Souveraineté: tourner la page

Pour une "collaboration" honorable et amnésique...

Dans l'ouvrage collectif intitulé Reconquérir le Canada, un nouveau projet pour la nation québécoise dont je parlais dans ma chronique de jeudi, un texte m'a particulièrement frappée par sa rigueur intellectuelle, sa finesse d'analyse et sa qualité d'écriture: celui de Jean Leclair, un professeur de droit constitutionnel à l'Université de Montréal.




Les écrits des constitutionnalistes sont en général indigestes. Pas celui-ci, à l'exception de quelques pages plus arides sur la Cour suprême, dans lesquelles Leclair réfute «le mythe de la centralisation tous azimuts». Même ces passages sont accessibles au profane, car tout l'article, intitulé «Vers une pensée politique fédérale; la répudiation du mythe de la différence québécoise radicale», est écrit dans une langue claire et élégante, assaisonnée à l'occasion d'un humour décapant.
Le ton est parfois polémique, mais la démonstration, d'une rigueur sans faille. Ce texte s'inscrit dans une authentique logique fédéraliste, répudiant les moutures mollassonnes inventées par les politiciens, et qui sont au fédéralisme ce qu'est l'«autonomisme» à l'indépendantisme.
Nombre de fédéralistes québécois ont emprunté aux nationalistes l'hypersensibilité au rejet, la culture du ressentiment et de la victimisation, ce désir maladif d'être «reconnu», «accepté» - ce que Marie Bernard-Meunier, dans un excellent article du même ouvrage, appelle «le besoin débilitant d'être aimé». D'où le ressassement ad nauseam de l'exclusion de 1982. Mais, dit Leclair, «pourquoi notre existence collective n'aurait-elle de sens que si elle passe entièrement par le regard de l'autre?».
En effet, où est le sens de l'honneur? Chez ceux qui n'en finissent plus d'implorer les autres de reconnaître sur papier leur «spécificité», ou chez ceux qui, se sachant distincts, tournent la page et continuent à s'affirmer sereinement?
Nombre de fédéralistes partagent avec les souverainistes cette manie de tout voir à travers le prisme exclusif des «intérêts du Québec», encore que dans certains cas, il faudrait plutôt parler des intérêts du «gouvernement du Québec», tant il est vrai que les batailles de compétences sont parfois de simples luttes de pouvoir. Ainsi, si le rapatriement des pouvoirs sur la sélection des immigrants a été bénéfique pour la population, il n'est pas clair qu'il en aille de même pour la formation de la main-d'oeuvre: les travailleurs québécois ont-ils aujourd'hui les mêmes chances de mobilité?
Si l'on veut rester au Canada, il faut admettre que, comme le dit Mme Bernard-Meunier, «une vision stratégique de nos intérêts nous permettrait de comprendre qu'aider à satisfaire les revendications légitimes des autres provinces crée des conditions plus favorables à la satisfaction des nôtres». Admettre aussi que, comme le dit M. Leclair, tout ce qui vient d'Ottawa ne vise pas nécessairement à «éradiquer la culture québécoise»!
(Dernière illustration de cette mentalité paranoïaque: le Bloc québécois s'insurge contre le projet de loi qui augmentera la représentation parlementaire des provinces de l'Ouest, qui sont en pleine croissance démographique mais terriblement sous-représentées, sous prétexte que cela réduira le poids comparatif de la députation québécoise. Comment peut-on s'opposer, en démocratie, à ce que la représentation corresponde à la population? À qui la faute, si le Québec fait moins d'enfants et reçoit moins d'immigrants? Pire, M. Duceppe veut nous faire croire que tout cela est un complot pour marginaliser le Québec, sur la foi d'un dépliant anodin d'un député britanno-colombien qui se réjouit innocemment du fait que sa province et l'Alberta auront désormais un siège de plus que le Québec!)
Leclair s'en prend avec verve aux penseurs (dont certains de ses collègues de la faculté de droit) qui nient qu'un individu puisse avoir des identités multiples. «Parce que la nation se nourrit d'unanimité, elle est allergique aux allégeances plurielles.» Il s'en prend aussi à leur «conception totalisante de la culture», selon laquelle tout, «depuis la réglementation des conduits d'aération jusqu'à celle des gommes à effacer, porte l'empreinte indélébile de la culture distinctive de la nation. Même les valeurs dites universelles se transforment en faits historiques contingents. On ne partage rien avec ceux qui vivent au-delà de la barrière nationale».
Cette surévaluation des différences se manifeste en effet partout, comme dans le mythe qui veut que notre modèle d'intégration des immigrants soit radicalement différent de celui du Canada anglais, alors que dans la pratique, ils sont assez semblables, sauf évidemment en ce qui concerne la langue.
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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    17 novembre 2007

    Pour la 183 847e fois, on nous demande de "tourner la page" sur notre volonté de vivre en peuple libre et indépendant. Travailler à rendre notre servitude belle, attrayante, enviée de tous, c'est ben mieux, pour ceux qui profitent de ce régime dépassé! Je nous invite plutôt à tourner la page sur 247 ans de domination étrangère, de collaboration éhontée de certains de nos compatriotes, de belles paroles et de ti-nanans envoyés par un occupant prêt à utiliser son gros bâton au besoin (comme en octobre 70 ou en 1837-38). Tournons la page sur le colonialisme britanno-canadian et devenons enfin ce que d'autres peuples sont devenus au bout de siècles de lutte et au prix de nombreuses difficultés (car il n'est jamais facile de secouer le joug des nations dominantes, comme en font l'expérience nos frères palestiniens, entre autres): un peuple libre!