Révisions à l'assurance-emploi : penser différemment

Réforme de l'assurance-emploi

J’ai suivi avec un grand intérêt les récentes discussions du Conseil de la fédération sur les révisions à faire au programme fédéral d’assurance-emploi. Ce n’est pas nouveau de voir que les gouvernements provinciaux ne s’entendent pas sur une telle question. Cela reflète différentes philosophies et différentes situations sur le marché de l’emploi. Certaines provinces veulent un programme plus accessible et plus généreux; d’autres l’inverse. Certaines veulent un système très simple avec des règles uniformes d’un océan à l’autre; d’autres veulent un programme plus flexible pour tenir compte de diverses situations.
Avec le gouvernement fédéral qui fonctionne déjà en mode d’un retour vers l’équilibre budgétaire et qui fait peut-être face à un déficit structurel, il sera encore plus difficile de créer un consensus; on risque de voir une solution imposée par le gouvernement fédéral qui ne voudra pas mettre plus d’argent (et hausser les cotisations) sur une base permanente. Le manque de consensus au Conseil de la fédération encourage le gouvernement fédéral à agir unilatéralement. C’est un peu ce qui est arrivé avec le programme de péréquation dont l’enveloppe globale a été récemment réduite pour les années à venir de façon unilatérale. En passant, il n’est pas impossible de revoir une période de coupures unilatérales par le gouvernement fédéral de ses transferts aux provinces.

Un des aspects du dossier de l’assurance-emploi qui me préoccupe est le fait que cette discussion est faite dans un contexte trop étroit. Ce type d’approche très étroite a également été utilisé lors de la dernière révision de la formule de calcul des droits de péréquation. Le gouvernement fédéral a refusé d’analyser globalement l’ensemble de ses programmes de transferts aux provinces et aux personnes. Le mandat du Groupe d’experts sur la péréquation et la formule de financement des territoires avait été bien délimité pour éviter un tel questionnement. Comme je l’ai exprimé dans un mémoire présenté à ce groupe de travail, il aurait été préférable de prendre une perspective plus large. Voir : Analyser le programme de péréquation dans un contexte plus large, http://www.eqtff-pfft.ca/submissions/AnalyserLeProgrammeDePerequation.pdf

Selon la Constitution canadienne, les provinces sont responsables des politiques sociales. Cela fait du sens qu’une seule entité gouvernementale puisse définir selon ses goûts, ses moyens et la culture de sa population les diverses composantes de son système de politiques sociales (assistance sociale, garderies, système de santé, système d’éducation, de formation de la main-d’œuvre…) et d’harmoniser ses diverses composantes.

Il se peut que les provinces soient d’accord pour offrir une ces politiques de façon uniforme à travers le Canada dans ce cas-là, cela fait du sens qu’une telle politiques soient gérés par le gouvernement fédéral ou par les provinces, via une agence sous le contrôle du Conseil de la fédération. C’est le cas des programmes de sécurité de revenu pour les aînés gérés et financés par le gouvernement fédéral.

Par contre, plus les provinces veulent offrir des services différents, plus elles doivent offrir elles-mêmes ces services sur leur territoire. C’est le cas me semble-t-il des programmes de garderies, de santé, d’éducation, d’assurance-emploi et de formation de la main-d’œuvre. Le gouvernement fédéral devrait se servir uniquement du programme de péréquation pour aider les provinces qui sont les moins riches.

Rappelons-nous que le gouvernement fédéral a commencé à offrir un programme national d’assurance-emploi, alors qu’il n’y avait pas un programme national de péréquation en vigueur. L’existence d’un programme de péréquation devrait faciliter l’existence de programmes provinciaux d’assurance-emploi définis selon les besoins et aspirations de chaque province.

D’ailleurs, il y a une forte corrélation entre les entrées nettes (ou les sorties nettes) de fonds dans une province liées au programme de péréquation et celles liées au programme d’assurance-emploi. Le gouvernement fédéral peut donc utiliser uniquement le programme de péréquation et laisser les provinces gérer les programmes sociaux avec les modalités qu’elles désirent. Cette façon de faire aurait pour effet de réduire considérablement l’envahissement du gouvernement fédéral dans les champs de compétence provinciale et de rendre plus responsable les gouvernements provinciaux de la gestion de leurs politiques sociales. Cette façon de faire impliquerait une augmentation sensible de l’enveloppe du programme de péréquation et un transfert important de points d’impôt du gouvernement fédéral vers les gouvernements provinciaux.

Il faut donc repenser globalement les programmes de transferts aux provinces et aux personnes du gouvernement fédéral et non pas le faire à la pièce, programme par programme. Les révisions à la pièce vont impliquer une réduction de l’autonomie des provinces en matière de politiques sociales. La réciproque est aussi vraie : les révisons à la pièce vont impliquer une centralisation et une uniformisation des politiques sociales sur le territoire canadien.

Jean-Pierre Aubry

Économiste


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Économiste avec plus de 35 ans d’expérience dont 30 ans à la Banque du Canada. Membre du Comité des politiques publiques de l’Association des économistes québécois Fellow associé du CIRANO





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