Tout ça pour ça?

Les "évidences" de Dubuc

Si le premier ministre Stephen Harper avait l'intention, ce qui est peu probable, d'ouvrir la porte à des ventes massives d'eau douce aux États-Unis, ce n'est certainement pas dans un forum aussi scruté que le sommet de Montebello qu'il aurait abordé cette question. C'est une évidence.

Pourquoi alors le chef de l'opposition, Stéphane Dion, en exprimant ses attentes sur le sommet, a-t-il ramené sur le tapis cette question de l'eau, nourrissant du même coup des théories du complot peu compatibles avec sa personnalité? Cet incident permet d'illustrer l'espèce de délire qui entoure ce genre d'événements, et l'absence de maturité intellectuelle avec laquelle les Canadiens abordent la question des relations continentales.
Il faut dire que cette rencontre des dirigeants des États-Unis, du Canada et du Mexique à Montebello, au début de la semaine, dans le cadre du Partenariat pour la sécurité et la prospérité, contenait tous les ingrédients pour alimenter les pires cauchemars de l'inconscient collectif canadien.
Au départ, tous les sommets internationaux, et encore davantage ceux qui parlent de libéralisation du commerce, sont le point de ralliement des mouvements d'extrême gauche, dans un rituel maintenant réglé comme du papier à musique. Et comme il n'y a rien de plus fastidieux que des rencontres techniques à huis clos, les caméras sont braquées sur les militants, ce qui crée un climat de crise parfaitement artificiel.
À ce phénomène global fort documenté s'ajoutent des réflexes conditionnés bien canadiens. D'abord, le populisme qui mène à une aversion pour ce qui se déroule derrière des « portes closes «. Ensuite, un fond d'antiaméricanisme qui nourrit toujours une résistance à l'ALENA. Mais aussi la personne même de Georges W. Bush, impopulaire dans son pays et détesté ailleurs. Et la méfiance que suscite Stephen Harper dans le dossier précis des relations avec les États-Unis en raison de ses affinités avec la droite américaine. Ajoutez à cela la présence de dirigeants d'entreprises au sommet, et le nom même du PSP, qui évoque les sociétés occultes d'un roman de Robert Ludlum.
Tout cela nourrit un joli folklore, et permet aux adversaires politiques de Stephen Harper de marquer des points. Mais cela nous empêche du même coup d'avoir une discussion rationnelle sur le PSP. La raison d'être de ces sommets, c'est d'abord l'importance du commerce entre les trois pays signataires de l'ALENA. Mais aussi le fait que cette intégration économique du XXIe siècle est soumise à un cadre institutionnel du XIXe siècle: douanes tatillones, duplication réglementaire, et maintenant obligation d'un passeport. Ces entraves, souvent inutiles, réduisent la fluidité des échanges et compromettent la croissance.
C'est à ce genre de problème que doit s'attaquer le PSP. Et le fond explique la forme. D'abord, l'obligation pour notre premier ministre de rencontrer le président Bush, aussi impopulaire soit-il, d'autant plus que la culture qu'il incarne, l'obsession pour la sécurité depuis les attentats du 11 septembre, est à la source de bien des problèmes qui alourdissent les relations frontalières. Cela explique aussi la présence de dirigeants d'entreprises, qui connaissent la réalité concrète des échanges, bien plus que les fonctionnaires et les politiciens.
Et cela justifie un certain secret. S'il faut souhaiter le plus de transparence possible dans la divulgation des thèmes de discussion du PSP, la composition de ses comités, il faut être naïf ou de mauvaise foi pour croire que ce genre de processus se fera en public, comme dans une téléréalité. Dans nos sociétés, les grandes décisions se font derrière des portes closes, et les négociations ne se font pas en public. Au nom de quelle logique des négociations entre pays, de surcroît difficiles, se feraient sur la place publique?
S'il y a une critique à faire de ce sommet, c'est le fait que ce forum n'est pas le meilleur endroit pour défendre les intérêts canadiens. Les relations continentales nord-américaines ne sont pas un triangle, mais une relation inégale entre un géant, les États-Unis, et deux partenaires juniors, le Canada et le Mexique, qui ont peu de liens et peu de traits communs. Pour cette raison, le Canada a tout avantage à réclamer des États-Unis un traitement différent du Mexique, pour la gestion des frontières ou pour l'harmonisation des règles et des normes, parce que les deux pays ne sont pas au même stade de développement. Ce n'est pas à trois qu'on pourra discuter de cela, mais plutôt à deux.
Ce déséquilibre dans les relations trilatérales explique en grande partie la disproportion frappante entre l'importance des enjeux et les énormes moyens déployés à Montebello, et les résultats très modestes de la rencontre, qui se résume à quelques voeux pieux. Tout ça pour ça?


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