Autour de chez nous (1)

Sommes-nous déchirés à ce point? <br>Pour mon coin de pays, une seule solution: le métissage!

Un Québec divisé ?

La dernière année politique a laissé l'impression d'un Québec divisé, voire d'une société dressée contre elle-même. Le Québec serait-il à ce point morcelé? Le débat sur les accommodements raisonnables a accéléré certains grands questionnements, favorisant au passage des querelles toutes émotives et dénuées de rationalité. Le Devoir a posé la question à diverses personnalités venues de différents coins du Québec. Sommes-nous déchirés à ce point? Voici le premier d'une série de dix textes.
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En 1850, Jules Michelet écrivait que le plus grave problème que la France devait résoudre, c'était celui de l'animosité de ses provinces par rapport à Paris. Il ajoutait: «Paris ne sait plus rien de ses provinces et les provinces ne savent plus rien de Paris.»
Quand le Québec ne s'appelait encore que le Bas-Canada, le grand politicien Louis-Joseph Papineau, né à Montréal, détestait Québec, cette ville provinciale, c'est-à-dire épaisse dans son plus mince, à forte majorité réactionnaire et peuplée, sauf exceptions, de politiciens sans envergure. Les Troubles de 1837-1838 lui donneront raison, puisque ce fut une insurrection presque totalement montréaliste, l'élite de Québec incitant le peuple à ne pas s'en mêler.
Né à Montréal mais élevé par ses tantes de Rimouski, Arthur Buies était mieux équipé pour aimer en même temps Montréal et la province. En 1870, à la demande du gouvernement, Buies fait une grande tournée du Québec. Quand il arrive dans le Bas-du-Fleuve, l'évidence lui saute aux yeux: toute l'économie du Bas-du-Fleuve est axée sur la production laitière à petit rendement et sur l'exploitation d'une forêt dont il ne restera bientôt plus rien.
Pour sortir de l'impasse, Buies propose, entre autres solutions, une agriculture moderne et plus diversifiée, de même que la création d'une industrie récréotouristique de haut de gamme, sur le modèle de celle qui existait notamment à Cacouna, mais qui, par la négligence de ses hôteliers et de ses moteliers, ne tarderait pas à péricliter si l'on ne s'en occupait pas rapidement.
Évidemment, rien ne fut fait... et il était peut-être impossible de faire quoi que ce soit aussi. Depuis la fin du régime seigneurial en 1856, le tissu social du Bas-du-Fleuve s'était effondré: les seigneurs, tels les Casgrain, les de Gaspé et les Dionne, vendirent leurs terres et leurs forêts à des entreprises étrangères et, pleins aux as, s'en allèrent faire leurs affaires à Québec et Montréal.
Les seigneurs avaient jusque-là assuré la cohésion de la société. C'étaient des hommes instruits, qui regroupaient autour d'eux les notables et, ainsi, pouvaient-ils faire contrepoids à un clergé qui s'était infiltré au Québec pour propager les valeurs asséchantes de la Contre-Réforme. Ces prêtres-là étaient contre le modernisme, et le résultat de leurs sermons fut désastreux: l'agriculture resta basée sur l'autosuffisance et l'industrie récréotouristique, trop dangereuse pour la moralité publique, finit par disparaître presque complètement. Quant à l'industrie forestière, les grandes entreprises étrangères, après avoir pleumé le pays, s'en allèrent déboiser ailleurs.
Mon coin de pays
Moi, mon coin de pays, c'est Trois-Pistoles et la dizaine de petites municipalités qui l'environnent. Depuis cinquante ans, il s'est vidé de plus de la moitié de sa population et ne compte plus qu'une dizaine de milliers d'habitants. La moyenne d'âge de sa population est de plus de cinquante-cinq ans. Quarante pour cent de ceux-ci sont considérés comme analphabètes. Il y a quelques années, on y trouvait le plus haut taux de femmes battues de tout le Québec. C'est aussi la région la plus pauvre du Québec avec le comté de Bonaventure. Je connais des familles qui doivent vivre du bien-être social depuis trois générations.
Depuis la réforme qui a forcé les municipalités à s'occuper de choses qui relevaient jusqu'alors du gouvernement central, ça ne fait que se détériorer: il y a de plus en plus de factures à payer et de moins en moins d'argent pour pouvoir le faire. La preuve en est que le Mouvement Desjardins a fusionné plusieurs des caisses populaires de mon coin de pays pour une raison: les habitants qui ont mis leur bas de laine dans les caisses meurent; leurs enfants habitant dans les grands centres y apportent leur héritage. Les actifs des caisses de mon coin de pays risquent d'être en baisse d'ici dix ans. La Banque Nationale ne réussit pas mieux: quand on veut y faire une transaction, un emprunt ou y négocier une marge de crédit, il faut maintenant passer par Montréal!
L'augmentation des responsabilités des municipalités a un effet pervers: à cause de la dépopulation, on a mis de côté tout semblant de plan d'urbanisme pour pouvoir percevoir plus de taxes foncières. Les derniers espaces verts qui donnaient une vue imprenable sur le fleuve ont été dézonés et l'on y construit des maisons. Bientôt, le fleuve ne sera plus accessible de nulle part. On ne fait par ailleurs aucun effort pour embellir les lieux: aux Trois-Pistoles, on ne fleurit plus les rues pendant l'été parce que ça coûte trop cher!
Il y a quelques années, Trois-Pistoles aurait pu profiter du programme Réno-centre-ville grâce au projet de réaménagement, superbe, réalisé par les finissants en architecture de l'Université Laval. J'ai parrainé le projet auprès des autorités municipales, ce qui a fait de moi, en 1996, la personnalité nationale de l'année en ce domaine. Le projet ne fut même pas étudié par le conseil municipal. Pour les fêtes canadiennes du Millénaire, j'apportai moi-même au Centre local de développement les formulaires de demande... on oublia tout simplement de les remplir! Rimouski reçut plus d'un million de dollars pour une fontaine et un petit village comme Lac-au-Saumon cinq cent mille dollars pour nettoyer les berges de son lac!
Le problème fondamental, c'est que nos élites municipales n'en sont pas vraiment. Elles sont prêtes à tout pour de l'argent vite fait, y compris à défigurer un pays jadis renommé pour sa beauté. Voyez l'exemple du projet Rabaska: dans la région de Lévis, l'industrie touristique rapporte 135 millions de dollars par an. Rabaska réalisée, on croit que ça ne sera plus que 75 millions... et Rabaska ne devrait générer qu'une soixantaine de millions de dollars selon les meilleures hypothèses. Cherchez l'erreur... chez les Américains sans doute!
Gros-Cacouna risque aussi de faire fuir les touristes et de déformer à jamais ce qu'il lui reste de beauté, pour cinq millions de redevances par année! Par comparaison, imaginez que le théâtre et la Maison de VLB rapportaient trois millions de dollars à Trois-Pistoles en retombées économiques en seulement trois mois.
Tout récemment, la MRC des Basques, dont le chef-lieu est Trois-Pistoles, soumettait un plan de relance au gouvernement du Québec. Par l'injection de 30 millions de dollars sur cinq ans, on croit pouvoir relancer l'agriculture, l'agroalimentaire, la forêt, l'agroforesterie et le tourisme. Si le plan se réalisait sur une période de dix ans, cela créerait 385 emplois directs et indirects, une augmentation de sa population de 1000 habitants et un revenu personnel majoré de 17 %.
Je ne suis pas certain qu'on ait tenu compte dans ce plan du taux de mortalité des personnes âgées: s'il en meurt seulement une centaine par année, où sera la victoire sur le plan démographique?
Cap sur l'immigration
À mon avis, mon coin de pays ne veut pas se rendre compte qu'il lui faudrait, pour espérer sortir du marasme qui est le sien, définir une politique d'occupation du territoire. Si on veut y arriver, une seule solution: l'immigration. Pour rendre ses infrastructures viables, il faudrait à mon coin de pays l'apport urgent de 5000 habitants, jeunes et déterminés. Ça ne serait pas impossible si, plutôt que de simplement assurer la survie, comme c'est dit dans le plan de relance, on réorganisait le territoire, y amenait des gens intéressés par l'exploitation de nouvelles cultures et leur assurait une aide certaine jusqu'à leur rentabilité.
Cet apport massif d'immigrants forcerait les autorités locales à sortir de leur xénophobie, à s'ouvrir sur un monde, ne serait-ce que celui de Montréal, qu'ils ne connaissent pas et dont ils ont peur. Car l'animosité que les régions nourrissent contre Montréal ne peut disparaître si les régions, comme c'est le cas maintenant, refusent le métissage. Le métissage aurait ceci d'heureux qu'il rendrait plus homogène un Québec qui en a bien besoin. De Montréal aux régions et des régions à Montréal, on pourrait enfin parler des mêmes choses, ne serait-ce que selon le principe des vases communicants. Le Québec deviendrait alors un vrai pays, sans fracture sociale et plus solidaire.
Sans une approche aussi radicale, mon coin de pays, en plus de se défigurer, risque de rester le mouroir qu'il est devenu. Je crains toutefois que par chauvinisme, étroitesse d'esprit, manque d'audace et de vision, mon rêve utopiste ne voie pas le jour. Avis est donc donné aux fabricants de cercueils: le mouroir qu'est mon coin de pays vous assurera un succès garanti pour les prochaines dix années. Puis les carottes seront cuites et ce sera la fin des haricots. Requiescat in pace, telle sera alors la seule devise valable pour mon malheureux coin de pays.

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Victor-Lévy Beaulieu84 articles

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Victor-Lévy Beaulieu participe de la démesure des personnages qui habitent son œuvre. Autant de livres que d'années vécues, souligne-t-il à la blague, comme pour atténuer l'espèce de vertige que l'on peut éprouver devant une œuvre aussi imposante et singulière. Une bonne trentaine de romans, une douzaine d'essais et autant de pièces de théâtre ; des adaptations pour la télévision





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