L'Affaire du rapatriement

Une élection s'impose et vite

Pour arrêter le fédéralisme centralisateur

Tribune libre

Le Québec se fera-t-il encore une fois rouler dans la farine? Si la tendance se maintient, il y a lieu de craindre que l'histoire se répète, presque inexorablement. Le PQ ne semble pas bien jauger l'ampleur de la crise constitutionnelle qui guette le Canada si toute la lumière devait être faite sur l'instrumentalisation de la Cour suprême par l'administration fédérale au cours des 40 dernières années au moins. C'est l'ensemble de l'édifice constitutionnel canadien qui s'écroulerait.
MINORITAIRE
En page A-7 du Devoir de ce matin, le 13 avril 2013, nous apprenons que le gouvernement québécois veut rassembler «un consensus fort» à l'Assemblée nationale avant d'engager le combat. Son plan? Une motion unanime qui exigerait d'abord que le fédéral ouvre ses dossiers concernant le rapatriement et, ensuite, qu'il confie à un ex-juge de la Cour la tâche d'enquêter sur ce détournement quasi séditieux du principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire. Est-ce assez?
D'abord, le PQ n'obtiendra jamais un consensus fort de la part des autres partis dans cette affaire. Du côté du Parti libéral, on comprend très bien l'ampleur de la tempête qui gronde à l'horizon, ce qui fait que ses dirigeants feront de leur mieux pour éteindre les projecteurs au plus vite. À la CAQ, c'est le contraire. On ne le comprend pas le problème. D'ailleurs, François Legault est à ce point désireux de montrer patte blanche aux fédéralistes qu'il s'efforcera de mettre la pédale douce en rapport avec toute initiative le moindrement agressive pour faire la lumière sur ce gigantesque scandale. La réponse est ailleurs.
Mais, même s'il y avait consensus, que vaudrait une motion unanime de l'Assemblée nationale dans les circonstances? Au cours de son histoire, l'Assemblée en a probablement adoptée des centaines de motions unanimes pour dénoncer tel ou tel geste du gouvernement fédéral, ne suscitant qu'indifférence là-bas. Savez-vous ce qu'on en fait des motions unanimes du Québec à Ottawa? On se torche avec. Point, à la ligne.
Maintenant, que vaudrait une enquête du fédéral sur un scandale fédéral? Cela équivaudrait à demander à Al Capone d'enquêter sur Al Capone. On aura compris que cette approche jouxte le vaudeville.
Les machinations malodorantes que l'on dénonce aujourd'hui au gouvernement du Québec dépassent largement le cadre du seul rapatriement. C'est l'ensemble de la jurisprudence de la Cour suprême des quarante dernières années qui est remis en cause. Ne nous trompons pas. Le pacte fédératif a été rompu.
SYSTÈME
Fondamentalement, Pierre Trudeau, le père de Justin, et ses complices ont mis en place une gigantesque mécanique visant à utiliser la Cour suprême pour modifier la constitution. Et, avec le bénéfice du recul, on peut heureusement en faire la preuve.
Prenons, par exemple, le cas des valeurs mobilières, jadis une compétence exclusive des provinces. En 1979, Consommation et Corporations Canada publiait un rapport à l'effet que ce domaine était de juridiction fédérale. Frank Iacobucci et Peter Hogg faisaient partie des auteurs du rapport en question. Peter Hogg y traitait des aspects constitutionnels. En 1982, la Cour suprême se servait de cet ouvrage pour attribuer une compétence au Parlement en matière de valeurs mobilières. Au milieu des années 80, Frank Iacobucci devenait sous-ministre fédéral de la Justice. Dans le cadre de ses fonctions, il a eu une rencontre avec le juge en chef Brian Dickson afin de discuter du libellé d'un projet de loi que le fédéral voulait utiliser pour envahir le secteur des valeurs mobilières. Brian Dickson est ce juge, qui, en 1982, se servait du rapport de 1979 pour tasser les valeurs mobilières du côté fédéral. En 1991, Frank Iacobucci se retrouvera lu iaussi à la Cour suprême du Canada où, en 2000, il se sert de son rapport de 1979 pour parler favorablement d'une compétence fédérale concernant les valeurs. Belle carrière.
En 2012, la Cour suprême tranchera en faveur du fédéral, malgré ses bons mots pour les provinces. Peter Hogg comptait parmi le groupe des plaideurs fédéraux. Grosso modo, la Cour a attribué au fédéral un pouvoir de légiférer concernant le risque systémique et les produits dérivés. En d'autres mots, les gens d'Ottawa ont obtenu à peu près ce qu'ils voulaient. Les provinces gardent leur compétence sur le secteur des rapports entre l'industrie et les investisseurs au détail, alors que le fédéral acquiert celle de réguler le fonctionnement du marché et la capitalisation des courtiers. N'oublions surtout pas que les produits dérivés incluent les options sur les actions et les contrats à terme sur les indices boursiers. En d'autres mots, la Cour a laissé Vincent Lacroix et Earl Jones au Québec, alors qu'elle a servi le fonctionnement du marché au fédéral sur un plateau d'argent. De retour à la pratique, Frank Iacobucci a obtenu des mandats du gouvernement fédéral à titre d'avocat. Au Québec, on a qualifié l'avis de la Cour de victoire inconditionnlle. Triste.
Et cela n'est qu'un exemple de l'oeuvre perverse de la Cour suprême au cours de 40 dernières années. Il existe, au ministère des Affaires intergouvernementales, un rapport à l'effet que les décisions de la Cour suprême ont eu pour effet de modifier le partage des compétences en faveur du fédéral, surtout dans les questions économiques. Alors, avis à François Legault qui se targue d'être le champion de l'économie au Québec. C'est l'ensemble de l'édifice constitutionnel canadien qui est contaminé.
En 1776, l'indépendance des tribunaux faisait partie des griefs des colonies américaines vis-à-vis du pouvoir impérial. Leurs récriminations d'ordre économique étaient cependant tout aussi pressantes.
ÉCONOMIE
Ne nous le cachons pas, le Québec vit sous la tutelle économique du Canada anglais. Les politiques économiques du gouvernement fédéral lui sont systématiquement défavorables et il doit se contenter de péréquation, avec les humiliations qui en découlent.
Nous avons d'ailleurs eu droit à deux exemples typiques de cette situation la semaine dernière. Et, tout indique que cela ne fait que commencer.
Il a d'abord fallu écouter les propos insultants de Michael Binnion, PDG de Questerre Energy, qui a tout bonnement traité le Québec «d'assisté social» qui ne veut pas travailler. Sans exploitation du gaz de schiste, pas de péréquation, a-t-il menacé avec arrogance (Devoir, 10-04-13, p., B-1). Et, dire que les Québécois ont encaissé cette injure sans même une grimace. Ailleurs, on parle de forcer le Québec à hausser ses tarifs d'électricité, sous la même menace.
Deux jours plus tard, c'était au tour du ministre fédéral des Ressources naturelles, Joe Oliver, de nous informer du fait que le pipeline des sables bitumineux était une question «d'intérêt national», donc de juridiction fédérale (Devoir, 12-04-13, p., A-7). On aurait apprécié qu'il fasse preuve de la même arrogance avec le gouvernement de la Colombie-Britannique.
Comprenons bien la situation. Le Canada est au bord d'un séisme économique cinq étoiles. Le secteur immobilier a entamé la phase de l'implosion. Et, la bulle des sables bitumineux est sur le point d'éclater. Le pétrole des sables bitumineux affiche des côuts de production de 90 $ le baril, alors que le saoudien fait 10 $ et le pétrole de schiste américain 55 $. À l'heure actuelle, le pétrole des sables n'est pas rentable. Et, la Réserve fédérale parle de replier un peu sa politique d'assouplissement. Cela n'annonce rien de bon pour le prix des ressources.
On aura tous compris que monsieur Oliver veut que le Québec fasse les frais de la déroute économique qui guette le Canada. En achetant le pétrole cher de l'Alberta, le Québec se paierait sa péréquation à lui-même. Mais, on continuerait de le traiter d'assisté social qui ne veut pas travailler. L'histoire qui se répète. En 2009, l'aide fédérale est allée au secteur automobile et aux banques, pas au Québec.
Monsieur Legault, que restera-t-il au Québec comme pouvoir économique si on ne renverse pas la situation au plus vite? Vincent Lacroix? Earl Jones?
ÉLECTION
Le gouvernement québécois n'obtiendra pas un appui fort de monsieur Legault qui veut montrer patte blanche aux fédéralistes ni de Monsieur Couillard qui, lui, veut «signer la constitution». Une élection s'impose et vite. D'ailleurs, les défis qui se dressent devant le Québec à l'heure actuelle commandent une décision du peuple. Si le Parti québécois s'attaque à ces défis à titre de gouvernement minoritaire, il pose un geste coupable. Et, il ne vaut pas mieux que ces Québécois qui ont contribué à instrumentaliser la Cour suprême en faveur du gouvernement fédéral.
Le thème de l'élection? Une enquête québécoise publique sur le bris du pacte fédératif par l'entremise de la Cour suprême. Il faudra, dans la mesure du possible, faire toute la lumière sur l'instrumentalisation de la Cour par la machine fédérale. Une enquête de la même nature s'impose également sur l'impact des politiques économiques fédérales sur l'économie du Québec. On appauvrit le Québec et on se sert ensuite de la Cour suprême et de la péréquation pour lui dicter ses politiques économiques.
Ne lui a-t-on pas volé sa Bourse des dérivés? Ne veut-on pas le forcer à exploiter le gaz de schiste? N'essaie-t-on pas de lui imposer le pétrole des sables bitumineux? Ne parle-t-on pas de le forcer à augmenter ses tarifs d'électricité? What's next? Il ne s'agit pas là de défis que le Québec doit affronter avec un gouvernement minoritaire.
Le PQ sera-t-il à la hauteur?


Laissez un commentaire



6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    17 avril 2013

    «Ce n'est pas la première fois que l'Assemblée nationale a des résolutions unanimes dans des dossiers qui concernent le gouvernement fédéral.» Maxime Bernier, (Devoir, 17 avril 2013, p., 1)
    Que vous avais-je dit?
    Louis Côté

  • Marcel Haché Répondre

    16 avril 2013

    Le P.Q. sera-t-il à la hauteur ?
    Le P.Q. sera à la hauteur s’il cesse de vouloir se faire des amis avec ses ennemis. Qu’il soit minoritaire ou majoritaire, le P.Q. ne peut former que des gouvernements assiégés. S’il devenait majoritaire et passait son temps à chercher des consensus avec les partis à genoux, le prix de tous les consensus possibles et imaginables sera toujours que le P.Q. se mette à genoux lui-aussi.
    Gagner la prochaine élection est un must. S’emparer ensuite de l’état pour s’extraire de la partisannerie, notre dernière chance. Pour le moment, la balle est dans le camp des indépendantistes, qui refusent de donner un grand coup… chacun dans son coin étant persuadé d’avoir la recette du Grand Soir Parfait, et même du Québec parfait.
    Le Canada n’a pas autant de prétentions à la perfection, cependant il triomphe jusque chez nous.

  • Archives de Vigile Répondre

    15 avril 2013

    Demander à la Cour d'appel de se prononcer sur la question de savoir si le pacte fédératif a été rompu pourrait après tout s'avérer risqué. Le pacte fédératif a été rompu et il suffit pour le constater de remonter les décisions relatives au partage des compétences depuis 1867. Mais, des juges nommés par Ottawa le reconnaîtraient-ils, connaissant les conséquences politiques d'une décision en ce sens? Le fédéral, il sait les choisir ses juges...
    Louis Côté

  • Archives de Vigile Répondre

    15 avril 2013

    Vigile a modifié mon texte en y ajoutant le sous-titre «Pour arrêter le fédéralisme centralisateur». J'estime nécessaire d'intervenir, parce qu'il ne s'agit pas nécessairement d'un détail. Il faudra plus qu'arrêter le fédéralisme centralisateur. Il faudra au moins le faire régresser. La Cour suprême a en effet eu le temps de réaliser la majeure partie du plan sournois du père de Justin. Mais le Québec a un outil...la nullité de la constitution en raison de l'absence d'une version française officielle. Le Québec pourrait peut-être également demander un avis à sa Cour d'appel sur la question de savoir si le pacte fédératif a été rompu, en ajoutant qu'il considérera l'avis comme final. Pas question de se fier à...la Cour suprême.
    Dans un autre ordre d'idée, je peux d'ores et déjà vous informer du fait que la crise qui se développe présentement au sujet de la Cour suprême inquiète Ottawa. Les menaces voilées de poursuites judiciaires ont commencé à faire surface. Ce n'est surtout pas le moment de casser. Le scandale est gigantesque. Et, il va bien au-delà du seul rapatriement. Prenez ma parole, le poisson est gros...et c'est un requin. Il va falloir des nerfs d'acier.
    Le PQ sera-t-il à la hauteur?
    Louis Côté

  • Archives de Vigile Répondre

    15 avril 2013

    «National Bank's Fournier (Pierre), estimates shale producers can make money when oil prices are in the $60 to $70 range, about $20 a barrel less than what the oil sand requires.» (Oil Sands Bust, Maclean's, Feb., 11, 2013, p., 42)
    «Alors qu'il faut compter 10 dollars par baril pour les hydrocarbures du Moyen-Orient, le chiffre monte à 50-70 dollars pour l'offshore profond et les huiles de schiste et grimpe jusqu'à 90 dollars pour le pétrole lourd canadien. Cela définit une limite au-dessous de laquelle les prix de vente ne peuvent durablement descendre.» (Sera-t-on noyé sous le pétrole?, Nouvel observateur, 21 février, 2013, p., 36)
    Alors, il vous faudra peut-être aller faire la leçon à Maclean's et au Nouvel O.
    Salutations,
    Louis Côté

  • Alain Maronani Répondre

    13 avril 2013

    "Le pétrole des sables bitumineux affiche des côuts de production de 90 $ le baril, alors que le saoudien fait 10 $ et le pétrole de schiste américain 55 $"
    Vous rêvez en couleur ?
    Le coût actuel de production en Alberta est de l'ordre de 55 $ le baril et les coûts de production sont en décroissance en permanence.
    En ce qui concerne le pétrole saoudien pourquoi donc tout le monde n'en achète t-il pas à ce prix là ? Vous êtes vous posé la question ?
    Tout simplement parce que à l'image d'autres producteurs de pétrole de par le monde, l'Arabie Saoudite en consomme de plus en plus à l'interne et en exporte de moins en moins...
    Ce qui compte ce n'est pas le prix de revient mais le prix de vente et a ce titre la production mondiale n'a pas augmentée les 5 dernières années, les nouvelles sources (schiste) arrivant tout juste a compenser les pertes des 5 compagnies majeures (pour vous donner une idée BP produit 20 % de moins qu'il y a 5 ans).
    "Saudi Arabia was one of the countries that bought peace in order to avoid social unrest. This “peace” is represented by a $125 billion spending program which amounts to 30% of GDP. It’s a domestic fiscal stimulus in order to tackle high unemployment amongst the national through a massive public investment program which includes building new cities, ports and expanding their oil production capacity.
    “The break-even oil price the Gulf kingdom requires to balance its budget will jump from $68 last year to $88 this and then $110 in 2015, according to new estimates by the Institute of International Finance, a leading industry group.”
    Pour le pétrole et le gaz de schiste ne croyez pas ce que l'on peut entendre de gauche et de droite, il s'agit surtout d'une immense bulle financière qui va comme la bulle Internet des années 2000, exploser.
    Les producteurs de gaz aux Etats-Unis, engagés dans la production de gaz de schiste ou de pétrole, perdent de l'argent actuellement parce qu'il est nécessaire de forer en permanence de nouveaux puits, la ressource s'évanouissant beaucoup plus vite que les puits classiques...ce qui veut dire qu'il faudra maintenir des prix de vente élevés.
    Le pétrole bon marché a été largement exploité et le prix de vente de celui qui est maintenant disponible ne baissera pas beaucoup...car il coûte beaucoup plus cher a produire...
    Avez-vous vu le prix de l'essence en baisse ?
    Cette idée, distillée sur Vigile, que le Canada va s'écrouler parce que le prix du baril va s'écrouler est tout simplement sans fondements sérieux...
    Pour la crise immobilière, probable, avec l'emploi dans le secteur de la construction, représentant 27 % de l'emploi total au Québec, le Canada, faites moi confiance ne sera pas seul...et le Québec sera aussi dans la mélasse !!!