Des origines juridiques multiculturalistes du cours ECR

ECR - Éthique et culture religieuse


Depuis la publication du rapport de la sociologue Joëlle Quérin, le débat sur le cours d’éthique et de culture religieuse (ECR) a repris de plus belle. Il faut dire que ce rapport fait l’objet de critiques vives, voire violentes, de la part des concepteurs de ce cours. Leur principale critique veut que ce rapport associe injustement ce cours au multiculturalisme. Or, l’histoire du droit nous révèle qu’il existe bel et bien un lien indéniable entre le multiculturalisme et le cours ECR.
Pour comprendre l’origine de ce cours, il faut savoir que l’enseignement religieux confessionnel dans les écoles est soupçonné d’être inconstitutionnel non pas depuis l’adoption de la Charte québécoise, mais depuis celle de la Charte canadienne des droits et libertés. Et, en l’absence d’une clause dérogatoire, il est officiellement inconstitutionnel depuis l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Re Corporation of the Canadian Civil Liberties Association et al. c. Ontario (Minister of Education) datant de 1990. Évidemment, cette cour s’est basée sur la Charte canadienne des droits et libertés pour conclure que cet enseignement religieux confessionnel est inconstitutionnel. Plus précisément, elle a invoqué l’article 2 a) sur la liberté de religion et l’article 27 qui prévoit que : « Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens. » La Cour d’appel de l’Ontario a également fondé sa décision sur des précédents, principalement celui établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Big M Drug Mart. Or, dans cet arrêt le plus haut tribunal canadien déclare inconstitutionnelle la Loi sur le dimanche au nom de la liberté de religion, mais aussi parce que selon elle : « imposer l'observance universelle du jour de repos préféré par une religion ne concorde guère avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens [ce qui] est donc contraire aux dispositions expresses de l'art. 27. »
En toute logique, dans l’affaire Re Corporation of the Canadian Civil Liberties Association, c’est en se fondant sur cet article qui constitutionnalise le multiculturalisme que la Cour d’appel de l’Ontario interprète la liberté de religion et en vient à la conclusion que les cours d’enseignement religieux confessionnel sont inconstitutionnels. En effet, on peut lire dans ce jugement que l’enseignement religieux confessionnel dans les écoles: « amouts to violation of s. 2(a) of the Charter, especially when viewed in the light of s. 27 of the Charter ». Plus intéressant encore, cette cour précise que si cet enseignement religieux confessionnel est inconstitutionnel, en revanche l’enseignement religieux pluraliste et non confessionnel dans ces mêmes écoles est parfaitement conforme à la liberté de religion interprétée à la lumière du multiculturalisme. Comme ce jugement de la Cour d’appel de l’Ontario n’a pas été infirmé en Cour suprême, il a créé un précédent valable pour l’ensemble du Canada. C’est d’ailleurs depuis ce jugement que des cours d’enseignement religieux pluraliste et non confessionnel se multiplient au Canada. Et le Québec ne fait pas exception, puisque le cours ECR remplace justement l’ancien cours d’enseignement religieux confessionnel de manière à respecter la liberté de religion au sens du droit constitutionnel canadien, et ce afin d’éviter que le Québec ait à invoquer à nouveau la clause dérogatoire prévue par la Charte.
À la lumière de cet historique du droit, il est indéniable qu’il existe un lien direct entre le multiculturalisme canadien et le cours ECR. Est-ce à dire que toute autre option que le retour de l’enseignement religieux confessionnel serait inévitablement multiculturaliste ? Non, puisque ce qui rend le cours ECR multiculturaliste ce n’est pas tant le fait qu’il remplace l’enseignement religieux confessionnel déclaré inconstitutionnel au nom de la Charte et de son multiculturalisme, mais plutôt le fait qu’il adopte la solution proposée par la jurisprudence canadienne en conformité avec cette charte. En effet, le cours ECR est un cours d’enseignement religieux pluraliste et non confessionnel. D’ailleurs, et c’est ce qui est particulièrement problématique, le cours ECR a notamment pour but d’expliquer et de justifier les accommodements raisonnables créés par cette même jurisprudence, qu’on pense à celui permettant le port du kirpan à l’école. Or, légalement les accommodements raisonnables sont directement liés au multiculturalisme, comme l’illustre l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys où cette cour mentionne que : « L’argument selon lequel le port du kirpan devrait être interdit parce qu’il représente un symbole de violence […] ne tient pas compte des valeurs canadiennes fondées sur le multiculturalisme. »
À l’inverse, si le Québec choisissait plutôt d’enseigner des connaissances sur les religions à travers des cours d’histoire en prenant le soin de préciser que les diverses croyances ne sont pas au dessus des lois, comme cela se fait en France dans le respect de la laïcité, cette solution ne pourrait être qualifiée de multiculturaliste, et ce même si elle serait valide constitutionnellement. Est-ce donc là la solution au dilemme de l’enseignement religieux à l’école ? Peut-être que oui, mais il n’est pas certain que cela répondrait suffisamment à l’impératif de la transmission du patrimoine culturel québécois, que plusieurs veulent voir assurée par l’école.
Si le rapport Quérin a mis le doigt sur un malaise réel autour du cours ECR, c’est sans doute entre autres parce que ce dernier est bel et bien un produit du multiculturalisme canadien, une politique à laquelle n’adhère pas une majorité de Québécois. Dès lors, ce rapport justifie pleinement que ce cours soit scruté à la loupe et que d’autres solutions soient envisagées, par exemple dans le cadre d’une commission parlementaire. Ainsi, les Québécois pourraient trouver une forme originale d’enseignement du religieux, à la fois laïque et respectueuse du patrimoine culturel québécois et de la place qui lui revient, bref une alternative qui soit véritablement autre chose que du multiculturalisme.
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Guillaume Rousseau

Candidat au doctorat en droit à l’Université de Sherbrooke et à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

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L'auteur, qui est candidat au doctorat en droit à l'Université de Sherbrooke, a étudié le droit européen à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV. Actuellement, doctorant à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne





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