Une analyse biaisée

Le programme d'Éthique et culture religieuse reconnaît que le Québec est devenu pluriel, c'est un fait difficilement contestable. Cela n'équivaut pas à promouvoir le multiculturalisme.

ECR - Éthique et culture religieuse

Le programme d'Éthique et culture religieuse reconnaît que le Québec est devenu pluriel, c'est un fait difficilement contestable. Cela n'équivaut pas à promouvoir le multiculturalisme. Photo: Archives The New York Times

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Je laisserai à d'autres le soin de spéculer sur les motifs qui ont conduit certains ténors de la grande famille souverainiste à se laisser séduire par la récente étude de Mme Joëlle Quérin qui tire à boulets rouges sur le programme d'Éthique et culture religieuse (ÉCR). Une chose m'apparaît toutefois certaine: plus vite le PQ prendra ses distances de cette étude, mieux ce sera pour le Québec... et probablement aussi pour le PQ!
Malgré ses prétentions scientifiques, cette étude tient davantage du pamphlet que de l'analyse universitaire sérieuse. Soyons clairs: la critique est essentielle dans une société démocratique comme la nôtre. Mais pour être prise au sérieux, une critique doit s'appuyer sur des arguments solides. Or, quand on lit en conclusion de cette étude que «le cours ÉCR est l'aboutissement d'un long processus initié dès 1999 par (...) les intellectuels «multiculturalistes» qui se sont emparés de l'école», je vois à l'oeuvre une autre variante de la théorie du complot, pas une proposition fondée sur des faits.

J'ai suivi de près ce dossier pendant cette période, comme observateur intéressé, d'abord, puis ces quatre dernières années comme acteur, en tant qu'expert-conseil pour le programme ÉCR auprès du ministère de l'Éducation: je n'ai pas rencontré ces intellectuels «multiculturalistes» qui auraient comploté afin, comme Mme Quérin le prétend, d'«imposer une nouvelle définition de l'identité québécoise fondée sur le chartisme qui interdit l'expression des opinions nationalistes». Où Mme Quérin a-t-elle vu à l'oeuvre, dans ce programme et son application, l'interdiction d'exprimer des opinions nationalistes? Et qui tire les ficelles de ce complot contre l'identité québécoise?
Confusion remarquable
En fait, toute son analyse repose sur une confusion remarquable entre «pluralisme» et «multiculturalisme». Le programme ÉCR reconnaît que la société québécoise est devenue plurielle, c'est un fait difficilement contestable; or cela n'équivaut pas à promouvoir le multiculturalisme, cette philosophie politique qui postule qu'il n'existe pas d'identité nationale ni de culture majoritaire. Prétendre le contraire relève soit de la mauvaise foi, soit de l'ignorance de distinctions primaires que devrait connaître tout universitaire avisé.
Loin de soutenir le multiculturalisme, le programme ÉCR entend plutôt initier tous les jeunes Québécois - quelle que soit leur origine - aux institutions, aux lois, aux repères communs et aux traditions religieuses de la société québécoise. Ces apprentissages sont au coeur de ce programme. En quoi cela menacerait-il l'identité québécoise? Serait-ce qu'il faudrait bannir tout bagage de connaissances faisant référence aux autres traditions religieuses dont la présence sur le territoire québécois est plus récente, même lorsqu'on sait que la prépondérance est accordée dans ce programme aux traditions religieuses ayant le plus marqué la culture québécoise?
Il est tout aussi navrant de lire dans cette étude que le cours ÉCR «abandonne les connaissances» alors qu'en fait, les apprentissages à réaliser et les connaissances à acquérir y sont plus nombreux que dans les anciens programmes d'enseignement moral et d'enseignement confessionnel.
Il suffit de prendre la peine de lire - correctement - le programme ÉCR, de jeter un oeil au matériel pédagogique et de s'informer auprès des enseignants qui ont vécu la transition pour s'en convaincre. Même la compétence relative à la pratique du dialogue - qui incite pourtant à construire une pensée critique et articulée et à aborder collectivement des sujets complexes - est présentée dans cette étude comme un instrument d'endoctrinement. Peut-être vaudrait-il mieux cultiver l'isolement ou l'affrontement? Cette compétence au dialogue prend au sérieux la nécessité, pour les citoyens d'une société diversifiée et mature, de comprendre et d'interroger des points de vue variés et de faire cela collectivement, en étant capable d'écouter les autres. Ce n'est pas pour autant un appel au déni de soi et à l'acceptation non critique de toutes les pratiques individuelles ou collectives que l'on puisse imaginer. Au contraire.
La lecture du programme ÉCR que propose Mme Quérin est biaisée dès le départ par l'amalgame qu'elle propose entre «pluralisme» et «multiculturalisme». Les critiques qui en découlent répercutent cette erreur initiale. Il est vraiment navrant que des ténors du PQ se soient laissé séduire par cette étude.
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Luc Bégin
L'auteur est professeur de philosophie et directeur de l'Institut d'éthique appliquée (IDEA) de l'Université Laval.


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