Un phare s'éteint

Jean-Paul Desbiens (Frère Untel)


Né plus d'un an après la publication de votre première lettre dans Le Devoir, ce n'est que bien tard que j'ai fait votre connaissance, plus précisément au moment de la réédition de Les Insolences du Frère Untel, lors du 30e anniversaire des Éditions de l'Homme. Depuis, et plus particulièrement depuis la déconcertante lecture de Sous le soleil de la pitié, je ne vous ai plus lâché, si vous me permettez cette familiarité.
Aujourd'hui, et malheureusement sur le tard, je fais ce que j'aurais dû faire depuis fort longtemps: prendre le temps de vous adresser quelques mots de reconnaissance pour tous ces merveilleux moments passés en votre compagnie. Moments marquants vécus lors de la lecture de tous ces textes que vous avez ciselés avec la virtuosité d'un sculpteur en parfaite maîtrise de son art, même si vous prétendiez travailler " à la hache ". Souvenirs indélébiles fixés lors du visionnement de toutes ces entrevues que vous avez données avec la faconde du penseur en parfaite possession de ses propos et de ses moyens.
Ce soir, loin de toute prétention exégétique, je reprends, avec beaucoup de tristesse, une promenade rituelle à laquelle je m'adonne lors d'événements impénétrables ou de moments insondables dont la Vie est jalonnée: je retourne à votre oeuvre et parcours quelques-uns de vos ouvrages afin d'y redécouvrir quelques mots inspirateurs, quelques passages consolateurs ou quelques enseignements révélateurs. Comme toujours, des pensées lumineuses, éclairantes, signifiantes et donc réconfortantes, s'y trouvent. En voici quelques-unes, glanées au hasard des pages:
" La mort (...) est le seul moment de vérité, celui qui évacue tout alibi, toute prétention. " (Se dire, c'est tout dire)
" Vouloir pouvoir espérer. Voilà une phrase parfaite: trois infinitifs. C'est tout le Credo, moins l'amen final. " (Journal d'un homme farouche)
" On n'est jamais libre; on est toujours en voie de libération. La dernière libération, c'est la mort. " (Les Années novembre)
" Le tragique, le sentiment du tragique, ne dure jamais longtemps. La vie continue. " (Je te cherche dès l'aube)
La qualité de notre langue, l'éducation, l'enseignement, le syndicalisme, la politique, le nationalisme, la foi, notamment, figuraient parmi vos principaux sujets de prédilection. Limpides et directes, vos prises de position suscitaient l'adhésion ou l'opposition; elles avaient le mérite de ne laisser personne indifférent. Comme tous les pionniers, vous avez été plus " actuel " que nombre de vos contemporains. En le demeurant jusqu'à la limite de vos forces, vous avez fait oeuvre utile.
Pour une nation tout entière secouée et sortie d'une torpeur certaine par la franchise du verbe, la rigueur de la pensée et la force de l'argumentation qui étaient votre " marque de commerce ", un phare qui s'éteint définitivement s'avère une tragédie. Surtout lorsqu'il fut, et ce jusqu'à l'ultime bout de sa longue et remarquable route, une intarissable source de réflexions et, conséquemment, de changements et de liberté. Autrement dit, un " empêcheur de penser en cons ", comme l'instinct grégaire pousse si bien à le faire.
" La gloire, c'est d'être porté dans le coeur d'un inconnu ", avez-vous écrit dans Sous le soleil de la pitié, chef-d'oeuvre dont l'école, cette " trame de la société " qui vous tenait tant à coeur, devrait assurer la plus large fréquentation possible. Au-delà de la place immense que vous occupez dans le coeur d'une multitude d'inconnus, vous léguez à une société qui en a grand besoin un héritage qui laissera une empreinte pérenne. Puisse-t-elle s'en montrer digne, non pas tant en l'acceptant aveuglément qu'en la questionnant intelligemment, comme le libre penseur que vous étiez l'eût toujours souhaité.
L'auteur est avocat et professionnel des communications.


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