Un théâtre d’ombres

Le Bloc incarne tout autant la sourde volonté de résistance québécoise que le déni canadian

Chronique de Robert Laplante

Les manœuvres de bluff et d’intimidation qui ont marqué la scène fédérale depuis quelques semaines, n’ont pas manqué de piquant. Le spectacle, en effet, nous donne à voir le Canada tel qu’il est dans la disposition qui est la sienne depuis toujours de ne reculer devant aucun prix pour maintenir le Québec dans son carcan. La joute politicienne a beau être compliquée, commentateurs et politiciens ont beau se lamenter sur l’instabilité des gouvernements minoritaires, rien ne semble assez outrecuidant pour que le Canada et ses partis politiques se donnent la peine de se demander comment ils en sont arrivés là. Tout au plus avons-nous droit aux coups de gueules sur les séparatistes du Bloc qui empêchent la politique politicienne de ronronner ou encore aux savants rapports sur les motifs et les manières de lui couper les vivres ou de le tenir à l’écart des débats pour que les choses puissent enfin tourner rondement dans le plus meilleur pays du monde.
Le Canada s’accommode mieux de ses gouvernements minoritaires que des remises en question. Ils sont fort peu nombreux en ce pays à s’inquiéter des conséquences de l’imposition d’une constitution illégitime, à s’indigner des manœuvres d’oblitération de notre peuple ou encore à se scandaliser du vampirisme idéologique qui met la machine d’État canadian au service du révisionnisme historique et du sabotage de nos institutions. Et pourtant, par-delà l’arithmétique électorale, c’est bien là l’essentiel. Le Bloc incarne tout autant la sourde volonté de résistance québécoise que le déni canadian.
Ceux-là qui le voient comme un empêcheur de gouverner en rond ne font pas les bons calculs. C’est vrai que les partis politiques ont du mal à se constituer une majorité sans le Québec, mais cela n’est que temporaire, circonstanciel. Les modifications à la carte électorale et le mouvement propre de la société canadian finiront bien par raser l’obstacle. Les autres qui voient dans ce Bloc un formidable exutoire qui permet de contenir le mécontentement québécois ne se trompent guère lorsqu’ils le considèrent comme un lubrifiant utile au fonctionnement du Canada. Ils font le pari que cette force politique ne sera qu’une force d’intégration et que ses ambivalences, en fin de compte, ne seront que bien utiles au Canada. Ils misent sur le consentement à l’impuissance et ne le voient – et c’est normal, puisqu’ils réfléchissent de le cadre de leurs institutions avec leurs schèmes de pensée – que sous la forme d’une bien originale manière qu’ont les Québécois de se rendre inoffensifs et de se trouver braves de se lamenter.
Dans un cas comme dans l’autre, la classe politique, les élites économiques et les leaders d’opinion, par-delà les humeurs passagères, s’entendent pour penser que c’est un prix qui n’est pas trop élevé pour placer la question québécoise dans sa phase de liquidation terminale. Manière d’accommodement raisonnable, cette posture contribue à rigidifier la culture politique canadian et, de notre point de vue, à la fragiliser. On peut, en effet, concevoir, que toute politique du Bloc qui s’écarterait un tant soit peu de la zone de compromis dont s’accommode le Canada précipiterait rapidement le gouvernement fédéral et les Chambres dans une série de crises à répétition. Jusqu’à présent, le Bloc s’est ingénié à souffler le chaud et le froid en se cantonnant dans la logique de protestation. Il a toujours hésité à placer la confrontation au cœur de sa stratégie. Cela lui a valu des succès tactiques mais c’est une erreur stratégique grave car cela l’a obligé à s’ajuster à la dynamique canadian et à instrumentaliser malgré lui la capacité et les besoins du Québec de s’inscrire dans sa seule logique de développement auto-centré. Ce temps est révolu et il faudra revoir les approches.
Les manœuvres de pré-campagne électorale l’ont clairement laissé voir : le Canada n’a plus de concessions à faire au Québec sinon que celle qu’il lui sert depuis toujours, celle du double langage et de la folklorisation. La centralisation reste la tendance de fond, tendance que les engagements de réponse à la crise économique vont accroître et accélérer. Politique de financement de la recherche et des universités, commission nationale des valeurs mobilières, stratégies énergétiques, les exemples vont se multiplier de mesures qui non seulement vont coûter cher au Québec, mais encore et surtout vont accélérer l’érosion de sa capacité de cohésion nationale et la réduction de ses moyens. Le Canada poursuit son encerclement et nous enfermera dans des cadres qui nous condamnent non pas à la disparition à court terme mais bien à la sous-oxygénation chronique, le moyen par excellence de nous contraindre à la médiocrité.
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Pour s’en convaincre il suffira de suivre la campagne électorale de la Ville de Montréal. Une campagne qui s’annonce d’ores et déjà affligeante tant ses premiers moments nous donnent à voir le spectacle d’une métropole émasculée, normalisée et rabaissée au rang de ville régionale enlisée dans sa gangue de provincialisation : corruption, chicanes de bouts de trottoir et querelles de structures pour mieux aménager le déclin que le Canada a programmé. Car il ne faut s’y tromper : il n’y a pas de place pour deux métropoles au Canada et cela a des conséquences sur le Québec tout entier. Notre métropole est gravement atteinte. Et rien ne laisse penser que la campagne électorale ne nommera le mal qui la ronge.
Au contraire, nous avons déjà droit à la lâcheté démissionnaire d’une frange de parvenus qui applaudissent le baron de la rigolade qui en appelle au montréalisme pour mieux enterrer le caractère français de Montréal, renoncer aux objectifs de la loi 101 et transformer notre plus grande ville en centre d’apprentissage de l’anglais pour immigrants. Cette frange d’entretenus, mise au monde par les fonds publics et gavée de subventions s’active dans les arcanes des industries de l’entertainment et des médias à marchander son bris de loyauté.
Ce n’est pas un hasard si des factions péquistes constituent les principaux protagonistes de la bataille. C’est une fatalité, une preuve de plus que la cohésion nationale s’érode. Cette élection se jouera dans un théâtre d’ombres où tout le monde multipliera les envolées pour ne pas nommer les choses correctement. Montréal n’a plus de destin, ce n’est plus qu’une proie pour les carriéristes, les affairistes et autres gestionnaires de sa réduction au statut de bourgade livrée aux médiocres qui confondent les plans d’affaires et l’intérêt national. Ou qui se font visionnaires d’opérette en se gaussant de gérer l’indigence et en se consolant dans d’inoffensives envolées sur le caractère international d’une métropole en train de se déliter dans le multiculturalisme au lieu de s’assumer dans un cosmopolitisme en phase avec la culture québécoise et la langue française. Un théâtre d’ombres, vraiment.
Au moment d’écrire ces lignes, le calendrier électoral canadian est encore bien incertain. Ceux-là qui s’inquiètent de ce qu’une campagne fédérale ne porte ombrage à la campagne montréalaise s’inquiètent inutilement. Les élections montréalaises sont d’ores et déjà un sous-produit de la logique de minorisation. L’avenir de Montréal dépendra de celui du Québec. Notre plus grande ville ne sera jamais une métropole dans une province qui a de moins en moins les moyens de ses ambitions. Gouverner le Québec avec les moyens que le Canada lui laisse condamne Montréal à devenir un satellite dont les orbites sont définies par des politiques fédérales qui, en dernière instance, définissent son parcours et sa vocation.

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Robert Laplante173 articles

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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