«Reprendre le second»...

Chronique de Patrice Boileau

Samedi dernier, dans le cadre d'une assemblée partisane visant à mousser l'élection du candidat péquiste Martin Lemay dans la circonscription montréalaise de Saint-Marie-Saint-Jacques, le chef André Boisclair y est allé de sa dernière trouvaille pour tenter de convaincre les Québécois d'accepter de subir un autre référendum.
La nouvelle formule retenue par le dirigeant péquiste ne fait que confirmer ce que tout le monde sait : le prochain référendum sera sans appel. Voilà pourquoi le leader du Parti québécois cherche à le transformer en reprise du second. Sous prétexte que le résultat de la consultation populaire de 1995 fut saboté par les malversations fédéralistes, André Boisclair affirme maintenant que l'on ne pourra parler d'un troisième référendum, lorsque les Québécois seront conviés à se prononcer une autre fois sur leur avenir. L'astuce n'est pas mauvaise d'essayer d'atténuer l'inquiétante réalité qui accompagne le prochain plébiscite, mais personne au Québec ne sera dupe : il est plus que probable que les sondages à venir dévoilent les mêmes résultats que les précédents : soit le peu d'enthousiasme général à l'idée d'affronter Ottawa dans une ultime joute inégale.
L'amertume que cette perception collective dégage contamine le projet souverainiste en lui-même. L'appui majoritaire qu'il recueillait avant les élections fédérales semble maintenant se maintenir difficilement au-dessus de 50%. L'absence d'audace du Bloc québécois durant la campagne fédérale a ramené la morosité au sein des troupes souverainistes.
L'espoir de quitter certaines ornières dogmatiques a disparu durant cette élection, expliquant le soutien décevant qu'enregistrent maintenant l'option souverainiste et le Parti québécois, alors que le gouvernement libéral agonise. Le dernier sondage à ce sujet révèle en effet que le PQ voit le nombre de ses supporteurs diminuer au profit de Québec solidaire et du Parti vert. Certains artistes québécois bien en vue ont déploré publiquement l'inertie des ténors souverainistes. Ainsi, l'écrivain [Michel Tremblay et le dramaturge Robert Lepage->867] se désolent de ne plus voir la lumière au bout du tunnel.
André Boisclair a raison de penser que la donne politique a changé depuis 1995. Tenter de construire une nouvelle stratégie à partir de ce triste événement afin de bien s'ajuster à la nouvelle réalité est une bonne réaction. On ne peut fermer les yeux sur ce qui est survenu et persévérer dans la même procédure.
Gilles Duceppe, chef du Bloc québécois qui accompagnait son homologue péquiste samedi dernier au Club Soda, a donc tort d'affirmer « que le passé; c'est le passé. » En refusant de réfléchir sur le déroulement du deuxième référendum tout en réitérant machinalement que c'est par plébiscite que les gens devront trancher sur l'avenir du Québec, le dirigeant bloquiste s'éloigne de la population qu'il dit représenter.
Visiblement, les Québécois ont préféré analyser la situation et semblent en avoir tiré une conclusion différente de Gilles Duceppe. André Boisclair paraît s'en être aperçu, mais renonce pour l'instant de poser les gestes qui s'imposent. Pour l'heure, ce dernier cherche donc à camoufler l'effet délétère que comporte un troisième référendum sur la souveraineté en parlant de reprendre l'exercice de 1995.
Le chef du Parti québécois ne pourra pas longtemps ignorer qu'il perd son temps en persévérant dans le même mode d'accession à l'indépendance. Son « nouveau discours » ne ralliera pas la population qui redoute trop les magouilles d'Ottawa. Le faible taux de participation observé à l'élection partielle de Sainte-Marie-Saint-Jacques, soit environ 33%, devrait l'inquiéter. L'obsession référendaire d'André Boisclair lui vaudra une victoire électorale mitigée en 2007. Ce qui le plongera dans une situation encore plus difficile : certains militants péquistes accentueront illico la pression pour qu'il tienne rapidement un référendum, alors que la société civile exprimera encore des réserves.
Il est plutôt préférable de travailler à ranimer le sentiment d'effervescence qui envoûtait les Québécois lors du dernier scrutin fédéral. C'est la déclaration de Gilles Duceppe, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, qui avait tout déclenché. Son vœu d'obtenir l'appui de la majorité absolue des électeurs avait ramené à l'avant-scène le mythique 50%+1. Effarouché d'avoir suscité de fortes attentes chez les souverainistes, le chef du Bloc québécois avait par la suite pitoyablement retraité... Il fut tout de même possible, l'espace d'un instant, de vérifier une fois de plus que l'atteinte de ce pourcentage fait l'objet d'un puissant consensus au Québec : il représente l'expression suprême de la démocratie qui confère au parti politique qui le réclame un mandat clair de réaliser ce pourquoi il a été élu. Or, il est possible d'obtenir ce résultat par voie élective. Le nouveau parti politique de gauche pourrait adopter ce mécanisme d'accession à la souveraineté et inviter toutes autres formations à l'appuyer dans sa démarche, en additionnant leurs voix avec les siennes.
Depuis sa fondation, Québec solidaire cherche à démontrer qu'il est différent du Parti québécois. En optant pour une stratégie indépendantiste plus souple qui laisserait entre les mains des Québécois la liberté de trancher à l'élection de leur choix, à la majorité des votes exprimés, QS séduirait beaucoup de souverainistes. Ils sont nombreux à espérer depuis longtemps voir cette riposte légitime apparaître, en réponse aux bassesses que le gouvernement fédéral a commises en 1995.
Voilà les enseignements qu'il faut tirer de ce sombre épisode. Plutôt que de « reprendre le second référendum » qui risquerait d'aboutir en cul-de-sac politique permanent - ce qu'un troisième plébiscite peut produire également - l'État-major du Parti québécois a intérêt à envisager d'obtenir 50% + 1 autrement, avant que d'autres y pensent avant lui...
Patrice Boileau
_ Carignan, le 11 avril 2006


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