Dictature technocratique

Les marionnettistes remplacent les marionnettes...



Torna a casa! Rentre chez toi! Sur toutes les piazze d'Italie, on a fêté, ce week-end, la piteuse fin politique de Silvio Berlusconi. Une fin survenue non pas pour les causes qu'on attendait (corruption, conflits d'intérêts, scandales sexuels), mais parce que les marchés, les tout-puissants marchés financiers, ont décidé que ce personnage clownesque était devenu un poids mortel pour la crédibilité de son pays.
L'ironie, c'est que ce départ d'un représentant vulgarissime du showbiz en politique, et d'une ploutocratie nationale au pouvoir... pourrait être suivi d'un autre type de mainmise: celle d'une ploutocratie transnationale autrement plus puissante.
Parce qu'au-delà du départ du Cavaliere, la semaine écoulée en Europe a tendu à accréditer les thèses de ceux qui, partout sur la planète, veulent voir la domination croissante des banques et de la finance sur les affaires du monde.
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En Italie comme en Grèce, deux hommes étroitement liés aux institutions financières ont été installés — sans consultation du peuple, mais avec l'auréole de «sauveurs» — à la tête de gouvernements nationaux, par des politiciens aux abois qui dansent sur des charbons ardents... et ne savent plus quel numéro exécuter pour calmer les marchés.
Deux hommes, Mario Monti et Lucas Papadémos qui — comme Mario Draghi, tout juste nommé à la tête de la Banque centrale européenne (BCE) — ont le parfait profil du technocrate «post-national», doublé d'un haut commis de la «galaxie bancaire mondiale».
Tous trois, les deux Mario et le Lucas, ont entretenu des rapports professionnels avec la banque d'affaires Goldman Sachs. Les deux premiers comme employés ou associés, le troisième comme partenaire de négociations lorsque la Grèce avait adhéré à l'euro (Papadémos a été gouverneur de la Banque de Grèce de 1994 à 2002). Rappelons que Goldman Sachs avait participé, à la fin des années 1990 avec les autorités d'Athènes, au maquillage des états financiers grecs, à l'origine — entre autres causes — du naufrage actuel.
De là à y voir non seulement un complot, mais aussi une absence de sanction d'une ploutocratie bancaire qui a elle-même contribué à l'incendie, il n'y a qu'un pas, que les blogues déchaînés — d'extrême gauche comme d'extrême droite — ne se privent pas de faire ces jours-ci... avec au demeurant quelques bons arguments!
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Cependant, il y a une autre façon de voir ces développements: comme un grave recul de l'instance démocratique élue devant la toute-puissance d'un supposé «savoir objectif»...
Un problème au demeurant ancien: le problème de la technocratie. Technocratie devant laquelle — pour un temps limité et dans une situation d'urgence — s'incline la classe politique, du fait de son incapacité, de sa corruption ou de sa perte de légitimité. Version moderne, en quelque sorte, du despotisme éclairé, dont on prétend qu'il serait «dénué d'idéologie» et «vraiment capable de régler les problèmes». Ce qui, en 2011 en Europe, paraît plus que douteux.
Ce n'est pas la première fois qu'un pays comme l'Italie recourt au governo tecnico. Il y a eu de brefs précédents à Rome, notamment au début des années 1990.
Mais, cette fois, «l'éclipse démocratique» semble être de plus grande ampleur. Elle survient dans plus d'un pays à la fois. Elle consacre l'impuissance des politiciens à régler des problèmes structurels — et non pas transitoires — dans le cadre démocratique habituel. Elle exprime cruellement le déclassement de l'État-nation, siège historique unique de la démocratie (hormis la polis grecque de l'Antiquité)... sans qu'une démocratie à l'échelle européenne voie minimalement le jour pour la remplacer.
Il y a une crise européenne, disent les fédéralistes? Alors, créons la fédération européenne, un gouvernement économique fort à Bruxelles, et la question sera réglée! Utopie complète, puisque la seule façon d'en arriver là dans les années 2010, ce serait précisément le gouvernement «technique» prolongé... et un despotisme plus ou moins éclairé.
À mille lieues d'un fédéralisme démocratique, l'Europe est devenue le lieu de tendances qui font peur: populisme de droite dans les pays riches, où les citoyens ne veulent pas d'une fédération européenne fondée sur des transferts obligatoires aux régions pauvres; dogmatisme bancaire anti-inflation exprimé par Angela Merkel et la BCE; rancoeur croissante à la périphérie, où l'horizon se résume à l'austérité, à la déflation et à la tutelle «technique» des cravatés de Bruxelles.
Mario Monti saura-t-il échapper à ces tendances, ou les infléchir tant soit peu? Il est permis d'en douter.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses textes à l'adresse http://blogues.radio-canada.ca/correspondants

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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.





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