Une aventure

Répondre aux véritables priorités de notre époque est une voie bien plus sage que de s'engager dans une aventure constitutionnelle

La nation québécoise vue du Canada



J'ai consacré une bonne partie de ma vie à travailler à des dossiers constitutionnels au Canada et un peu partout dans le monde. Les débats au sujet du vocabulaire et des concepts constitutionnels ont une façon toute particulière de prendre les devants et, du même coup, de devenir brûlants. Nous devrions, pour un certain temps, prendre un peu de recul.
Les expériences de Meech et de Charlottetown ont duré près de 10 ans. À la fin, la population du Canada ne les a pas avalées. Pourquoi devrions-nous recommencer encore une fois? L'expérience que j'ai acquise au Canada et ailleurs dans le monde m'a convaincu que nous devons réunir les gens, et non pas permettre que des arguments à propos de symboles ou de pouvoirs ne les séparent. Les philosophies et les idéologies divisent les gens, alors que les intérêts communs les rassemblent.
Cela m'amène à parler de la résolution qui concerne la "nation", qui a vu le jour lors de la récente rencontre du Conseil général de l'aile québécoise du Parti libéral. La résolution réclame la reconnaissance du Québec comme nation sans définir le terme, et demande qu'un nouveau gouvernement libéral examine la question et prenne action pour "officialiser" la reconnaissance de la nation du Québec au sein du Canada. Le fait que l'ancien premier ministre péquiste Bernard Landry ait accueilli favorablement les termes ambigus de cette résolution devrait faire hésiter tous les libéraux et tous les Canadiens (...)
Je n'ai rien contre le fait que plusieurs Québécois éprouvent le sentiment de faire partie d'une "nation", dans le sens qu'ils partagent des intérêts communs marqués par une histoire, une langue, une culture et une géographie communes. Aucun Canadien ne devrait se sentir menacé à cause de cela, pas plus que nous le sommes lorsque des gens se décrivent comme faisant partie de la nation galloise, la nation écossaise, la nation métisse, la nation crie, ou pour toute autre affirmation similaire d'identité. Par contre, nous devons clairement établir qu'à cet égard, nous ne laissons pas entendre qu'une telle reconnaissance mènerait à un changement constitutionnel ou à de nouveaux pouvoirs constitutionnels. Le pays qui nous réunit est le Canada.
C'est la raison pour laquelle le langage tenu par le groupe de travail présidé par l'ancien ministre de la Justice Martin Cauchon est louable: "Le Parti libéral devrait toujours prendre en considération et respecter le fait que le Québec a un caractère particulier au sein de la fédération canadienne." Il existe plusieurs mots et plusieurs expressions pour traduire la même pensée. Nous ne devrions pas nous en tenir à une seule d'entre elles.
Le PQ et le Bloc ont déjà fait la preuve qu'ils s'opposeront aux symboles d'inclusion, et qu'ils insisteront plutôt sur une interminable liste de demandes, ce qui aura pour effet de diviser le Québec et de miner les efforts de bonne foi visant à unir tous les Canadiens. Lorsque les gens commencent à soutenir des notions constitutionnelles, les intérêts, les griefs et les souhaits des autres gouvernements et des autres parties, comme les collectivités autochtones, entrent également en jeu, que ces questions soient symboliques ou particulières.
Une fois lancés sur cette voie, il est important de bien le comprendre, tous les Canadiens devraient avoir voix au chapitre et même avoir le dernier mot sur un changement constitutionnel majeur, par voie de référendum. Comme nous en avons déjà été témoins, l'opinion publique, sur ces questions, peut rapidement changer. Par conséquent, toute improvisation hâtive, même avec les meilleures intentions du monde, ne peut tout simplement mener qu'à la déception.
Notre centre d'intérêt doit donc changer. Nous devrions désormais nous concentrer sur une affirmation solide et possible de ce qui peut être fait pour que notre fédération fonctionne mieux. Permettez-moi de citer encore une fois un extrait du rapport Cauchon: "En procédant d'une façon pragmatique, étape par étape, et en démontrant une bonne volonté politique, nous pouvons envoyer un message fort à tous les citoyens du Québec", et j'ajouterais à tous les citoyens du Canada, "qu'ils peuvent croître, prospérer et réaliser leurs ambitions à l'intérieur de la fédération canadienne".
Le leadership signifie instaurer la confiance, par le truchement du succès, en répondant aux besoins pratiques des Canadiennes et des Canadiens. Par dessus tout, nous devons répondre aux véritables priorités de notre époque. Cela veut dire qu'il faut agir sur le changement climatique, bâtir une économie prospère, créer des emplois pour les Canadiens, maintenir une politique extérieure indépendante et prévoyante, garantir un régime fiscal concurrentiel, réduire la pauvreté chez les enfants, et soutenir l'éducation.
Voilà les dossiers immédiats et pratiques qui requerront une collaboration concertée. Nous devons y consacrer nos énergies, concevoir des solutions qui fonctionnent, et montrer à nos enfants, à nous-mêmes et aux autres pays que nous savons comment nous y prendre. À mon avis, c'est là une voie bien plus sage que de s'engager dans une aventure constitutionnelle.
L'auteur est candidat à la direction du Parti libéral du Canada.


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