Répartir les richesses

Tribune libre

Depuis quelques années, nos sociétés sont agitées par des perturbations économiques, sociales et politiques qui vont en s’accentuant. On parle constamment de chômage, dettes publiques, faillites d’entreprises et conflits sociaux. En même temps, certaines entreprises et groupes sociaux très minoritaires accumulent des fortunes colossales. Tous les indicateurs économiques démontrent que nos sociétés sont globalement beaucoup plus riches que les précédentes. Comment expliquer ces contradictions? Quelles solutions peut-on imaginer?
Dans nos systèmes économiques actuels, deux principes fondamentaux permettent aux entreprises de survivre et prospérer. Le premier est que les entreprises ont un besoin essentiel de clients disposant de revenu, pour payer les biens et les services qu’elles produisent.
Le deuxième est que pour disposer de revenus, les individus doivent effectuer un travail rémunérateur, liant ainsi travail et revenu. C’est au nom de ces principes, que les décideurs économiques et politiques réclament du travail ou des emplois, pour créer et maintenir la prospérité économique.
Mais un phénomène nouveau bouleverse tout le système. Ce phénomène est la mécanisation croissante du travail nécessaire pour produire les biens et les services. Tous les domaines sont affectés. Rien n’est épargné. Les secteurs aujourd’hui à l’abri peuvent être demain complètement envahis. En remplaçant le travail effectué par les individus, la mécanisation a pour conséquence une réduction du travail disponible, privant ainsi les individus de leurs revenus.
Actuellement, la mécanisation ne profite qu’à une minorité et n’a pas pour effet de créer les nombreux clients si essentiels au fonctionnement des entreprises. Que fera-t-on quand la majorité du travail sera mécanisé? Comment les entreprises pourront-elles survivre sans client?
En mécanisant leurs activités, ne sont-elles pas en train de scier la branche sur laquelle elles sont assises? Le problème est en partie moral et culturel. On tient absolument à relier travail et revenu. Comment pourra-t-on se sortir de cette voie absurde et sans issue?
On doit d’abord admettre que les entreprises ont un besoin essentiel de clients et que les individus doivent disposer de revenu pour devenir ces clients. La mécanisation, ayant pour effet de réduire progressivement le travail disponible, la création d’emplois, ne peut être une solution pour procurer des revenus aux individus. On pourrait penser arrêter le mouvement de mécanisation, mais elle permet à l’homme de s’affranchir du travail rémunéré, un esclavage séculaire, et elle est indispensable aux entreprises qui veulent demeurer concurrentielles.
La solution serait plutôt de répartir la richesse produite par la mécanisation permettant ainsi aux individus de disposer des revenus nécessaires pour devenir des clients. Les économistes et les dirigeants d’entreprises devront relever le défi de déterminer et d’appliquer les modifications fondamentales au système économique ayant pour effet de répartir cette richesse. De plus, ils devront opérer un changement moral et culturel radical pour ne plus relier travail et revenu. « Créer des clients » devra être le slogan des décennies à venir. Il n’est pas question ici de mesures sociales ou humanitaires, mais de mesures économiques essentielles à la survie et à la prospérité des entreprises. Seulement à ces conditions, nous pourrons espérer se sortir du marasme actuel et envisager l’avenir avec optimiste.
Simon Garneau
Québec
Note de l’auteur :
J’ai publié cet article dans le quotidien Le Soleil de Québec le 18 juillet 1996 et il peut être publié à nouveau sans y changer un seul mot. Malheureusement, la situation n’a pas changé depuis 15 ans et s’est même aggravée. J’espère seulement que dans 15 ans cet article ne sera plus d’actualité.


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2 commentaires

  • Simon Garneau Répondre

    28 janvier 2012

    Économistes et dirigeant d’entreprise
    Vous avez raison Didier, mais contrairement à il y a 15 ans, des économistes importants prônent une politique économique différente. Aux États-Unis il y a les prix Nobel Joseph Stiglitz et Paul Krugman, en Europe il y a Paul Jorion, Frédéric Lordon et bien d’autre. Leurs voix se font de plus en plus entendre. J’espère qu’ils pourront influencer les décideurs pour un changement radical de direction avant qu’une catastrophe ne se produise, sans quoi tout peut arriver, comme dans les années 30 et 40.

  • Archives de Vigile Répondre

    27 janvier 2012

    "Les économistes et les dirigeants d’entreprises devront relever le défi de déterminer et d’appliquer les modifications fondamentales au système économique ayant pour effet de répartir cette richesse"
    Justement monsieur Garneau, il ne faut pas laisser la société être dirigée par ces seuls économistes et dirigeants d'entreprise (surtout pas par ces seuls économistes et dirigeants d'entreprise). Il y a d'autres personnes qui ont des bonnes idées pour répartir la richesse.
    Le regretté syndicaliste Michel Chartrand était un de ceux-là. Il militait pour un revenu de citoyenneté universel afin que tous puissent vivre décemment au Québec.