Tahrir II

Géopolitique — Proche-Orient



La place Tahrir est redevenue sanglante samedi et surtout hier, avec des dizaines de milliers d'Égyptiens qui l'ont réoccupée — et l'occupaient toujours, aux dernières nouvelles — pour «demander qu'on leur rende leur révolution volée», ainsi que le disait une pancarte de manifestant.
Près de dix mois après les journées glorieuses qui avaient abouti à la chute d'Hosni Moubarak, et à une semaine du premier tour d'élections législatives qui s'annoncent cahoteuses, la désillusion couve: l'armée n'était-elle qu'une fausse alliée du peuple — dans un autre de ces grands malentendus de l'Histoire? La véritable nature du nouveau régime est-elle en train de se révéler à travers des événements comme les violences anticoptes du début octobre — où l'armée et la télévision d'État avaient joué un rôle au mieux ambigu — et les répressions de cette fin novembre?
Un élément frappe dans ces derniers événements violents, au cours desquels l'armée aurait tué une douzaine de civils: la présence, du moins dans un premier temps, vendredi, des Frères musulmans — non loin desquels avaient pris place d'autres protestataires, laïques ceux-là — dans une manifestation claire et nette de défiance envers le régime militaire du maréchal Tantaoui, le nouvel homme fort du Caire.
Les manifestants en avaient contre un texte diffusé plus tôt la semaine dernière, dans lequel l'armée prétendait s'ériger en gardienne ultime de la légitimité constitutionnelle... par-dessus même un pouvoir civil issu d'éventuelles élections démocratiques. Les autorités ont eu beau revenir sur cette annonce et amender leur texte, le mal était fait... et les protestataires, mobilisés dès vendredi.
Pire: la répression a galvanisé ces derniers, revenus en force samedi et hier.
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Un jeu complexe se déroule en Égypte, avec au moins trois groupes distincts: l'armée, les islamistes et les laïques. On a beaucoup répété au Caire, ces derniers mois, que l'armée et les Frères musulmans étaient de mèche afin de favoriser ces derniers lors des élections. Élections pour lesquelles, en matière d'organisation, ils ont une longueur d'avance sur les partis laïques, socialistes ou libéraux — eux-mêmes méfiants envers l'armée... mais aussi envers les tenants de l'islam politique.
Les événements de vendredi ont bien montré qu'une partie au moins des Frères musulmans sont prêts à dénoncer les velléités autoritaires de l'armée — et donc, que cette alliance du sabre et du goupillon (version moyen-orientale) n'est pas coulée dans le béton.
Quant aux forces laïques, qui craignent de se voir marginalisées dans le processus révolutionnaire, elles sont redescendues place Tahrir — en particulier hier — pour faire savoir au monde qu'elles sont toujours là, et qu'elles veulent compter dans l'Égypte de demain.
Car après un vendredi «Frères musulmans», Tahrir aura connu un dimanche «laïque». Il convient de le souligner.
Les clins d'oeil des généraux à l'endroit des laïques — contenus dans le fameux texte qui avait soulevé l'ire des Frères musulmans: «l'armée gardienne des institutions, protectrice des minorités»... et sous-entendu «rempart contre l'intolérance» — ne les ont pas convaincus. Ils se souviennent de la passivité coupable des mêmes militaires, il n'y a pas deux mois, lorsque les coptes étaient la cible des islamistes ultras et qu'on avait laissé faire.
Entre les «galonnés» et les «barbus» qui jouent du coude — parfois brutalement — pour se diviser le pouvoir, la «troisième voie» de cette jeunesse moderne et ouverte sur le monde, qui nous avait donné la place Tahrir en février 2011, reste étroite, périlleuse et menacée.
Mais cette nouvelle éruption, au centre du Caire, nous montre qu'elle existe toujours.
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Mariano Rajoy, le leader du Parti populaire espagnol, n'aura eu qu'à se baisser pour ramasser le pouvoir à Madrid — «cadeau» de la crise économique qui ravage son pays et aura emporté le Parti socialiste.
La majorité absolue qu'il a obtenue hier au Parlement espagnol (53 % des sièges avec 47 % des suffrages exprimés) était annoncée depuis des mois. Mais ce qui est également très clair, c'est que cette majorité «historique», son parti conservateur l'obtient à un moment où la marge de manoeuvre des politiciens, dans un pays comme le sien, est réduite à néant ou presque, alors que le sort de l'Espagne — comme celui de la Grèce — se décide à Berlin, à Bruxelles... ou à Wall Street, plus qu'à Madrid.
Quant aux Indignados de la Plaza Mayor, ils ne doivent pas pour autant désarmer. Apparemment répudiés par l'éclatante victoire démocratique d'une droite qui ne soutient pas leurs thèses, ils auront amplement de quoi se révolter au cours des prochains mois.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses textes à l'adresse http://blogues.radio-canada.ca/correspondants

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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.





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