Un gouvernement en crise - Les schistes, une filière libérale?

Gaz de schiste



Québec — Vieil ami de Jean Charest, François Pilote, qui a aussi été son conseiller et son organisateur politique, a obtenu en avril, par le truchement de son agence Groupe GVM, un important contrat de lobbying avec Talisman, une entreprise albertaine spécialisée dans l'exploration des gaz de schiste. Cette dernière est actuellement en phase exploration au Québec et pourrait passer au stade de l'exploitation dès le milieu de 2011.
Selon le registre des entreprises, M. Pilote est «administrateur, président, secrétaire et actionnaire majoritaire» du Groupe GVM. Toutefois, celui qui a enregistré un mandat pour Talisman au registre des lobbyistes est le vice-président des affaires publiques du Groupe GVM, Daniel Bernier. Ce dernier fut chef de cabinet du gouvernement Charest jusqu'en 2005 auprès de la ministre du Tourisme de l'époque, Françoise Gauthier. Il a brièvement occupé un poste similaire à Ottawa, auprès de Rona Ambrose, alors qu'elle était ministre de l'Environnement.
Dans le registre des lobbyistes, le mandat de M. Bernier consiste à «représenter les intérêts» de la société albertaine Talisman Energy inc. «auprès de différents titulaires de charge publique relativement à la législation et à la réglementation reliée aux hydrocarbures, dont notamment la Loi sur les mines [...] et les règlements afférents, ainsi qu'à l'égard de l'intention du gouvernement du Québec de mettre en place une nouvelle loi sur les hydrocarbures afin d'élaborer un régime encadrant la recherche et l'exploitation des hydrocarbures au Québec». Le registre indique aussi que l'Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ) fait partie des autres «associations directement intéressées» par ce mandat.
Selon nos informations, des représentations ont été effectuées dans le cadre de ce mandat dans plusieurs cabinets, dont celui du premier ministre, mais aussi auprès des oppositions. Le cabinet du ministre Laurent Lessard est aussi visé par le mandat de lobbyisme à titre de responsable des régions Chaudière-Appalaches et du Centre-du-Québec.
Un vieil ami
Joint hier, M. Pilote a dit trouver «choquant» les insinuations de proximité entre le gouvernement Charest et sa boîte. Il soutient ne pas être dans le giron libéral depuis très longtemps, puisque son association à Jean Charest date de l'époque où ils étaient tous deux conservateurs. «En bon français, je suis un bon vieux bleu!» déclare-t-il. Il a été directeur général du parti de 1994 à 1997. «Quand il y a eu la transition avec Québec, moi j'ai fait la transition et je suis parti tout de suite. Je suis parti travailler avec Charles Sirois pendant un an et après ça j'ai fondé le Groupe GVM.»
Ce résidant de l'Estrie se décrit comme ami de longue date de Jean Charest. Ainsi, il lui a «donné un coup de main bénévolement dans le coin de Sherbrooke, c'était normal», dit-il. Travailler dans l'organisation? «C'est pas que je n'aurais pas aimé ça!»
Il insiste: il n'a jamais «été sur la liste de paie du gouvernement. Je n'ai jamais été là et je n'ai pas de mandat non plus». Au sein de Groupe GVM, il ne fait toutefois pas de lobbyisme et se spécialise plutôt dans le conseil stratégique. Tout ce qui est lobbyisme est confié à son vice-président. L'essentiel du travail du Groupe GVM est «l'intégration sociale», c'est-à-dire les consultations, les portes ouvertes, «tout ce qui peut donner confiance à la population». M. Pilote note avoir entre autres travaillé sur l'acceptation sociale du projet de terminal méthanier à Cacouna.
Dans le volet publicité, il a toutefois recruté une ancienne employée du cabinet de Jean Charest à l'époque de l'opposition officielle: la vice-présidente de la direction de GVM est Sylvie Paradis, qui a été aussi été consultante pour le PLQ à l'automne 2008, en préparation de l'élection.
L'APGQ sur la sellette
D'autres anciens collaborateurs de Jean Charest évoluent dans les cercles qui font la promotion du gaz de schiste. Ancien conseiller aux affaires politiques et juridiques au cabinet de Jean Charest et ancien conseiller de Nathalie Normandeau (lorsqu'elle était au ministère des Affaires municipales), Martin Daraîche travaille maintenant pour le cabinet National. Or, il exécute actuellement un mandat pour l'Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ), mandat qui prendra fin en mai 2011 et qui consiste à faire différentes démarches: auprès du ministère des Ressources naturelles «afin de préparer la future loi sur les hydrocarbures»; auprès du ministère de l'Environnement afin «d'apporter une modification législative à l'article 22 de la Loi sur la qualité de l'environnement»; auprès du ministère des Affaires municipales «afin d'apporter une modification législative à l'article 246 de la Loi sur l'aménagement du territoire». Et le tout, «dans le but que le Québec soit reconnu comme une juridiction capable d'accueillir une industrie structurante en matière de shales gazéifières».
L'avocat de Jean Charest dans la poursuite en diffamation contre Marc Bellemare, mais aussi à la commission Bastarache, a incorporé l'AGPQ en 2009. Joint hier, Me Ryan a indiqué ce qui suit: «Mon service corporatif a rédigé les règlements et a déposé les papiers d'incorporation. J'ai assisté à la première assemblée des membres le 10 juin 2009.» Depuis, il dit avoir cessé toute intervention dans ce dossier.
L'APGQ, elle a attiré l'attention sur elle hier puisqu'elle a embauché Stéphane Gosselin au poste de directeur général. Ce dernier était jusqu'à vendredi dernier chef de cabinet du ministre du Développement économique, Clément Gignac. Ce passage rapide du gouvernement à la défense de l'industrie des gaz de schiste en a fait sourciller plusieurs dans l'opposition officielle. Le principal intéressé a insisté: puisqu'il n'a jamais eu directement affaire à l'APGQ dans le cadre de ses fonctions, aucune règle, ni la directive que doivent signer les employés politiques, ni la loi sur le lobbyisme n'a été enfreinte.
«C'est un fait très troublant», a toutefois déclaré la chef péquiste, Pauline Marois, en marge du conseil national du Parti québécois. Tout comme son collègue Stéphane Bédard, elle juge invraisemblables les explications fournies par M. Gosselin, c'est-à-dire qu'il n'a jamais eu de «rapports» avec le lobby du gaz de schiste. «Je comprends difficilement qu'un chef de cabinet du Développement économique n'ait pas d'informations stratégiques dans un débat qui a cours au Québec.» Pour M. Bédard, «l'impression qui est donnée aux Québécois, c'est qu'on privilégie les intérêts particuliers plutôt que l'intérêt collectif dans ce dossier-là. Si on laisse des gens être à la solde d'une industrie [...], c'est très inquiétant pour la suite des choses», a déclaré M. Bédard en marge du caucus du Parti québécois.
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Avec Kathleen Lévesque


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