Que dirait-on si, après avoir fait fortune dans le commerce des soins de santé, Philippe Couillard effectuait un retour au conseil des ministres? À en juger par le tollé soulevé par son récent plaidoyer en faveur d'une plus grande ouverture au privé dans la livraison des services de santé, on crierait au scandale.
Dans l'hypothèse - qui n'est pas si farfelue, quoi qu'il en dise - où la politique finirait par manquer à M. Couillard, jamais le premier ministre ne prendrait le risque politique de lui offrir une limousine, direz-vous. À défaut de valoriser la vertu, il faudrait au moins s'abstenir de récompenser le vice.
C'est pourtant ce que Jean Charest s'apprêterait à faire aujourd'hui même en réintégrant dans son cabinet l'ancien ministre des Ressources naturelles, Pierre Corbeil, qui avait été battu dans le comté d'Abitibi-Est aux élections du 26 mars 2007 mais qui l'a reprise au PQ le 8 décembre dernier.
Selon certains, M. Corbeil pourrait même retrouver son ancien ministère, dans la mesure où l'état de santé de son successeur, Claude Béchard, pourrait inciter M. Charest à lui confier des responsabilités moins lourdes.
Avant son entrée en politique, le futur ministre pratiquait la noble profession de dentiste. Après sa défaite en 2007, il a cependant jugé plus intéressant de se recycler dans l'industrie minière, dont il connaissait maintenant toutes les arcanes.
Un collègue du Soleil avait découvert l'an dernier qu'à peine trois mois après avoir quitté ses fonctions ministérielles, il agissait déjà comme conseiller auprès du président de Canadian Royalties, une entreprise engagée dans un des plus importants projets miniers au Québec, à Raglan Sud, dans le Nunavik, en plus de siéger au conseil d'administration de Golden Valley Mines.
Un représentant de la société Makivik, qui représentait les Inuits dans les négociations avec Canadian Royalties, avait confié au Soleil le malaise que causait la présence de M. Corbeil: «Je ne vous cacherai pas que ça nous met un peu mal à l'aise. C'est étonnant. Il n'était pas ministre de la Culture, il était exactement dans ce portefeuille-là.»
Les deux partis d'opposition à l'Assemblée nationale avaient dénoncé à l'unisson cette violation du code d'éthique édicté en 2003 par le bureau du premier ministre, qui imposait un purgatoire de deux ans aux membres du gouvernement avant d'accepter une nomination au conseil d'administration ou à une fonction au sein d'une entreprise avec laquelle ils avaient eu des rapports dans l'exercice de leurs fonctions.
Bien entendu, M. Corbeil ne pouvait pas nier être au courant que son nouvel employeur avait un projet d'un demi-milliard dans le Nunavik, mais il avait expliqué que c'était simplement «parce qu'on en faisait état sur la place publique».
Il avait fait une interprétation assez fantaisiste de la directive de M. Charest: «La teneur de cette directive est pour éviter que quelqu'un se prépare une piste d'atterrissage à la fin de sa vie publique, ce qui n'est pas mon cas parce que j'avais sollicité un renouvellement de mandat.» Autrement dit, puisque son départ avait été involontaire, il ne se sentait pas lié par cette directive.
Il est vrai qu'il semble avoir un sens de l'éthique assez particulier. À l'époque où il était ministre, il n'avait rien trouvé de répréhensible au fait d'intervenir en faveur d'une avionnerie de Val-d'Or dont il était actionnaire avant son entrée en politique.
Bien que le président de Canadian Royalties ait reconnu avoir retenu ses services parce qu'il avait «beaucoup de connaissances, de contacts», M. Corbeil s'était bien défendu d'avoir contrevenu aux dispositions de la Loi sur le lobbyisme, qui interdit à un ex-ministre de faire des représentations auprès de titulaires de charges publiques pendant deux ans. Dans le cas de Guy Chevrette, trois années s'étaient écoulées entre le moment où il avait quitté le gouvernement Landry et sa nomination à la présidence du Conseil de l'industrie forestière.
Après sa reconversion dans l'industrie minière, M. Corbeil avait été surpris à voyager - aux frais des contribuables - dans un avion gouvernemental en compagnie de quelques-uns de ses anciens collègues, qui se rendaient à un sommet sur le développement des communautés inuites à Kuujjuaq. Le ministre responsable du nord du Québec à l'époque, Benoît Pelletier, avait expliqué qu'il avait tenu à ce qu'il soit présent «pour permettre un meilleur suivi des dossiers».
Avant d'accepter un poste au sein d'une compagnie minière, M. Corbeil avait consulté le commissaire au lobbyisme afin de préciser sa marge de manoeuvre. Dans une lettre dont M. Pelletier avait fait état à l'Assemblée nationale, le commissaire avait expliqué prudemment que le simple fait d'accepter un poste de conseiller ou d'administrateur «ne donne pas en soi ouverture à l'application de la loi».
Le code d'éthique auquel les membres du gouvernement doivent se soumettre n'a cependant pas force de loi. Tant qu'un ministre est en fonction, la crainte de perdre sa limousine constitue un incitatif suffisant. Une fois qu'il a quitté la politique, il n'existe aucun moyen de le forcer à respecter une directive, si son sens de l'éthique ne le lui commande pas.
Ne pas être en mesure de sanctionner le vice est une chose, le récompenser en est une autre. La Ligue des contribuables du Québec a calculé que M. Corbeil a eu droit à une allocation de transition de 92 676 $ après sa défaite en 2007. On a le droit de penser que c'est trop peu, compte tenu des difficultés que rencontrent souvent les politiciens pour se reconvertir à la vie civile, mais les règles du jeu sont connues au départ.
En passant l'éponge sur le comportement de M. Corbeil, pire, en le récompensant par un ministère, peu importe lequel, M. Charest enverrait un très mauvais message à tous ceux qui pourraient avoir tendance à confondre leur intérêt personnel et celui de la population.
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