Une croisade illégitime

70 % des Québécois sont opposés à l’intervention canadienne en Afghanistan.

NON à l'aventure afghane


(Photo Reuters)

De par son appartenance au Canada et bien que, selon les derniers sondages, 70 % de sa population y soit opposé, la nation québécoise est aujourd’hui engagée dans une occupation militaire de longue durée de l’Afghanistan, dans le cadre d’une guerre contre des intégristes musulmans sunnites pour qui, sans l’ombre d’un doute, cette guerre est une guerre religieuse.

Et, puisqu’à compter de maintenant, et jusqu’à la fin de l’année 2007, ce sont des soldats québécois qui constitueront le gros des troupes canadiennes envoyées en première ligne dans ce pays, nous verrons bientôt revenir, dans des cercueils ou sur des civières, des dizaines de jeunes Québécois conscrits dans cette croisade des temps modernes.
Dans ce contexte, il me paraît plus que raisonnable de se poser des questions, aussi dérangeantes soient-elles, sur cette entreprise guerrière et cela, sans se faire accuser de lâcheté par les militaristes à tout crin qui sévissent ces jours-ci dans les médias québécois et canadiens. En voici cinq qui me tracassent :
1. En vertu de quelle légitimité démocratique la nation québécoise est-elle contrainte par le gouvernement canadien de participer à une guerre engagée par l’OTAN à la demande des États-Unis, avec l’appui du Conseil de sécurité des Nations unies, alors que notre nation n’a pas été consultée par ce gouvernement et que, par ailleurs, elle n’est représentée ni à l’OTAN ni aux Nations unies ? « No taxation without representation », affirme l’un des principes les plus fondamentaux de la démocratie. Ne peut-on par analogie et avec autant de justesse prétendre : « No war without representation » ?
2. Comment concilier le discours officiel du gouvernement canadien, à savoir que nous ne sommes pas en Afghanistan pour faire le sale boulot des États-Uniens mais pour y défendre la démocratie à la demande du gouvernement démocratiquement élu d’Hamid Karzaï, avec les faits suivants. Ce gouvernement a été élu en 2004 lors d’élections où n’a pu voter qu’une faible partie de la population ; il ne contrôle, dans les faits, que Kaboul et sa région immédiate ; selon tous les observateurs impartiaux, il compte dans ses rangs de nombreux seigneurs de la guerre aux mains tachées de sang et il est corrompu au plus haut niveau ; selon une enquête menée au hasard auprès de 17 000 Afghans du sud et de l’est du pays, 80,4 % de la population afghane estime que les troupes étrangères n’aident pas leur peuple.
3. Comment justifier que des soldats québécois participent à des actes de guerre qui vont clairement à l’encontre de nos valeurs, en particulier le bombardement volontaire de cibles civiles par l’aviation de l’OTAN et la remise des prisonniers aux autorités afghanes qui pratiquent sur eux la torture ? Soulignons que, selon les chiffres de l’OTAN, plus de 5500 civils afghans ont perdu la vie depuis le début de l’occupation.
4. Comment concilier la prétention du gouvernement canadien que nous sommes engagés en Afghanistan dans « une mission de paix et de reconstruction » avec les faits suivants. De 2001 à 2004, sur les 9,7 milliards de dollars promis par les pays occidentaux pour l’aide à la reconstruction, à peine 3,7 milliards ont été versés, c’est-à-dire moins que le coût militaire de la seule mission canadienne ; de 2000 à 2006, la part afghane de la production illégale de l’opium dans le monde est passée de 70 % à 92 %.
5. Les quelque quatre milliards de dollars que le gouvernement canadien « investit » dans cette guerre (dont environ 25 % provient des impôts des Québécois) ne seraient-ils pas mieux utilisés à soutenir réellement la reconstruction de l’Afghanistan par une aide directe et massive aux ONG, aux organisations de la société civile et aux mouvements démocratiques qui œuvrent dans ce pays ?
Tant que des réponses claires ne seront pas apportées à ces questions, je ne vois pas comment il serait moralement acceptable d’envoyer mourir les jeunes Québécois dans cette guerre pour le moins douteuse et probablement vouée à l’échec.
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Pierre Graveline
Écrivain et éditeur associé chez Fides, l’auteur s’exprime ici à titre personnel.


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