Un Premier ministre wallon au service de la Flandre?

Chronique de José Fontaine

J'ai déjà expliqué ici plusieurs fois qu'en Belgique, il n'y a plus de partis «fédéraux» depuis longtemps. Il y a d'une part des partis flamands en Flandre et qui se présentent aussi aux suffrages des Bruxellois flamands mais qui ont peu d'élus. Et, d'autre part des partis wallons et francophones qui ont la majorité de leurs élus en Wallonie et une part importante aussi à Bruxelles qui est une ville francophone. Deux électorats distincts.

Le malaise côté francophone

Cette situation crée un malaise côté francophone car Bruxelles et la Wallonie sont deux régions distinctes, mais sur la scène fédérale, les partis adoptent un profil uniformément francophone et d'une certaine façon antiflamand qui ne fait pas les affaires de la Wallonie. Comme la grande poire de discorde oppose les Bruxellois francophones aux Flamands dans diverses affaires (comme la scission de l'arrondissement de BHV, qui préoccupe plus les dirigeants francophones et même wallons que le redressement de la Wallonie), un malaise existe, y compris chez les Bruxellois qui estiment que l'affaire de BHV n'en vaut pas la peine. Soit, mais je ne vais pas parler de cela, même s'il fallait le préciser.

Un plus grave malaise encore

Au lendemain du réveillon de Noël, le 26 décembre dernier, le journal Le Soir et le journal flamand De Standaard, nous apprenaient que, lors de la toute première réunion du gouvernement fédéral belge, le nouveau Premier ministre belge , le socialiste wallon Di Rupo avait fait cette déclaration, le 6 décembre, jour du premier conseil de gouvernement, dans le contexte que décrivent auparavant les deux journaux: « Les ministres viennent à peine de prêter serrment entre les mains du Roi. Chacun cherche un peu sa place, le 6 décembre à la grande table ronde du Seize, rue de la Loi. Le tout nouveau Premier Ministre, Elio Di Rupo préside son premier Conseil des ministres. Il prend la parole. Son intervention est quelque peu solennelle. Il y va de la survie des familles politiques traditionnelles en Flandre. Il s'agit bien là de sa priorité absolue «Nous devons tout faire pour soutenir les partis flamands de la majorité, pour leur faire gagner les prochaines élections. Nous devons être parfaitement conscients que leur position n'est pas facile. Nous leur sommes redevables de l'effort qu'ils ont fait.» »

Mais Le Soir ajoute : « Le plaidoyer pour un soutien indéfectible aux trois partis flamands de la majorité peut sembler inhabituel, mais il ne surprend personne à la table. »

Voilà donc un gouvernement belge qui va agir non pas en fonction d'un équilibre entre l'opinion wallonne, flamande et bruxelloise, mais d'abord de l'opinion flamande! Et cela «ne surprend personne». Où est-on? Essayons de l'expliquer.

Pourquoi le gouvernement belge se met au service de trois partis de Flandre

Il faut rappeler d'abord que la Flandre domine politiquement la Belgique depuis trois-quarts de siècle ce qui explique en grande partie les difficultés économiques de la Wallonie, cette politique ayant été menée d'une manière systématique et avec une très grande volonté politique. Passons (si l'on peut dire).

Il y a aussi le fait que le plus important parti de Flandre, la NVA, obtiendrait, selon les sondages les plus récents, 40 % des suffrages en Flandre sur une ligne électorale nationaliste flamande et de droite néolibérale. Ce qui met en difficultés, bien entendu, les trois partis flamands au gouvernement, les socialistes (moins à droite évidemment mais quand même aussi très flamands), les démocrates-chrétiens (un peu plus à droite et certainement très flamands), les libéraux (qui ont un programme flamand radical mais aussi un programme social très dur, semblable en tout cas à celui de lla NVA).

Di Rupo estime que si la crise belge a duré si longtemps c'est en raison du fait qu'll a dû négocier stérilement des mois avec la NVA sans jamais aboutir en raison de ce qu'il estime être des demandes trop flamandes de ce parti (mais il est lui-même peu autonomiste wallon et très attaché au roi et à la Belgique). Sauver la Belgique, ce ne serait donc possible qu'avec des Flamands modérés comme ceux des trois partis que j'ai cités. Mais cela peut se discuter. Je vais en donner deux raisons.

La première erreur de Di Rupo

La première erreur de Di Rupo, c'est de devoir mener (à force de vouloir sauver la Belgique), une politique sociale très dure (lui qui est quand même socialiste, ne l'oublions pas). Son gouvernement s'en est pris d'abord aux pensions avant de diminuer les allocations de chômage et d'autres joyeusetés du même type à venir. Les économistes, même de droite, estiment que ces politiques menées partout en Europe pour diminuer les dettes publiques des Etats auront l'effet inverse: elles vont les aggraver.

Certes, on peut comprendre que politiquement (en raison des partis présents au gouvernement), Di Rupo ne pouvait pas faire autrement. Mais fallait-il vraiment que le premier volet du programme gouvernemental soit voté à la va-vite sans aucune concertation sociale, ce qui est une tradition très solide en Belgique? Ne l'a-t-on pas fait pour satisfaire la haine sociale dont se nourrissent les électorats des partis les plus à droite, surtout en Flandre? Et surtout à l'égard des chômeurs en proportion plus grande, vu les difficultés de la Wallonie dont j'ai donné une explication partielle, un peu plus haut? Poser la question c'est y répondre.

Il y a autre chose. En raison de la division des électorats en Belgique, certains proposent qu'une partie des députés fédéraux soient élus au sein d'une circonscription nationale qui obligerait ceux qui veulent se faire élire de s'expliquer devant les deux électorats. Cela les obligerait à nuancer leurs propos, à influencer leurs partis respectifs et à ce que ces partis viennent à la table des négociations pour un gouvernement à former avec des programmes plus compatibles qu'aujourd'hui. Le problème c'est qu'une réforme électorale est rarement la solution à un problème politique. Et que l'opposition entre partis flamands et wallons n'est pas seulement ethnique. Elle est aussi idéologique (droite/gauche présentes dans les deux régions), de même qu'institutionnelle (autonomistes contre unitaristes, également présents dans les deux régions). On pourrait imaginer à cet égard que des candidats wallons très autonomistes fassent valoir cette partie de leur programme pour se faire élire en Flandre ou l'inverse.

Quoiqu'il en soit, les partisans de cette solution très discutable (elle ne résoudrait rien à mon sens), ont vu celle-ci dépassée par le premier discours de Di Rupo à son gouvernement. Ce n'est plus un simple député wallon qui va tenir compte de l'opinion en Flandre, c'est un Premier ministre belge d'origine wallonne. Et il ne va pas seulement tenir compte de l'opinion en Flandre, il va donner à cet aspect de sa politique la priorité! C'est quand même assez invraisemblable. Déjà les analystes considéraient que l'enjeu politique des élections fédérales belges était en Flandre, affichant ainsi un grave mépris pour l'opinion en Wallonie. Le Premier ministre wallo-belge leur emboîte le pas et ne se préoccupera donc pas en priorité de l'opinion en Wallonie. Où il considère qu'il y possède, avec ses compères des autres partis, un électorat captif qui au fond n'a rien à dire. Je laisse le lecteur apprécier la chose. Mais Di Rupo fait une deuxième erreur.

La deuxième erreur de Di Rupo

La deuxième erreur de Di Rupo, c'est que les partis flamands qu'il veut tant défendre sont peut-être plus modérés que la NVA nationaliste, mais avaient proposé (même les Verts flamands qui ne sont as au gouvernement), un programme d'autonomie très radicale en quelque sorte spontanément et pas nécessairement sous la pression de la NVA. Le credo du Premier ministre régional flamand (un démocrate-chrétien qui est l'homme qui pèse le plus dans son parti), c'est la révolution copernicienne. C'est-à-dire mener jusqu'à leur actualisation complète les potentialités de confédéralisme déjà très présentes dans le fédéralisme belge (équipollence des normes, présence dans les organisations internationales avec des pouvoirs bien réels , pouvoir de signer des traités et de toute façon prolongation des compétences exclusives des entités fédérées sur la scène internationale). Avec à l'horizon la transformation de l'Etat fédéral en coquille vide. On comprend l'erreur de Di Rupo s'il veut sauver la Belgique et plus précisément l'Etat fédéral belge. Il est possible qu'il veuille au moins parvenir à utiliser la force politique qui est la sienne à postposer dans le temps cette perspective. Il est possible aussi que la Wallonie ait encore besoin de quelque temps pour se redresser et se bâtir.

Mais quand on sait que c'est surtout la Wallonie qui pâtit de l'existence d'un Etat fédéral belge sur le plan économique et politique, on mesure à quel point cette attitude belge jusqu'auboutiste de Di Rupo est le fait de quelqu'un qui, tout en se faisant élire en Wallonie, a décidé de ne prendre en compte, ni l'opinion wallonne, ni, ce qui est à la limite plus grave encore, les intérêts à long terme de la Wallonie. Il y a des plans de redressement de la Wallonie qui donnent des résultats. L'Institut Jules Destrée, lisant la réforme de l'Etat telle que la veut le gouvernement actuel, estime que la Wallonie doit prévoir de s'en sortir seule d'ici dix ans. Car dans dix ans elle ne bénéficiera plus de la solidarité fédérale (une bien maigre solidarité d'ailleurs qui ne compense pas l'espèce de pillage dont elle a été l'objet). Manifestement, ceci ne constitue aucunement la priorité du Premier ministre wallo-belge dont on dit que c'est surtout un homme de pouvoir, rêvant depuis qu'il est gamin de devenir Premier ministre sinon le Régent de la Belgique comme l'a appelé un journal flamand (KNACK), ce qui l'apparenterait au Roi (écrivons pour une fois ce mot avec un grand r). Je ne crois pas à ces explications. Ou plus exactement, si elles sont fondées, elles le sont en grande partie sur le manque de lucidité des Wallons.

Que va faire le groupe des convergences wallones par exemple? Ne devrait-il pas déposer une motion de défiance symbolique au Parlement wallon à l'égard du Premier ministre belge? Ce serait à mon sens la moindre des choses puisque l'on sait (ce qui en principe reste confidentiel), dans quel esprit Di Rupo préside un gouvernement plus belgo-flamand encore que celui de ses prédécesseurs.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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1 commentaire

  • José Fontaine Répondre

    7 janvier 2012

    Je suis obligé de me commenter moi-même, mais pour me critiquer : cette information parue il y a trois semaines m'avait échappé. Or elle est importante et elle en dit long sur le bizarre esprit de responsables wallons mais aussi flamands et bruxellois. Qui préparent aussi, tout en siégeant dans le gouvernement belge, la scission du pays (cette information n'a pas été démentie) :
    http://www.levif.be/info/actualite/belgique/le-plan-b-d-elio-di-rupo-la-scission-de-la-belgique/article-4000017501888.htm