Un respect de façade

Un fossé sépare les gestes et la parole, aux dires mêmes du nouveau commissaire aux langues officielles, Graham Fraser.

Recensement 2006 - Langue française

Depuis l'automne 2005, les francophones ont pris l'habitude d'entendre le premier ministre Stephen Harper commencer ses discours et ses conférences de presse en français. Venant d'un ancien réformiste et ex-chef allianciste, ce n'était pas banal, et le geste n'est pas passé inaperçu. Il a aussi eu l'effet escompté. Il a rassuré ceux qui craignaient encore le chef et les politiques du Parti conservateur en matière de bilinguisme. Il restait à juger l'arbre à ses fruits, et le verdict est tombé hier: négatif. Un fossé sépare les gestes et la parole, aux dires mêmes du nouveau commissaire aux langues officielles, Graham Fraser.
Du coup, on est forcé de se demander si l'approche de Stephen Harper à l'égard du français est le fruit d'une véritable conversion au bilinguisme officiel ou le résultat de considérations purement stratégiques. Les apparences sont en sa faveur. M. Harper, par exemple, n'a jamais cessé depuis janvier 2006 de commencer ses discours en français. M. Fraser le note lui-même. La conduite du premier ministre, écrit-il, «témoigne de son respect exemplaire des deux langues officielles lors de toutes ses déclarations publiques au Canada et à l'étranger [...]. Il fait ainsi figure de modèle dont pourraient s'inspirer d'autres personnalités publiques.» La ministre responsable des langues officielles, Josée Verner, s'est aussi engagée à poursuivre le plan d'action adopté sous les libéraux et à ne pas aller en-deçà.
Mais les bonnes notes s'arrêtent à peu près là. Le plan libéral arrive à son terme en mars prochain, et on ignore encore si les budgets seront reconduits. Le Secrétariat des langues officielles ne relève plus du Conseil privé, le ministère du premier ministre, mais du ministère du Patrimoine, ce qui mine ses pouvoirs de coordination de tous les ministères. Et il s'agit là d'un choix du premier ministre et de personne d'autre. Les compressions budgétaires imposées en septembre dernier ont affecté les minorités linguistiques. Au premier chef, la disparition du Programme de contestation judiciaire, qui a provoqué le dépôt de 117 plaintes auprès du commissariat. Selon M. Fraser, 40 causes portant sur les droits linguistiques étaient portées devant les tribunaux au moment de l'annonce. Elles sont toutes en péril. Et que dire de l'offre de service active dans les deux langues? Elle a reculé au point que seulement 13 % des employés de la trentaine d'institutions examinées s'y plient.
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«Les messages du gouvernement ont été très positifs. Malheureusement, les gestes qu'il a posés au cours de la dernière année n'ont pas reflété ces déclarations publiques. [...] Il y a un fossé qui sépare le discours et les gestes», a déclaré M. Fraser hier. On ne peut pas être plus clair.
Faut-il s'étonner de ce constat? Dans l'entrevue qu'il accordait en 2005 à nul autre que Graham Fraser, pour son livre Sorry, I don't speak French, Stephen Harper affichait les mêmes convictions de toujours, tout en se montrant résigné à vivre avec une politique intouchable. Stephen Harper a toujours cru aux mérites du bilinguisme individuel. C'est le bilinguisme officiel tel que défini par Trudeau qui l'agace. Il aurait préféré que le Canada adopte un bilinguisme géographique. Cependant, une telle politique aurait sonné le glas des minorités de langue française.
Au Reform, Harper préconisait la reconnaissance de l'existence d'une région à forte prédominance francophone et d'autres régions à forte prédominance anglophone. Il voulait que les provinces aient juridiction sur la langue. Le 6 mai 2001, Harper publiait dans le Calgary Sun, un texte intitulé Le bilinguisme est devenu une religion. Ce credo n'a pas mené à l'unité et a coûté une fortune. Son discours évolue durant son passage à l'Alliance, la fusion avec le Parti progressiste-conservateur, et dans les mois qui précèdent son élection à la tête du PC. Quand il est élu en mars 2004, il déclare: «Nous devons poursuivre nos efforts pour bâtir ce parti au Québec. Nous devons être efficaces dans la langue fondatrice de ce pays, dans la langue fondatrice du Canada.»
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À l'automne 2005, les conservateurs surprennent en appuyant des changements qui visent à muscler la Loi sur les langues officielles. Mais on est alors à quelques jours de la défaite du gouvernement Martin, et le PC veut clouer le bec à ses adversaires politiques. Plus question de se laisser accuser d'être anti-francophone ou anti-bilinguisme, comme durant la campagne de 2004.
C'est à peu près à ce moment que Stephen Harper se met à débuter en français toutes ses conférences de presse et tous ses discours. Il multiplie aussi les déclarations en forme de profession de foi. «La fondation de Québec, c'est aussi la naissance de l'État qui est devenu le Canada. Nous ne devons jamais oublier que le Canada a été fondé à Québec, par des francophones. Voilà pourquoi je dis que le Québec est le coeur du Canada, et que la langue française est un élément indéniable de l'identité de tous les Canadiens, même si certains d'entre nous ne le parlons pas aussi bien que nous le devrions», déclarait-il à Québec, le 19 décembre 2005.
Beaucoup de francophones, en particulier au Québec, ont l'an dernier donné le bénéfice du doute à M. Harper. Le discours de l'homme s'est visiblement ajusté à la réalité. Mais même là, on constate que ce ne sont pas tant les intérêts des communautés francophones minoritaires qui le préoccupent que les intérêts électoraux de son propre parti au Québec. Son élection en dépend.
Cela ne signifie pas qu'aucun conservateur ne croit sincèrement aux vertus de la politique sur les langues officielles ou n'a à coeur le sort des minorités linguistiques. La pensée de Stephen Harper a en apparence évolué, si on en croit ses déclarations. Mais le doute persiste après la lecture des faits. M. Fraser a aussi raison d'être préoccupé. Les paroles ne peuvent suffire à assurer l'épanouissement des minorités linguistiques. Il faut des écoles, des services sociaux, des institutions culturelles, des outils économiques, pour qu'une communauté soit vivante sans être seulement la dépositaire d'un folklore.
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mcornellier@ledevoir.com


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