Tirer sur le messager

Commission Castonguay




Dans la fièvre qui a entouré les baisses d'impôt à l'Assemblée nationale, on a oublié des éléments importants du budgets de Monique Jérôme-Forget. C'est ainsi que l'intention de la ministre de confier à un groupe de travail le mandat de réfléchir au financement adéquat du système de santé et d'en confier la présidence à l'ancien ministre Claude Castonguay est largement passée inaperçue du grand public.
Mais pas du monde syndical, ou des groupes opposés à une réactualisation des fondements de notre système de santé, qui veillaient au grain. Ils ont vu dans cette nomination un coup de force, "antidémocratique et biaisé", "un coup de force inadmissible qui doit être dénoncé publiquement".
Pourquoi? Parce que M. Castonguay est bien connu pour ses remises en cause du modèle de santé dont il a pourtant été l'un des grands artisans comme ministre de la Santé et père de la "castonguette". Il y a moins d'un mois, il publiait, pour le groupe interuniversitaire de recherche Cirano, une réflexion intitulée "Santé: pour des changements en profondeur" où il proposait notamment l'abolition de la prohibition de l'assurance privée, l'abolition de la cloison entre le public et le privé et la révision de la Loi canadienne sur la santé.
En confiant une réflexion à M. Castonguay, disent les critiques, les dés sont pipés à l'avance, et les conclusions du comité qu'il présidera ne seront pas objectives, parce que son idée est déjà faite.
Ils ont raison. Il est évident que la démarche de la ministre Jérôme-Forget n'est pas neutre. Si elle a choisi M. Castonguay, c'est justement en raison de ses idées. Le mandat qu'elle a confié à Claude Castonguay lors du budget ne laisse d'ailleurs aucun doute sur ses intentions. "Parmi les avenues à explorer, dans la foulée de la mise en place des premières cliniques affiliées en réponse au jugement Chaoulli, le gouvernement entend examiner davantage le rôle que le secteur privé pourrait jouer pour améliorer l'accès aux soins et réduire les délais d'attente." La ministre précise en outre que M. Castonguay "examinera les modifications qui pourraient être nécessaires à la loi canadienne de la santé".
On ne peut être plus clair. La démarche est nettement orientée et elle représente une rupture. Mme Jérôme-Forget veut manifestement ouvrir davantage la porte au privé, même si cela va à l'encontre du cadre imposé par la Loi canadienne. Elle va plus loin que son collègue Philippe Couillard. Les deux ministres ne semblent pas en désaccord sur le fond, car le ministre de la Santé n'est pas dogmatique sur la question. Mais ses prises de position, lorsqu'il a confié à Jacques Ménard le mandat de réfléchir au financement futur de la santé, ou lorsqu'il a répondu à l'arrêt Chaoulli, montrent qu'il privilégie la prudence et le gradualisme. Sa collègue est plus brutale et plus pressée.
Mais la démarche de Mme Jérôme-Forget est-elle antidémocratique pour autant? Absolument pas. D'une part, rappelons-le, parce que M. Castonguay ne préside pas une commission d'enquête, qui a un devoir d'écoute et une obligation de neutralité. L'ex-ministre préside plutôt un groupe de travail, plus pointu, qui doit remettre rapidement des recommandations précises.
Ensuite, parce que tous les comités et commissions qui se sont penchées sur la santé étaient orientés. Les ministres, en définissant le mandat de ces commissions, en choisissant leur président, ont très clairement orienté leurs conclusions. Ce fut le cas de la commission Romanow, à Ottawa, de la commission Clair, au Québec, ou du comité présidé par Jacques Ménard.
Troisièmement, il n'y a pas qu'un seul modèle de débat démocratique. On peut vouloir de grands dialogues consensuels. Mais en santé, on sait qu'ils mènent invariablement à constater l'impasse à laquelle mène le clivage idéologique. On peut aussi confier une réflexion à un petit groupe et tenir ensuite le débat sur ses conclusions et ses recommandations.
Si on veut en avoir le coeur net sur la place du privé en santé, sur son potentiel, ses risques et ses limites, c'est la voie à suivre. Ce débat est urgent, comme on le voit avec trois décisions que la RAMQ a rendues publiques hier pour condamner les initiatives de Medicina et des cliniques Rockland et Optmedic. Un encadrement intelligent et honnête serait certainement préférable à la loi de la jungle et à la chasse aux sorcières.
Mais ce débat n'aura jamais lieu avec les grands-messes dites démocratiques, car les forces qui s'opposent au changement feront tout pour le tuer dans l'oeuf. Elles ont déjà commencé, en tirant sur le messager avant d'avoir entendu le message.


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