La mort dans l'âme, Yves Fortier, président du joyau centenaire de l'industrie canadienne qu'est Alcan, a simplement avoué qu'il a «fallu faire contre mauvaise fortune bon coeur» et accepter «l'offre de loin la meilleure», celle de Rio Tinto, qui met sur la table 38,1 milliards de dollars américains comptants pour acquérir toutes ses actions. Mais Alcan n'était pas du tout à vendre, a insisté M. Fortier. C'est l'offre hostile déposée par Alcoa le 7 mai qui a enclenché un processus et une réflexion ayant conduit à une inéluctable conclusion: «Il a fallu se rendre à l'évidence que la transaction serait malheureusement une prise de contrôle par une compagnie étrangère.»
Après avoir pris en considération les propositions de plusieurs groupes intéressés à un rapprochement avec Alcan, le conseil d'administration en est finalement arrivé «tous comptes faits à une décision relativement facile à prendre». À l'unanimité, les membres du conseil ont opté pour l'offre de Rio Tinto. «Nous n'avons pas choisi, le choix s'est imposé de lui-même», a précisé M. Fortier. «C'était primordial pour nous, en tant que fiduciaires d'Alcan, que les engagements pris à l'endroit du gouvernement du Québec soient à tous égards respectés.» Rio Tinto a tout accepté. Le conseil d'administration d'Alcan a donné son aval à la transaction avant-hier et tôt hier matin, il en informait le premier ministre Jean Charest avant d'avoir une réunion avec le ministre Raymond Bachand pour lui remettre officiellement le document confirmant le respect de la convention de continuité signée en 2006 par Alcan et le gouvernement québécois.
Par la suite, M. Bachand a déclaré en conférence de presse qu'il prenait acte de l'entente intervenue entre Rio Tinto et Alcan et qu'il allait suivre de très près ce qu'il adviendrait à la suite de cette annonce eu égard aux points contenus dans la convention de continuité, notamment le projet d'investissement de 2,1 milliards pour garantir la création de plus de 2500 emplois au Saguenay-Lac-Saint-Jean, le maintien du siège social au Québec et, surtout, de son contenu. Il y a aussi le renforcement de la position de chef de file en recherche et développement. M. Bachand se réjouit particulièrement de l'intention annoncée par Rio Tinto de relocaliser au Québec son centre de technologie d'électrolyse. Tous les engagements antérieurs en aide communautaire et culturelle (Festival de jazz et autres) devront également être respectés. Hier, les dirigeants de Rio Tinto et d'Alcan ont confirmé complètement l'acceptation de cette convention.
Néanmoins, le ministre veut faire l'analyse de l'entente dans ses moindres détails pour bien s'assurer que rien ne sera oublié.
Au Saguenay, les dirigeants du Syndicat national des employés de l'aluminium d'Arvida ont manifesté eux aussi une certaine prudence dans leurs réactions quant aux conséquences de cette prise de contrôle endossée par Alcan. Ils ont mentionné qu'ils ne se sentaient ni heureux ni malheureux, mais que les travailleurs étaient inquiets pour le climat des relations de travail avec un nouvel employeur qui saura ou pas maintenir un climat de confiance établi depuis des années. Certains ont en revanche soutenu que cette fusion allait donner plus de force à Alcan dans la région, où il a plus de 6000 employés.
Quoi qu'il en soit, à la lumière des informations transmises hier par les deux grands groupes industriels en annonçant leur intégration, bien que le centre réel du pouvoir décisionnel sera désormais à Londres plutôt qu'à Montréal, il ressort clairement qu'il y aura à Montréal le siège social de Rio Tinto Alcan, une nouvelle entité qui sera dès le départ le leader mondial de l'industrie de l'aluminium, c'est-à-dire le numéro un dans l'électrolyse comme producteur d'aluminium, le numéro un aussi comme producteur de bauxite ainsi qu'en recherche et développement, enfin le troisième pour l'instant comme producteur d'alumine mais en passe de monter très bientôt au premier rang. En fait, Rio Tinto et Alcan soutiennent avoir une stratégie et des valeurs communes. Ils constatent «une parfaite complémentarité avec l'ensemble des actifs». Les ventes combinées pro forma en 2006 de cette nouvelle société d'aluminium seraient de 14 milliards et le nombre de ses employés atteindrait 25 000.
Dick Evans, qui est présentement président et chef de la direction d'Alcan, deviendra chef de la direction de Rio Tinto Alcan et le troisième administrateur membre de la direction au conseil de Rio Tinto, auquel s'ajouteront d'ailleurs deux autres administrateurs actuels d'Alcan. Les dirigeants de cette nouvelle entité dans l'aluminium seront recrutés au sein des deux sociétés mères. Il y aura en outre à Montréal un nouveau bureau des services partagés pour le Canada. On sait que Alcan a déjà des actifs importants en Colombie-Britannique.
Rio Tinto n'est pas du tout une société inconnue au Québec et au Canada puisqu'elle y est installée depuis 50 ans. Elle est notamment propriétaire de QIT-Fer et Titane à Havre-Saint-Pierre et à Sorel ainsi que de la compagnie minière IOC dans le Nord québécois et au Labrador. Elle possède également une mine de diamants dans les Territoires du Nord-Ouest. Ses éléments d'actifs au Canada sont de 2,3 milliards de dollars américains et de plus de 800 millions au Québec.
Pour mettre la main sur Alcan, Rio Tinto a offert 101 $US par action, ce qui représente 38,1 milliards pour la totalité des actions. L'offre représente une prime de 65,5 % par rapport au sommet historique de l'action d'Alcan en mai dernier; elle représente par ailleurs une prime de 32,8 % par rapport à l'offre d'Alcoa. Toutefois, Rio Tinto pose comme condition pour l'acception de son offre que 66,6 % des actions soient déposées. Il faudra aussi que le projet soit approuvé par les actionnaires de Rio Tinto lors d'une assemblée qui aura lieu en septembre ou octobre prochain. Soit dit en passant, les investisseurs à la Bourse de Londres se sont montrés plutôt réticents, puisque le titre a régressé de 4,58 % hier à la suite de cette annonce. Il faudra de plus obtenir le feu vert des autorités réglementaires dans les pays les plus concernés, particulièrement le Canada et l'Australie. Si tout fonctionne bien, la clôture de la transaction pourrait avoir lieu au cours du quatrième trimestre de l'exercice en cours.
Évidemment, on ne peut pas écarter complètement l'hypothèse qu'une offre supérieure soit présentée d'ici là par une autre société, ce qui à première vue semble improbable. Hier, le conseil d'administration d'Alcoa a fait savoir qu'il retirait son offre pour les actions d'Alcan. «L'offre de Rio Tinto renforce notre perception de la valeur intrinsèque de l'industrie de l'aluminium et de ses brillantes perspectives pour l'avenir», a déclaré Alain Belda, président d'Alcoa, qui pense qu'au niveau de prix offert par Rio, Alcoa peut se tourner vers d'autres options qui généreront plus de valeur pour les actionnaires. Néanmoins, si jamais il se trouvait une entreprise qui présentait une offre supérieure à celle de Rio Tinto, il faudrait qu'elle soit incroyablement intéressante pour inciter Alcan à rompre l'entente annoncée hier, puisqu'il faudrait payer une indemnité d'un milliard de dollars américains en cas de non-réalisation. La même clause d'applique du reste à Rio Tinto, sans compter des frais additionnels de 200 millions en cas de non-réalisation. Pour ce qui est du titre d'Alcan, il y a eu encore une hausse hier à la Bourse de Toronto, un bond cette fois de 8,6 %, pour donner 102,75 $ à la fermeture.
L'acquéreur, Rio Tinto, une société anglo-australienne inscrite aux Bourses de Londres et de Melbourne, ne prévoit aucune difficulté à payer le coût de son acquisition, puisqu'elle a déjà en poche une facilité de crédit de 40 milliards en vue précisément de cette transaction, obtenue de Royal Bank of Scotland, Deutsche Bank, Crédit suisse et Société générale. Rio Tinto entend conserver une note de crédit de A. Selon ses prévisions, la nouvelle entité qui résultera de l'acquisition d'Alcan sera rentable dès la première année.
Outre la réaction du ministre Raymond Bachand, il y a eu quelques autres réactions des milieux politiques, dont celle de Michael Fortier, ministre fédéral responsable de la région de Montréal, qui a simplement rappelé que les autorités fédérales allaient analyser la transaction mais qu'à la limite, ce sont les actionnaires qui auront le dernier mot. Le porte-parole du Parti libéral du Canada, Marcel Proulx, voit pour sa part d'un bon oeil cette transaction, tout comme du reste Rita Dionne-Marsolais, porte-parole du Parti québécois, qui considère que l'offre de Rio Tinto semble plus intéressante que celle d'Alcoa. La députée ajoute qu'elle aurait toutefois préféré que Alcan demeure entièrement québécoise.
Rio Tinto avale Alcan
Un alliage de 38 milliards $US pour ce joyau québécois centenaire
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