Réforme du welfare state en Grande-Bretagne

Un «retour au travail» qui inquiète les employeurs

«Les indignés» dans le monde



La Grande-Bretagne entend réformer en profondeur le welfare state qu'elle a inventé il y a 70 ans. Même l'opposition travailliste appuie le plan de «retour au travail» proposé par le cabinet de coalition de David Cameron. Les bénéficiaires de prestation de chômage, d'aide sociale et d'allocation logement, mollement défendus par les groupes de protection sociale, ont cependant trouvé un allié auprès des milieux d'affaires.
En pleine crise économique, le pays manque de main-d'oeuvre. Quelque 450 000 postes sont encore vacants, alors que 5 millions de personnes ne travaillent toujours pas. Pour le ministre chargé de la réforme, Duncan Smith, un ex-chômeur lui-même, c'était un vrai «péché» que les emplois créés dans la dernière période de prospérité soient allés surtout à des «étrangers». Mais les employeurs ont fait savoir qu'ils ne veulent pas d'une main-d'oeuvre qui serait peu motivée au travail.
Les entreprises en quête de main-d'oeuvre ne manquent pas de gens qui offrent de travailler, affirme la Chambre de commerce britannique, mais elles recherchent des employés qui se présentent à l'ouvrage «avec enthousiasme» et veulent acquérir les «habiletés voulues pour réussir». À la Fédération des petites entreprises, on s'inquiète aussi d'avoir à passer en «entrevues inutiles» une file de candidats voulant éviter de perdre leurs prestations, mais réellement inaptes au travail.
Pour l'Institut Adam Smith, une compagnie de recherche économique, la simplification du système de protection sociale ainsi que l'élimination d'«incitations perverses» à fuir un emploi, sera un puissant moyen de ramener les gens au travail. Mais le problème le plus sérieux, signale Eamonn Butler, son porte-parole, se pose du côté des «travailleurs plus jeunes, inexpérimentés et non qualifiés». Les employeurs ne les engagent pas, même au salaire minimum.
Plus que la crainte d'une baisse des prestations, il faudrait donc, pour réussir la réforme, l'ajout de mesures de formation professionnelle, de garderies pour les mères seules à charge d'enfants, et d'autres passerelles d'entrée au travail. Car autrement comment atteindre l'objectif ambitieux de «sortir de la culture de dépendance» pas moins de 300 000 ménages? Même la menace de sanctions n'y parviendrait guère, surtout si ceux qui abusent du système sont probablement, d'après Nick Clegg, le vice-premier ministre, «très, très peu nombreux».
Le gouvernement prétend aussi que sa réforme va faire reculer «l'économie au noir». Pareil travail non déclaré fait perdre beaucoup d'impôt, affirme-t-il, mais cet apport — 140 milliards de livres par an — n'est pas une perte pour l'économie et la consommation. La fraude et les erreurs de calcul, dit-il, lui coûtent 5,2 milliards annuellement. Mais que coûterait une police du travail au noir, en sus du coût déjà considérable — 2 milliards de livres pour les deux prochaines années — prévu pour l'implantation de la réforme?
S'il est vrai que nombre de chômeurs vivent dans des régions désindustrialisées, un déplacement massif de cette main-d'oeuvre vers les régions créatrices d'emplois n'irait pas sans perturber, craint-on, le marché de l'habitation. Et si, par contre, ces chômeurs ne trouvent pas d'emploi chez eux, n'est-il pas humiliant de leur imposer une démarche d'embauche vouée à l'échec, et tout à fait injuste de réduire leurs prestations?
Entre-temps, Duncan Smith se défend d'évincer de Londres les 800 000 personnes qui y vivent dans des logements sociaux. Il n'y aura pas de «nettoyage social», s'indigne le ministre. La formule lapidaire, adaptée des massacres de l'ex-Yougoslavie, est de Boris Johnson, le bouillant maire. Par contre, promet Smith, les propriétaires subventionnés devront rabaisser leurs loyers à un niveau «commercial», de quoi soulager de 3,2 milliards le Trésor britannique.
Pourtant, si les réductions du budget social sont substantielles, elles risquent d'entraîner, surtout en période de récession, une plus grave pauvreté, notamment pour les ménages qui comptent des enfants. On tient pour un scandale au Canada qu'un million d'enfants vivent encore dans cette condition. Il y en aurait présentement deux millions en Grande-Bretagne, dont un bon nombre dans des ménages qui ont, dit-on, vécu seulement d'aide sociale ces dix dernières années.
Selon les gens du Trésor, les réductions des aides sociales ont été choisies parce qu'elles permettent d'avoir un effet sensible à court terme. L'effet politique, en tout cas, fait peu de doute. Là comme en d'autres pays, chômeurs et assistés sociaux ne sont pas électoralement rentables. Les compressions et sanctions promises sont — en plus — de nature à distraire le public des subventions massives que Londres, comme Washington, a versées ces dernières années aux banques et autres institutions financières, sans toujours leur imposer des critères d'austérité.
Bref, que la réforme contribue au rétablissement du trésor public ou qu'elle soit une diversion électorale, la classe politique britannique paraît mal venue de faire «payer aux pauvres» une crise financière dont ils ne sont pas responsables. Aux États-Unis, l'administration Obama prétend plutôt «taxer les riches», avec un succès pour le moins incertain. Mais au Canada, y compris au Québec, ce sont plutôt les grands services publics — santé surtout, mais aussi éducation — qui risquent d'être mis à la diète.
Nulle part, sauf peut-être en Allemagne, n'a-t-on encore trouvé une juste manière de répartir les sacrifices. Qu'en sera-t-il si jamais le «système» entre à nouveau en crise?
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redaction@ledevoir.com
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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