Une banane dans l'oreille

1997

30 avril 1997
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«Leurs histoires d'indépendance, c'est des folleries ça!
_ Faut arrêter de se poser des questions.
_ Le Canada, c'est le plus beau pays du monde!»
_ - Elvis Gratton
Lorsque j'entends Jean Chrétien, un profond découragement me vient. Je me demande - pour reprendre le mot de San-Antonio - si l'homme n'a pas «une banane dans l'oreille» pour être aussi sourd aux revendications du Québec.
Mais ne dit-on pas qu'il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre?
Malgré tout, Jean Chrétien est chanceux. Du moins pour le moment. Les Canadiens anglais ne voyant aucune alternative réelle, sa réélection est à peu près assurée. Et ce, même s'ils demeurent échaudés par sa promesse non tenue d'éliminer la TPS, un taux de chômage trop élevé et une quasi-défaite lors du référendum. Mais que faire?
Voyons voir. Le PC - le «Parti Charest» - n'est pas encore assez solide pour prendre le pouvoir. Quant au Reform Party, sa performance décevante en Chambre, son air trop «régional» et les déclarations intempestives de certains de ses députés ne font lien pour redorer son blason. Le NPD - quoiqu'il pourrait faire des gains respectables - est noyé dans la propagande néolibérale ambiante. Bref, s'il est probable que le PLC forme le prochain gouvernement - majoritaire ou minoritaire -, la véritable lutte au Canada anglais se fera pour l'opposition. Comme au Québec...
Dans ce même Québec, Jean Chrétien aura beau faire la sourde oreille à la question nationale, elle risque d'y dominer une bonne partie de la campagne. Dans ces débats annonciateurs de la prochaine lutte référendaire, une campagne solide du Bloc québécois devrait garder les pendules à l'heure. Surtout s'il ne se contente pas de se présenter uniquement et platement comme le «meilleur défenseur des Québécois à Ottawa». Ce n'est pas d'une «défensive» dont le Québec a besoin alors qu'on le cuisine dans la grande marmite du plan B. Ce qui lui manque, c'est une puissante «offensive» visant tout autant le PLC que le «Parti Charest». Comme à l'époque de Lucien Bouchard.
Le Bloc doit aussi colmater les brèches ouvertes dans l'opinion publique par des mois de luttes intestines disgracieuses et une course au leadership inintéressante. C'est pourquoi il ne peut se passer de la présence de Lucien Bouchard. Il ne peut donc rien tenir pour acquis. Cependant, le Bloc profite de trois éléments qui l'avantagent:
- l'appui des souverainistes;
_ - le rejet du PLC par une majorité de francophones;
_ - et la possibilité que le «Parti Charest» divise le vote fédéraliste. Une combinaison qui pourrait s'avérer efficace, surtout si Gilles Duceppe réussit une bonne performance dans les débats des chefs. Sinon....
Cela dit, une question demeure sans réponse: pourquoi des élections si hâtives? Certains disent que M. Chrétien veut un mandat pour défendre l'unité canadienne ou qu'il tente sa chance pendant que les sondages sont favorables. Mais si c'était vrai, il ferait de l'unité l'enjeu central de sa campagne, ce qu'il refuse de faire. Quant aux sondages, la même absence d'alternative pancanadienne serait encore là cet automne. Alors, où est le feu?
Faisons un petit exercice de logique et risquons une modeste hypothèse. Se pourrait-il que, comptant sur ce même manque d'alternative, le PLC sache qu'il sera réélu «malgré» la présence de Chrétien? Et que, à la suite de cette réélection, on envisage déjà le remplacement de ce dernier dès que la tenue d'un troisième référendum serait confirmée par la réélection du gouvernement Bouchard? Jean Chrétien serait-il le chef-sacrifice du PLC?...
Se pourrait-il aussi que pour le PLC, cette élection un peu trop pressée vise trois objectifs:
- conserver le pouvoir;
- gagner du temps pour une éventuelle course au leadership;
- et s'assurer d'une victoire électorale avant que la Cour suprême ne tranche sur le droit du Québec à l'autodétermination et sur la cause de Robert Libman, Julius Grey et Howard Galganov contre la Loi référendaire?
Deux situations qui pourraient mettre en furie bien des Québécois, provoquer des élections générales et insuffler un nouveau momentum au mouvement souverainiste.
Mais qui pourrait être ce chef plus «crédible» et surtout plus efficace? D'un point de vue typiquement «PLC», Paul Martin présente les traits du «candidat idéal»... ou du «moins pire». Il ne traîne pas le lourd et encombrant bagage constitutionnel d'un Jean Chrétien. Et il a l'avantage de paraître à la fois francophone et anglophone alors que Chrétien donne parfois l'impression d'être ni l'un ni l'autre...
Fait à noter: les stratèges libéraux entendent assurer une grande visibilité à Paul Martin tout au long de la campagne fédérale. Comme si on préparait déjà le dauphin...
Dépassé par une question nationale dont les complexités lui échappent pathétiquement, qui sait si Jean Chrétien ne pourrait pas souffrir une éventuelle fin de carrière plutôt abrupte? Car il serait fort surprenant que le PLC fasse l'erreur de laisser la préservation du Canada, pour une seconde fois, entre ses mains.
Pourtant, aucun successeur, aussi brillant fût-il, ne pourra colmater le fossé qui s'est creusé entre le Canada anglais et le Québec quant aux aspirations de ce dernier. Le poids de l'histoire est trop lourd. Ce n'est ni triste, ni heureux. C'est tout simplement un fait.
Et cela, aucune peau de banane éventuellement glissée sous les pieds de Jean Chrétien ne pourra y changer quoi que ce soit.


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