Un projet intéressant

Des "fédéralistes honteux", disposant d'un monopole médiatique intolérable en saine démocratie, se trahissent en opposant leur "rationalité" et leur "pragmatisme" au mouvement historique d'un peuple à "la conquête de sa liberté", bêtement associé à de la frilosité, de la victimisation et à du repli. (Vigile)


C'était, ma foi, un événement: plus de 200 personnes réunies dans une salle d'hôtel par un matin froid de novembre pour saluer la sortie d'une collection d'articles relativement austères sur le fédéralisme. Il y avait là nombre de personnalités connues, des intellectuels, des politiciens, bref des fédéralistes de diverses teintes, dont quelques-uns affichaient l'air heureux de qui vient de sortir du placard.
"On ose enfin marcher la tête haute!", de murmurer l'un des invités. Bizarre paradoxe en effet que cette quasi-absence de voix fédéralistes fortes, dans un Québec où la majorité est toujours solidement attachée au Canada. La chose s'explique, cependant.
Les souverainistes occupent depuis des années l'espace public, parce qu'ils proviennent des milieux de la parole: enseignants, artistes, communicateurs professionnels. Et aussi parce que la souveraineté - un projet qui reste paré des scintillantes couleurs du rêve et fait appel aux émotions - est une option beaucoup plus facile à "vendre" que le fédéralisme, un système de gouvernement pragmatique et compliqué, un système en outre qui existe, qui peut donc être critiqué.
Autre facteur, l'agressivité verbale de ceux pour qui la souveraineté est une religion, hors de l'église n'étant point de salut. Les fédéralistes ont vite appris à se faire le plus discrets possibles, pour éviter d'être accablés d'insultes.
La litanie a commencé dans les années 60, avec le mot "fédéraste" (variante du mot "pédéraste"), s'enrichissant avec les années de multiples épithètes. Pour trop de souverainistes, il n'y a pas de fédéraliste de bonne foi, qui ait vraiment à coeur les intérêts du Québec. Il n'y a que des vendus, des traîtres, des colonisés ou des mercenaires. C'est pourquoi la plupart des fédéralistes francophones ont l'habitude de raser les murs, car il faut bien le dire, au Québec comme partout ailleurs, il y aura toujours beaucoup de gens qui n'ont pas le courage de leurs opinions.
Même Jean Charest, à qui l'on a fait le même odieux procès (n'a-t-il pas, en plus, une mère écossaise?), est terrifié à l'idée d'être vu comme pas assez Québécois, et ne parle plus du Canada que comme d'une machine à sous.
C'est pour briser ce climat malsain qu'André Pratte a voulu réunir les textes d'une quinzaine de fédéralistes d'horizons divers, dans un volume intitulé Reconquérir le Canada, un nouveau projet pour la nation québécoise. Ce titre inspirant reflète bien l'esprit de ses auteurs (tous par ailleurs très différents les uns des autres), en ce sens qu'il s'agit moins de s'opposer aux souverainistes que de proposer un projet autre, un défi aussi honorable et emballant que l'indépendance, et qui s'inscrit à la fine pointe de la modernité: celui d'un Québec assez fort pour rompre avec le nombrilisme et la culture de la victimisation, et prendre bravement la place qui lui revient au sein du pays que ses ancêtres ont fondé.
Nous sommes probablement au Canada pour y rester. Pourquoi ne pas y prendre nos aises, au lieu de se replier frileusement dans le giron des nounous du "nous" et de pratiquer, envers un Canada anglais qu'on s'obstine à ignorer (ou à mépriser), la politique de la bouderie?
Les textes sont d'intérêt inégal, mais l'ensemble constitue une intéressante contribution à un débat qui menaçait de s'enliser dans les poncifs. Les textes de Martin Cauchon et du ministre Benoît Pelletier ressemblent un peu trop à des communiqués officiels, mais l'astronaute Marc Garneau (libéral) et l'homme d'affaires Daniel Fournier (conservateur), expliquent avec une éloquente sincérité leurs parcours idéologiques.
Mathieu Laberge, Patrice Ryan et Frédéric Bédard expriment bien l'état d'esprit des générations montantes, dégagées des traumatismes politico-linguistiques des baby-boomers. François Pratte, l'adéquiste du groupe, écrit un texte vivant mais s'en va dans toutes les directions, à l'image de son parti. Dans un article vigoureux et lucide, l'ancienne ambassadrice Marie Bernard-Meunier rappelle que les fédérations sont des "mariages de raison" et constate que le Québec ne joue pas le jeu du fédéralisme.
André Pratte rouvre une fenêtre trop longtemps fermée sur la grande tradition libérale du Québec des décennies précédant la Révolution tranquille, un passé admirable qui contredit la vision misérabiliste d'un peuple totalement écrasé par la conquête.
De ce recueil, émerge une nouvelle voix fédéraliste jusqu'ici relativement inconnue, mais qui devrait puissamment contribuer à la poursuite du débat: celle de Jean Leclair, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Montréal. J'en reparlerai samedi.


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