Sarkozy choisit l'unité canadienne

Le président de la France veut aussi refonder le capitalisme

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France-Québec : fin du "ni-ni"?

Québec -- «Le monde n'a pas besoin de division, mais besoin d'unité», a déclaré Nicolas Sarkozy hier à Québec, au début d'une journée hyperactive où le président français a participé au Sommet Canada-Union européenne, prononcé un discours historique à l'Assemblée nationale, signé une entente sur la mobilité de la main-d'oeuvre avec le Québec, inauguré le Centre de la francophonie des Amériques et ouvert le Sommet de la Francophonie.
Rompant avec la politique datant des années 1970 selon laquelle «quel que soit le choix du Québec, la France l'accompagnera», le président français a plutôt choisi de favoriser une option hier, l'unité canadienne. «S'il y a quelqu'un qui vient me dire que le monde aujourd'hui a besoin d'une division supplémentaire, c'est qu'on n'a pas la même lecture du monde», a-t-il lancé au cours de la conférence de presse qui a suivi le Sommet Canada-Union européenne. Vantant le Canada, M. Sarkozy a soutenu que «ce pays grand comme un continent» a, «par son fédéralisme [...] décliné aussi un message de diversité et d'ouverture». Il estime que c'est là le devoir de son pays: «Peut-être que l'idée que je me fais de la France, c'est un pays qui rassemble et non pas qui divise.»
M. Sarkozy a tenu, dans toutes ses interventions de la journée, à doubler ce rejet d'une «division supplémentaire» d'une nouvelle formule, inspiré d'un commentaire du maire de Bordeaux, Alain Juppé, consacrant le caractère particulier et privilégié des relations entre le Québec et la France. Déjà, lors de la remise d'une décoration à la chanteuse Céline Dion, M. Sarkozy avait souligné que les Québécois étaient à ses yeux «des frères» et les Canadiens, «des amis». Ainsi, dans son discours à l'Assemblée nationale, en après-midi hier, M. Sarkozy a déclaré: «Ce que la France sait au fond d'elle-même, c'est qu'au sein du grand peuple canadien il y a la nation québécoise, avec laquelle elle entretient une relation d'affection comme il en existe entre les membres d'une même famille.»
Plus tôt, il avait déclaré: «Moi, je suis pour plus plus, pas moins moins. Je sais parfaitement qu'au Québec il y a des francophones qui font partie de notre famille. Ça, je le sais. Mais les francophones de ma famille ne me demandent pas de ne pas considérer le Canada, grand continent en vérité, comme des amis.» D'ailleurs, M. Sarkozy a répété deux fois qu'il reviendra au Canada l'an prochain, «dans un autre contexte». Il dit vouloir «visiter une autre partie du Canada». Ainsi, a-t-il insisté, «tout le Canada [verra] en toute la France un ami, un partenaire, un allié, sur cette terre d'Amérique du Nord où vous avez su tellement bien faire le mélange de ce qu'il y a de mieux aux États-Unis, de ce qu'il y a de mieux en Europe, pour en faire quelque chose de très original, qui s'appelle le Canada, un facteur de stabilité de paix dans le monde».
La prise de position de M. Sarkozy a ravi le premier ministre Stephen Harper -- que le président venait de tutoyer et d'appeler par son prénom. «C'est difficile pour moi d'être en désaccord avec ça. Je peux dire seulement que le président a dit clairement la vérité historique: le Canada et la France sont des alliés, des partenaires, des amis, c'est une reconnaissance claire de notre relation.» Le premier ministre canadien a tenu à souligner que les Canadiens anglophones comprennent la «nature spéciale» de la relation entre la France et le Québec.
Sommet Canada-Union européenne
Plus tôt, le président Sarkozy, le premier ministre Harper et le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, ont tenu le Sommet Canada-Union européenne, à la citadelle de Québec. Ils ont été accueillis -- sous les bruits d'hélicoptères policiers -- selon le protocole canadien par la locataire des lieux, la gouverneure générale Michaëlle Jean, ainsi que par une haie d'honneur d'une quarantaine de soldats du XXe Régiment en costume d'apparat rouge.
Le sujet de la crise financière a quelque peu bousculé l'ordre du jour, qui devait principalement porter sur le projet de libre-échange Canada-Union européenne. Un des plus ardents défenseurs de ce projet, Jean Charest, qui en a fait depuis des mois la pierre d'assise de son «nouvel espace économique», soutenait encore mercredi que les négociations pourraient être lancées hier. Or, dans le communiqué final, on annonçait plutôt que l'Europe et le Canada «avaient convenu de s'efforcer de conclure un accord économique qui soit exhaustif et historique». Ainsi, des «mandats officiels» seront définis dans les prochains mois «en vue d'entamer des négociations dès que possible en 2009 pour établir un partenariat économique».
Discours de Jean Charest
Vers 15h, le premier ministre du Québec, Jean Charest, avait accueilli le président français devant le parlement de Québec. Plus tard, au salon bleu, en présence de nombreux dignitaires dont trois anciens premiers ministres, Bernard Landry, Lucien Bouchard et Pierre Marc Johnson, et le magnat Paul Desmarais, M. Charest a prononcé un discours cérémonieux et chargé d'histoire: «Nous sommes unis par le temps, par le coeur et par le sang», a-t-il dit de la France et du Québec. Il a décrit la langue française comme «le sang qui coule dans nos veines». M. Charest, non sans un certain lyrisme, a rappelé la lutte que les Québécois ont menée pour sauvegarder la langue française. Il a soutenu que l'architecte Taché, qui avait conçu le parlement, y avait gravé la devise «faisant ainsi allusion aux deux héritages français et britannique qui constituent le Québec». Se penchant sur les liens qui unissent la France et le Québec, il a rappelé que «trois siècles après que des fils de France eurent posé le pied au cap Diamant, des fils du Québec faisaient à deux reprises le chemin à rebours aux côtés des alliés pour libérer la France». Avant de céder la parole au président français, il lui a lancé: «Aujourd'hui et en ces lieux, c'est vous qui avez un accent.»
Dans son discours, Nicolas Sarkozy s'est fait moins catégorique que lors de son point de presse en matinée. Il a d'ailleurs retranché de son texte quelques passages, tels que: «Je me souviens des conférences de Québec: celle de 1864, qui a débouché sur la fédération canadienne.» Au reste, il a soutenu que «le mot "identité" n'est pas un gros mot. Car s'il n'y avait pas d'identité, il n'y aurait pas de diversité». Il a insisté pour dire qu'il souhaitait rompre avec une certaine nostalgie qui a empreint les relations entre le Québec et la France. «Mais être fidèle aux anniversaires et aux commémorations, c'est regarder l'avenir, pas simplement le passé. Et ce que nous avons à faire ensemble, c'est l'avenir.» Une des manières de le faire, à ses yeux, est de conclure une entente sur la mobilité de la main-d'oeuvre comme celle qu'il a signée au salon rouge après son discours. «C'est une étape historique. À quoi sert-il de dire qu'on s'aime si le diplôme qu'on a dans un endroit où on s'aime amène suffisamment d'amour, mais pas assez de droits?»
Refonder le capitalisme
M. Sarkozy a par ailleurs consacré une partie de son discours à la crise financière. Reprenant en l'amplifiant le discours qu'il avait récemment prononcé à Bruxelles, il a déclaré: «Oui, mesdames et messieurs, le monde va mal» et a répété qu'il fallait par conséquent «refonder un capitalisme plus respectueux de l'homme».
À ses yeux, il faut «en finir avec un capitalisme financier obsédé par la recherche effrénée du profit à court terme, un capitalisme assis sur la spéculation et sur la rente. Il faut réintroduire dans l'économie une éthique, des principes de justice, une responsabilité morale et sociale. Il faut refonder un capitalisme sous peine de voir le système le plus efficace que l'on ait inventé être contesté et vaciller sur ses bases». Ainsi, les institutions de Bretton Woods devraient être réinventées, notamment lors d'un G8 élargi avant la fin de novembre. Selon lui, il n'y avait pas «meilleur endroit» pour «appeler à cette refondation que cette Assemblée, au Québec». Car l'histoire de la nation québécoise «témoigne de l'attachement aux valeurs de l'humanisme, de la diversité, de l'ouverture, de la démocratie et de la tolérance».
Au moment d'écrire ces lignes, M. Sarkozy reprenait l'essentiel de ce message devant les quelque 40 chefs d'État réunis à Québec pour le Sommet de la Francophonie.


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