En réponse au «ras le bol» du cardinal Ouellet

Par Luc Bégin

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor


Dans son édition du vendredi 16 février 2007, Le Soleil rapporte, sous la plume de son journaliste Alain Bouchard, [les propos tenus par le cardinal Marc Ouellet->4493] lors d’une rencontre de ce dernier avec les médias à l’archevêché de Québec le jeudi 15 février. Mgr Ouellet a tenu des propos particulièrement durs à l’endroit de la décision de l’État québécois de mettre un terme au régime d’enseignement confessionnel (rappelons que ce régime dérogeait pourtant aux Chartes et accordait des privilèges à seulement deux groupes religieux : les catholiques et les protestants). Il y critique également la décision de développer un programme d’Éthique et culture religieuse de nature non confessionnelle, devant être offert à compter de septembre 2008 dans toutes les écoles de niveaux primaire et secondaire du Québec, y compris les écoles privées.
Ce n’est pas la première fois que Monseigneur Ouellet se prononce dans ce dossier. Depuis décembre dernier, il utilise toutes les tribunes à sa disposition pour faire valoir les critiques qu’il adresse à la «politique d’enseignement religieux» du Québec qui, selon ses dires, nous ferait côtoyer en cette matière les «États totalitaires»! Jusqu’ici, le prélat de l’Église catholique s’était contenté de soutenir que les catholiques se voyaient injustement désappropriés de leur héritage et qu’il ne revenait pas à l’État de décider quelle serait la culture religieuse du peuple québécois. De toute évidence, et pour des motifs que je m’explique mal, Mgr Ouellet a décidé de durcir encore davantage le ton à l’endroit notamment du projet de programme en Éthique et culture religieuse. Il faut savoir par ailleurs que jusqu’à maintenant, ce projet de programme de nature non confessionnelle a plutôt été bien accueilli par les groupes et personnes consultés.
Ayant été consulté dans ce dossier à titre d’expert-conseil par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, j’ai acquis une assez bonne connaissance de ce projet de programme et de ses grandes orientations. C’est pourquoi je me permets d’intervenir suite à cette dernière sortie médiatique du cardinal Ouellet. Il me paraît nécessaire en effet de corriger certaines affirmations qu’il aurait faites et de rappeler, pour le bénéfice de la population québécoise — catholique ou non —, les grandes orientations de ce projet et le contexte qui en justifie la mise en place. Les lecteurs et lectrices pourront alors mieux juger si «[l]a politique d’enseignement religieux frôle le totalitarisme» (Le Soleil, vendredi 16 février 2007; actualités p.5).
Quelques affirmations erronées
Tout d’abord, quelques propos du cardinal qui doivent être corrigés. Contrairement à ce qui est rapporté dans l’article du 16 février, il n’est pas question dans ce projet de programme de «placer toutes les religions sur le même pied à l’école». Le programme actuellement en élaboration s’inscrit dans la continuité des orientations ministérielles, telles qu’elles sont énoncées dans le document intitulé [«La mise en place d’un programme d’éthique et de culture religieuse»->4563]. Une orientation d’avenir pour tous les jeunes du Québec (Gouvernement du Québec, 2005). Or, ce document, que ne peut manquer de connaître le cardinal Ouellet, précise que les contenus de formation en culture religieuse gravitent notamment autour des deux axes que sont «La familiarisation avec l’héritage religieux du Québec» et «L’ouverture à la diversité religieuse» (p.8).
L’héritage religieux du Québec, que les élèves seront appelés à mieux connaître en en approfondissant certains aspects, est constitué au premier chef des «traditions chrétiennes, catholique et protestantes» ainsi que du «judaïsme et [d]es spiritualités amérindiennes» (p.8). Quant à l’ouverture à la diversité religieuse, elle vise des «traditions religieuses importantes dans le monde, mais apparues plus récemment au Québec : l’islam, le bouddhisme, l’hindouisme, le sikhisme, etc.» (p. 8). Les jeunes seront appelés à s’intéresser à ces traditions en explorant certains éléments caractéristiques de celles-ci.
En conformité avec ces distinctions, le «Projet de programme Éthique et culture religieuse», document que connaît aussi certainement le cardinal Ouellet, vient préciser la prépondérance du patrimoine religieux du Québec dans les contenus du programme. Il est prévu de porter un «regard privilégié» sur le christianisme (catholicisme et protestantisme); viennent ensuite des contenus — nettement moins nombreux — concernant le judaïsme et les spiritualités des peuples autochtones. Les autres grandes traditions religieuses ferment la marche. Difficile alors de soutenir que toutes les religions seront sur le même pied à l’école. C’est bien «la religion de la majorité» — pour reprendre les propos du cardinal Ouellet — qui verra ses manifestations faire l’objet de la plus grande attention.
Ensuite, il est également faux d’affirmer que l’État empêche «les citoyens de choisir quoi enseigner aux enfants même dans les écoles privées» (Le Soleil, vendredi 16 février 2007, p.5). En vertu de la Loi 95, adoptée le 15 juin 2005, il est vrai que l’État québécois fait du nouveau programme d’Éthique et culture religieuse un enseignement obligatoire non confessionnel pour toutes les écoles, qu’elles soient publiques ou privées. Toutefois, une école privée peut, si elle le désire, offrir en sus du régime pédagogique un enseignement de type confessionnel. Les parents des élèves fréquentant ces écoles sont alors libres d’exiger un tel enseignement additionnel. On se demande où réside le «totalitarisme».
Orientations et contexte du projet de programme
Il y aurait encore beaucoup à dire autour des propos du cardinal Ouellet. Je me contenterai pour le moment de commenter deux de ses prises de position : l’une représente un net recul pour la société québécoise alors que l’autre me paraît particulièrement dangereuse en plus d’aller tout à fait à l’encontre de ce que cherche à promouvoir le projet de programme.
Quand le cardinal Ouellet soutient que l’État québécois «envahit les plates-bandes de l’Église» (Le Soleil, vendredi 16 février 2007, p.5), et que le gouvernement ne devrait pas pouvoir décider ce qui sera enseigné dans les écoles sur la religion catholique, il semble perdre de vue que les choses ont bien changé au Québec depuis 1964 et la création du ministère de l’Éducation. Ce qu’il nous propose implicitement, c’est d’effectuer un recul avant 1964, alors que l’Église catholique avait la possibilité de décider seule des contenus des enseignements sur la religion catholique, enseignements qui étaient évidemment de nature confessionnelle.
Or, faut-il le rappeler, l’État québécois a maintenant les pleins pouvoirs d’établir les programmes de son choix en matière d’enseignement. Ces pleins pouvoirs sont d’autant plus légitimes qu’il est question ici, je le répète, d’un enseignement non confessionnel. Plus précisément, c’est un enseignement de la culture religieuse qui est visé et non pas un enseignement soutenant le cheminement du jeune dans sa foi. Mgr Ouellet préférerait-il un enseignement de la culture religieuse d’où serait exclue la religion catholique? Une chose m’apparaît certaine : l’État québécois n’a pas à reculer dans sa détermination à terminer le processus de déconfessionnalisation amorcé depuis déjà de nombreuses années et il a pleine légitimité pour le faire. Ce n’est pas manquer de respect envers les religions que d’avoir choisi de créer un cours d’Éthique et culture religieuse plutôt que de «sortir totalement le fait religieux des écoles» comme certains l’ont souhaité.
Attention aux ghettos culturels
Mgr Ouellet se prononce également pour le libre choix des parents, ce qui reviendrait à dire, selon son interprétation, que là où des communautés confessionnelles sont suffisantes, elles devraient pouvoir réclamer des enseignements de leur religion, tant au public qu’au privé. La suggestion, cette fois-ci, est dangereuse. Aller en ce sens reviendrait à favoriser la création de ghettos culturels sur la base d’appartenances religieuses. Quel intérêt avons-nous, dans une société multiculturelle, à promouvoir le repliement sur soi des communautés? Pourquoi devrions-nous faire en sorte que les diverses communautés ne partagent pas les mêmes lieux publics, que leurs enfants ne fréquentent pas les mêmes écoles et qu’ils ne soient pas mis dans l’obligation d’apprendre, ne serait-ce qu’un peu mieux, les cultures religieuses qui sont présentes dans la culture québécoise d’aujourd’hui?
Pourquoi, autrement dit, placer nos enfants dans des contextes défavorables au dialogue entre les cultures et entre les gens ne partageant pas tous les mêmes valeurs et croyances?
C’est justement le contexte de pluralisme grandissant au Québec qui justifie le fait que l’État québécois a choisi de mettre en œuvre un programme d’Éthique et culture religieuse. La diversité peut être une importante source de tension mais aussi un important facteur d’enrichissement.
Favoriser les conditions favorables au dialogue
Le projet de programme d’Éthique et culture religieuse entend précisément œuvrer à la mise en place de conditions favorables à ce dialogue. Il vise à la fois la reconnaissance de l’autre dans ses différences et particularités ainsi que la poursuite du bien commun. Il prend appui sur la conviction qu’il est possible, pour des personnes d’horizons divers, de s’entendre de façon responsable et dans le respect mutuel afin de relever des défis inhérents à la vie en société.
En ce sens, il entend favoriser la construction d’une véritable culture publique commune, c’est-à-dire le partage par les citoyens du Québec de repères fondamentaux qui sous-tendent la vie publique québécoise, dont les règles de base de la sociabilité et de la vie en commun, les principes et valeurs inscrits dans la Charte des droits et libertés de la personne, l’égalité des sexes et l’usage public de la langue française. C’est là une visée ambitieuse mais à laquelle, croyons-nous, l’école québécoise peut et doit contribuer. Ce sont, me semble-t-il, des objectifs et des moyens qui sont bien loin de la «dictature» et du «totalitarisme».
Luc Bégin
Directeur

Institut d'éthique appliquée

Faculté de philosophie

Université Laval


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