Un nouveau cadre pour édifier le Québec

Chronique de Claude Bariteau

Depuis la prise de contrôle du territoire de la Nouvelle-France et la gestion politique de la population de la Province of Quebec par la Grande-Bretagne, puis le Canada, vouloir faire de ce territoire un pays indépendant est une constante. Elle l'est encore plus aujourd'hui dans le cadre de la mondialisation, car c'est sur cette scène que se structurent les pays actuels. Aussi importe-t-il d'analyser comment cette volonté s'est exprimée et, s'il y a lieu, de corriger le tir.

Sous la gestion britannique, il y eut un processus d'affirmation nationale entre 1800 et 1830. Cette affirmation s'est radicalisée en 1834 avec l'adoption des 92 résolutions suivie des affrontements militaires de 1837-1838, lesquels incitèrent Londres à créer le Canada uni. Sous la gestion canadienne, une nouvelle affirmation nationale s'amorça dans le sillage de la Deuxième Guerre mondiale. Après la Révolution tranquille, elle s'accentua et aboutit aux référendums de 1980 et de 1995, dont les défaites furent suivies d'un renforcement du Canada avec le rapatriement de la Constitution en 1982 et de l'adoption de la loi sur la clarté en 2000.
Ces processus se sont déployés à la suite de la constitution interne d'une identité culturellement définie. Il en découla des revendications de pouvoir et des demandes de reconnaissance. Devant des refus constants, un activisme sécessionniste s'est exprimé. Bloqué politiquement à la première occasion, il fut contré par l'armée britannique. À la seconde, les modalités de son expression politique au Québec furent contournées.
Nous en sommes là, mais nous savons: 1) que la voie militaire est sans issue; 2) que l'approche référendaire est à risque si elle est déployée sans accord formel avec le Canada et sa supervision par des instances internationales; 3) que la voie électorale est aussi légitime qu'un référendum pour instituer un État indépendant; 4) que son recours, dans un contexte où plusieurs partis prônent l'indépendance, nécessite une entente entre eux.
Des avenues nouvelles
Au cours des cinq dernières années, des indépendantistes, s'inspirant en partie de ces savoirs, ont suggéré des avenues nouvelles. Pour la plupart, ils ont inscrit leurs propositions à l'intérieur du cadre qui a conduit à l'activisme des Patriotes et des péquistes. Sa particularité est de valoriser le recours à l'État provincial du Québec, le renforcement du nationalisme culturel et un activisme souverainiste.
Les distances prises par Pauline Marois à l'égard du référendum et les projets de loi du Parti québécois sur une constitution et une citoyenneté s'inscrivent à l'intérieur de ce cadre. De même que le livre de Mathieu-Bock Côté, La Dénationalisation tranquille, l'ancrage de l'indépendantisme dans le nationalisme dont témoignent le numéro spécial du 90e anniversaire de L'Action nationale et le récent texte intitulé Si j'étais chef..., signé par Gérald Larose.
Ambiguïté
Les éléments constitutifs de ce cadre recèlent une double ambiguïté. La première, celle d'assumer les pouvoirs d'un État subordonné à un autre avec l'objectif de le transformer en un État indépendant en posant des gestes de souveraineté. La deuxième, celle de proposer l'édification d'un pays sur la base d'une nation culturellement plutôt que politiquement définie.
Or, quoi qu'on dise, l'État du Québec est subordonné à l'État canadien. Tous les gestes d'affirmation doivent composer avec les règles politiques et économiques de cet État. S'ils vont à l'encontre de celles-ci, au mieux ils conduisent à des accommodements, au pire aux écueils comme ceux rencontrés avec la localisation de l'aéroport international, la loi 101 sur la langue, Québecair, Télé-Québec, l'achat du Canadien Pacifique, l'assurance-emploi, la Bourse de Montréal et le projet de TGV Québec-Montréal-New York auquel on oppose un trajet Québec-Montréal-Toronto-Windsor pour consolider l'axe est-ouest, comme en 1867.
Quoi qu'on dise aussi, dans le sillage de la Révolution tranquille, une nation politique s'est édifiée, dont les assises débordent celles d'une communauté politique de composantes ghettoïsées. Il y a au Québec un socle commun bien vivant, et c'est ce socle que le Canada cherche à miner à la faveur d'une définition culturelle de la nation québécoise. Injecter à cette nation des potions concoctées dans le creuset d'une nation préexistante ne fera qu'accélérer le minage en cours.
Une hiérarchie indispensable
Pour promouvoir l'indépendance, il importe plutôt de s'extraire de ce processus à la faveur d'un autre qui en hiérarchise différemment les éléments. Puisque l'objectif visé est l'indépendance du Québec réalisée dans le respect des règles démocratiques, ce processus doit primer sur le nationalisme, et la démocratie sur le déploiement des gestes menant à l'indépendance. En quelque sorte, il importe de souder indépendance politique et démocratie et de subordonner la construction nationale à la création de l'État indépendant du Québec car, avec les pouvoirs d'une province, on ne construit qu'une nation dépendante et minorisée.
Seul un tel cadre peut enclencher une lutte politique menant à l'institution légitime des pouvoirs d'un pays à l'aide du levier disponible qu'est la voie électorale. Il importe de le baliser à cette fin et de rechercher un soutien de 50 % + 1 des électeurs. En-deçà de ce pourcentage, que des indépendantistes assument le pouvoir exécutif de la province irait à l'encontre du mandat recherché. Ils devraient investir uniquement le pouvoir législatif, ce qui n'empêchera pas, au nom des intérêts supérieurs du peuple québécois, de réaliser les travaux préparatoires à une rupture du Canada.
Un nouveau cadre
Ce point n'a rien de théorique. Témoin d'un engagement indépendantiste, il révélera que les indépendantistes respectent le choix des citoyens. Seuls des nationalistes désireux de s'activer dans un cadre ambigu y verront une position contraire aux règles parlementaires et un déni de promouvoir la survie d'une nation culturelle. Or, c'est précisément l'acceptation de ces règles qui conduit à des pratiques nationalistes dont la particularité est de transformer en amis les membres de la nation culturelle et en ennemis ceux qui ne s'y associent pas.
Un indépendantiste ne voit pas les choses ainsi. Ses ennemis sont les opposants à l'indépendance, fussent-ils des nationalistes fédéralistes ou autonomistes, et ses amis sont des indépendantistes toutes origines confondues. Puis, son intérêt principal n'est pas la survie. Il se retrouve dans le projet de créer un pays qui soit un milieu de vie emballant et enrichissant, de rayonner sur la scène internationale et de développer une culture publique commune de langue française dans un univers respectueux des minorités.
Activé, ce nouveau cadre clarifiera donc les choses. Puis, plutôt que de tourner en rond à chercher une issue possible dans l'autre cadre, les indépendantistes canaliseront leurs énergies en fonction d'une seule cible: l'édification du pays du Québec. Sans ce cadre, le pays du Québec, de rêve qu'il est, se transformera en cauchemar et les indépendantistes, pourtant nombreux, en marginaux désorientés devant l'absence d'issue.
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Claude Bariteau, Anthropologue
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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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