Un gros madrier planté dans l'oeil

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Le réseau anglais de Radio-Canada a diffusé, le mois dernier, une version très écourtée d'un gala, celui du Panthéon des auteurs et des compositeurs canadiens, en retranchant la présentation des artistes québécois.

Claude Dubois, qui était l'un des artistes intronisés cette année au Panthéon, a été indigné de découvrir qu'il avait été coupé dans la version télévisée, et a accusé la société d'État de racisme. On comprend la frustration du chanteur québécois, quoique son allusion au racisme était outrancière. Les mots ont encore un sens. Le racisme est une accusation très grave qu'on n'a pas le droit de garrocher n'importe comment.
On peut certainement déplorer le choix de la CBC. Le Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens se fait un point d'honneur de bien refléter la réalité canadienne et honore aussi des artistes québécois. Il est donc étonnant que Radio-Canada, une société d'État canadienne, qui a aussi comme mandat de refléter la réalité canadienne, choisisse de gommer tout un pan de cette réalité.
Le choix de la CBC reflète la réalité des deux nations au Canada, avec deux réseaux de télé parallèles, qui servent deux nations dont la coexistence repose souvent sur l'indifférence mutuelle. Le public canadien-anglais connaît peu les artistes québécois et ne tient particulièrement pas à les connaître. Et vice-versa.
Notons, avant d'aller plus loin, que ce gala a été considérablement charcuté pour sa version télé, de trois heures à 44 minutes. Il y a eu beaucoup de coupures. Dont l'animateur, Gregory Charles. Et ce qu'on a coupé de Claude Dubois, ce n'est pas une chanson, mais son intronisation par Raymond Lévesque et ses remerciements. Qui veut vraiment voir des remerciements de quelqu'un qu'il ne connaît pas?
On peut donc regretter. Cependant, ce n'est pas une vague de regrets qui a déferlé, mais une véritable indignation à l'égard de cet autre affront à la nation québécoise. Et là, on revient à la bonne vieille parabole, celle de la poutre dans l'oeil.
Avant de grimper aux rideaux, comme on l'a fait abondamment au Québec, il fallait d'abord se poser une question. Qu'est ce que nous faisons, nous, au Québec? Le réseau français de Radio-Canada a-t-il passé, lui, la version intégrale du gala? Évidemment pas. Il n'en a même pas diffusé une seule minute. Ce n'est pas un reproche, mais une constatation. La SRC, et les autres réseaux du Québec, ne diffusent pas de shows canadiens. Et plus encore, tandis que les galas canadiens, comme les Juno pour la musique ou les Génie pour le cinéma, ont des nommés québécois et souvent des lauréats québécois, nos Félix et nos Jutra sont résolument québéco-québécois. Il faut dire que les galas sont la pire façon de faire découvrir une culture.
Bref, nous avons un gros madrier enfoncé dans l'orbite. La loi des deux poids deux mesures. Nous exigeons d'être diffusés partout au Canada, sous peine de lancer des accusations de racisme ou de francophobie, mais il ne nous viendrait pas à l'idée d'offrir la réciproque. Du nationalisme primaire et narcissique.
Je reviens sur ce sujet parce qu'il a rebondi cette semaine à la Chambre des communes. Le comité des langues officielles a convoqué le vice-président des services anglais de Radio-Canada, Richard Stursberg, pour aller au fond de la question. Ou plutôt au bas-fond. Des députés mineurs, qui étalent leur indignation facile, et qui insultent un dirigeant de société d'État qui ne peut pas se défendre.
«Le grand problème, a expliqué M. Stursberg, si je mets quelqu'un à l'écran que personne ne connaît, à ce moment-là, ils vont changer de canal.» L'absolue vérité, celle des deux solitudes et celle de la logique des cotes d'écoute. Exactement ce qu'aurait dit un francophone. Mais nos députés se sont déchaînés.
Particulièrement Denis Coderre, l'incarnation vivante du populisme imbécile. M. Coderre a dénoncé «l'autosuffisance», vous avez bien lu, du vice-président de la SRC; démagogue et vulgaire, il l'a insulté en l'accusant d'être atteint du «syndrome Don Cherry».
Mais c'est l'inintelligence satisfaite qui est la plus difficile à supporter. «Monsieur, vous provoquez les deux solitudes dans notre pays», a-t-il lancé, pompier. L'idée que le rapprochement des deux solitudes doit se faire dans les deux sens aurait dû effleurer un ex-ministre, libéral (et non pas bloquiste), de surcroît critique officiel en matière de patrimoine.
Et ça mène à une grande question collective. Si nous exigeons que la CBC cesse d'éliminer les artistes québécois, est-ce que nous réclamons, au nom de la même logique, que la SRC diffuse aussi les performances des Canadiens anglais? Et si elle le fait, allez-vous écouter ou allez-vous zapper?


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