
Défenseur depuis peu d’un « fédéralisme » qu’il n’a guère vraiment défini, « le parti est en chute libre dans ses anciens châteaux forts des banlieues ouvrières de Barcelone », dit Marta Rovira, de la maison de sondages GASPS.
Certains observateurs, comme Pilar Rahola, vont jusqu’à prédire une scission entre son aile espagnoliste et son aile catalaniste si le PSC devait faire élire moins d’une vingtaine de députés dimanche. Selon le politologue Onno Seroo, le problème du PS, c’est que « le fédéralisme n’a jamais vraiment eu de bases en Espagne ».
Il faudra aussi surveiller dimanche les résultats du petit parti d’ultra gauche Initiativa per Catalunya Verds (ICV). Ces anciens communistes devenus aussi écologistes sont crédités d’une dizaine de sièges. Ils soutiennent l’idée d’un référendum même s’ils hésitent toujours entre de « nouvelles bases fédérales » et « la pleine souveraineté ». Le parti recrute largement parmi les nationalistes déçus du PSC.
Hier, Artur Mas a conclu sa campagne par un geste symbolique. Il a visité le marché del Born, à Barcelone, lieu symbolique où se trouvent des ruines de la ville assiégée par Felipe V en 1714, date de la soumission du royaume de Catalogne à l’Empire espagnol.
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Les forces en présence
Pour le référendum
CiU: la coalition nationaliste de centre droit (qui a dirigé la Catalogne de 1980 à 2003 et depuis 2010) est devenue ouvertement souverainiste depuis quelques années. Son leader, Artur Mas, a succédé à Jordi Pujol, souvent considéré comme le René Lévesque catalan. 62 députés en 2010. Créditée de 64 ou 66 sièges.
ERCL: parti indépendantiste de gauche qui avait soutenu le gouvernement socialiste en 2006 et pourrait assurer dimanche la majorité aux souverainistes. 10 députés en 2010. Crédité de 17 ou 18 sièges. Son leader : Oriol Junqueras.
ICV-EUIA: parti d’ultra gauche et écologiste qui soutient l’organisation d’une consultation populaire même s’il hésite entre fédéralisme et souveraineté. 10 députés en 2010. Crédité de 12 ou 13 sièges. Son leader : Joan Herrera.
Contre le référendum
PPC: parti de la droite conservatrice qui a fait campagne sur le thème « La Catalogne oui, l’Espagne aussi ». Le parti est violemment opposé à tout référendum catalan. Pour le PP, la souveraineté réside à Madrid, et l’Espagne est une nation indivisible. 18 députés en 2010. Crédité de 17 ou 18 sièges. Son leader : Alicia Sanchez Camacho.
Ciutadans: parti de gauche, laïque, antinationaliste, opposé à tout statut particulier pour la langue catalane. 3 députés en 2010. Crédité de 6 ou 7 sièges. Son leader : Albert Rivera.
Entre les deux
PSC: depuis peu « fédéralistes », les socialistes sont à peu près les seuls à défendre cette idée en Espagne. Partisans d’une consultation populaire en Catalogne mais dans la stricte légalité. Ils risquent donc de mettre un bémol si Madrid déclare le référendum illégal, comme cela semble prévisible. 28 députés en 2010. Crédités de 16 ou 18 sièges. Son leader : Pere Navarro.
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