Une coquille vide, évidemment, mais utile aux conservateurs

Tribune libre 2008

La nouvelle donne politique.
Au Québec, ce qui est au centre de la stratégie des conservateurs, c’est la reconnaissance de la nation québécoise dans un Canada-Uni. C’est une coquille vide, évidemment. Vide, mais utile aux conservateurs. Vide, mais en ce moment seulement. Étonnamment, c’est le fait que ce concept soit vide, justement, qui en fait une stratégie si redoutable.
Cette stratégie permet, en effet, aux conservateurs d’envahir d’autres territoires politiques québécois, antérieurement considérés comme chasse gardée des nationalistes québécois, en particulier du Bloc. L’énoncé de la « nation québécoise », tout simple et tout vide qu’il est, a ceci d’habile---et de très détestable !--- qu’il mine la crédibilité du Bloc dans sa prétention à « défendre les intérêts du Québec », auprès d’une partie importante de l’électorat québécois. Parce qu’il est vide, en effet, ce concept stratégique des conservateurs ne prête flanc à aucune critique fondamentale. Les constitutionnalistes canadiens et québécois restent sagement à l’écart. Et au plan politique, l’énoncé est éminemment téflon : tous les adversaires des conservateurs, y compris le Bloc, piégé, lui, sont pris de court : ils dénoncent le concept, ou s’en moquent, ou le prennent à leur compte, puis retournent rapidement à leurs discours ron-ron habituels.
En conséquence, l’électorat québécois peut être charmé, et les conservateurs font un millage d’enfer sur bien d’autres sujets, souvent mineurs, avec cet énoncé politique dans leur poche, et, bientôt, fort possiblement aussi, ils pourront faire du millage au plan électoral. Danger.
Que faire ? Nous devrions remarquer plus nettement que les conservateurs s’adressent facilement aux nationalistes, parce qu’ils ne craignent plus les nationalistes. Et ils ne craignent pas les nationalistes parce qu’ils sont eux-mêmes nationalistes. Voilà la première conséquence politique stratégique de la mort du P.L.C. au Québec (chez les franco).Les libéraux fédéraux ont longtemps été les « fédérateurs », l’ennemi commun, des nationalistes québécois. Ils ont été longtemps les infâmes. Les libéraux infâmes ! Les conservateurs ont mis fin à cette politique. Ils l’abandonnent et la laissent aux libéraux. Ils ne la reprennent pas. Ce faisant, cela signifie la fin des libéraux fédéraux au Québec.
Ainsi, de peine et de misère, par fidélité indéfectible, après être venu à bout des libéraux fédéraux, voilà que le Bloc doit faire face maintenant à un adversaire bien différent…et plus redoutable. Les conservateurs de Harper n’entendent donc pas prendre le relais des libéraux fédéraux. Inutile, donc, de traiter les conservateurs comme s’ils étaient simplement des libéraux qui seraient devenus bleus. Ils sont d’une toute autre nature que celle des libéraux. Ceux-ci ont connu beaucoup de succès dans le passé (depuis Trudeau) en s’attaquant aux nationalistes québécois. Et ils étaient payés en retour par leurs succès en Ontario. Tout cela est maintenant terminé. Je crois---j’espère--- de façon définitive.
Enfin, les sondages en témoignent, les conservateurs n’essaient pas de concurrencer les libéraux sur ce terrain : les ayant dépassés, de loin, ils abandonnent ce terrain à leurs adversaires, incluant le Bloc ! Les conservateurs ont donc saisi la balle au bond. Balle lancée par le Bloc, faut-il préciser… Ils se sont positionnés là où les libéraux ont refusé de se rendre, c’est-à-dire la reconnaissance de la nation québécoise. Plutôt que de choisir Ignatieff (plutôt favorable à cette reconnaissance) comme chef, en effet, les libéraux ont préféré choisir Dion.
Manifestement, prochainement, ils ne seront payés pour ce choix ni en Ontario, ni au Québec. Tant mieux ! Une réforme constitutionnelle canadienne est donc maintenant possible, envisageable, même si le sujet n’est pas véritablement d’actualité. Du moins, la situation POLITIQUE canadienne à cet égard n’est déjà plus bloquée, comme elle l’a été depuis si longtemps. Le fond de scène est posé. Les conservateurs n’entendent pas construire leur dominance politique canadienne sur ce vieil antagonisme permanent et récurent avec les nationalistes québécois. Cette politique, qui avait été celle des libéraux, qui avait fait leur fortune ainsi que celle des bloquistes, en réaction, est terminée. Terminé ! Les conservateurs sont bien plus volontaristes que les libéraux. Plus respectueux, en apparence, mais plus belliqueux et sournois.
Et cette nouvelle donne fait courir un grand risque au mouvement souverainiste en général, et indépendantiste en particulier. Parce que pareille opération constitutionnelle, prochainement possible, se ferait éventuellement à notre encontre, nous, les indépendantistes. Déjà, les sondages témoignent de tendances lourdes et inquiétantes (Bloc et P.Q.). L’opération, très paradoxale, voudrait éventuellement « fermer les livres » de la liberté politique (indépendance) de notre nation en la reconnaissant. En la reconnaissant APRÈS avoir abattu le mouvement souverainiste en général. (À moins qu’il n’y coopère lui-même !). Cette reconnaissance, alors, à l’intérieur du Canada-Uni, équivaudrait à nier poliment, de facto, le droit à l’autodétermination du peuple québécois.
Le déclin souverainiste, et plus encore indépendantiste, poserait alors comme une condition préalable à cette reconnaissance. Si le Bloc traite maintenant les conservateurs comme des dinosaures, (la grosse méchante droite, sectaire et religieuse, red neck etc) je soumets qu’il peut se tromper de cible, et indisposer une partie importante de l’électorat québécois, nationaliste, l’unique électorat possible du Bloc ! (ce qui serait contre-productif), et qui est tenté maintenant de voter conservateur (un peu nationaliste), mais qui refuse très manifestement de se rendre à Dion. (anti- nationaliste) Les dinosaures québécois et canadians ont maintenant leur parti au Québec : c’est le P.L.C.
Inoffensifs maintenant ! Les conservateurs ne sont pas des dinosaures, eux, et devraient être pris très au sérieux. Principalement parce qu’ils s’adressent directement aux nationalistes québécois. Pas parce qu’ils sont « tête carrée » au Canada ! Qu’ils porteraient quasiment des valeurs « inhumaines », à la limite, et « anti-québécoises »assurément. Voyons donc ! Cette représentation outrancière n’intéresse pas véritablement l’électorat québécois. À cet égard, les valeurs, l’électorat québécois n’est peut-être pas aussi éloigné de l’électorat canadian qu’il n’y paraît au premier coup d’œil.
Le mystère Québec n’en est peut-être pas un si grand mystère ! Et, très simplement, les conservateurs ne s’adressent pas de cette façon aux Québécois. Tout le vieil élitisme politique québécois, hautain et parfois méprisant, qui consiste à sourire de tout ce qui provient de l’Ouest canadien, incluant les chapeaux de cowboys !ferait bien de remarquer que le pouvoir politique canadien suit le pouvoir économique, et que celui-ci se déplace d’Est en Ouest.
Enfin, surtout, que cela dure depuis déjà très longtemps, si longtemps…trop longtemps, en fait, pour être ignoré et moqué. La campagne très négative que les conservateurs ont faite, et font encore à Dion, semble très efficace. A ce jour, ce type de campagne---assez méprisable--- a épargné les chefs souverainistes… qui n’en demeurent pas moins (n’en doutons pas !) la cible ultime des conservateurs. Et la situation (majoritaire ou minoritaire) du prochain gouvernement fédéral ne changera rien à la menace qui pèse et pèsera plus fortement sur le mouvement indépendantiste québécois. L’élection majoritaire des conservateurs ne signifierait absolument pas un répit pour le Bloc. Bien au contraire*.
Je crains qu’une lutte à finir ne soit maintenant engagée. Et cela concerne tous les indépendantistes, tous les souverainistes, et, même, tous les nationalistes. Nous sommes nombreux…mais divisés ! Bloc en bloc, très évidemment.
***
* Minoritaires, simplement minoritaires, les conservateurs ont lancé avec succès une longue et formidable campagne de déstabilisation contre le chef libéral Dion.
Imaginons simplement ce qu’ils pourraient faire, s’ils étaient MAJORITAIRES, aux chefs souverainistes, alors sans défense et… sans appuis possibles par les autres partis d’opposition, dans l’hypothèse d’une lutte, d’abord politique et électorale, en faveur d’un éventuel renouvellement constitutionnel.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé