Quel débat?

FRANCE - débat sur l'identité nationale



Mardi à l'Assemblée nationale française, les députés devaient apporter leur petite pierre à ce que le ministre de l'Immigration, Éric Besson, a appelé «le grand débat sur l'identité nationale». Une vingtaine d'intervenants sont donc montés à la tribune. Tous ont rivalisé de grandiloquence, invoquant qui Fernand Braudel, qui Victor Hugo, qui Ernest Renan, sans oublier Camus, Michelet et Aimé Césaire. Tout cela pour se retrouver au bout de trois heures devant un hémicycle où il ne restait plus que 12 élus. Même les 320 députés de la majorité présidentielle avaient semble-t-il quelque chose de plus urgent à faire.
Il faut se rendre à l'évidence, le prétendu «débat» sur l'identité nationale qui a été lancé il y a un mois à grand renfort de déclarations ministérielles a toutes les allures d'un bateau qui prend l'eau. C'est un peu comme si l'on demandait soudainement aux députés québécois de débattre de l'air du temps ou de la dernière tempête de neige. Discutons, discutons, il en sortira toujours quelque chose, semble dire le ministre. Outre qu'on ne saurait débattre ainsi dans les airs à partir de tout et de rien sans le moindre objectif législatif, ce «débat» consiste essentiellement en l'organisation de rencontres bidon dans chaque département. On n'a rien trouvé de mieux en effet que de demander aux préfets, ces hauts fonctionnaires généralement compétents et effacés, d'animer ces rencontres. Au lieu de créer une commission avec un mandat précis et de tenir des audiences publiques, le ministre semble avoir préféré la démocratie directe. Comme s'il fallait faire vite à trois mois des élections régionales.
Pour donner un vernis moderne à l'affaire, on a lancé un site Internet qui est devenu un gigantesque défouloir. Plus de 40 000 courriels ont été reçus, des courriels anonymes que personne n'aura le temps de lire en entier, sauf les dizaines de censeurs qui ont dû être engagés pour supprimer les propos xénophobes, racistes ou offensants. Des internautes y réclament par exemple le retour à une citoyenneté fondée sur le seul «droit du sang», pourtant disparue en France vers... 1515! Ces dérapages ne touchent pas seulement Internet. Le maire UMP de Gussainville, une municipalité de 19 habitants, estime «qu'on va se faire bouffer. Y en a déjà 10 millions, 10 millions que l'on paye à rien foutre».
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Après un automne marqué par les controverses autour de Frédéric Mitterrand et de Jean Sarkozy, et faisant craindre une résurgence du Front national, ce débat a tout d'une opération de communication. La manoeuvre s'est transformée en exutoire de tous les malaises de l'immigration depuis que les Suisses ont voté l'interdiction des minarets. Même des élus de droite qu'on ne peut soupçonner de manquer de patriotisme, comme les anciens premiers ministres Alain Juppé, Dominique de Villepin et Jean-Pierre Raffarin, ont tenu à s'en dissocier. Il s'agit d'un débat «piégé, absurde et autoritaire», estime Dominique de Villepin, pourtant grand admirateur de Napoléon. «La question de l'identité, ça ne peut pas être une réflexion de comptoirs», a déclaré Jean-Pierre Raffarin. «La vérité est que nous sommes dans une campagne électorale permanente», dit le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan.
Cette semaine, Nicolas Sarkozy a bien tenté de recadrer un peu la discussion en publiant une tribune dans le quotidien Le Monde. Ce texte, qui n'est pas sans qualité, a le défaut de n'identifier les immigrants qu'à leur seule religion alors qu'à peine 23 % des résidants français issus d'une famille musulmane fréquentent la mosquée. Il faut dire que Nicolas Sarkozy n'est jamais en mal de déclarations grandiloquentes à ce sujet. Les discours que lui rédige son conseiller Henri Guaino, un proche de Philippe Séguin, sont généralement assez justes et ne manquent pas de nuances. Mais le président semble avoir oublié que la nation est ce «plébiscite de chaque jour» dont parlait Renan. C'est en effet dans l'action quotidienne que le bât blesse souvent. Par exemple, lorsque le président français fait du jogging à New York en portant un t-shirt NYPD. Ou qu'il ne s'inquiète pas de la progression de l'anglais malgré les mises en garde de la Francophonie. Ou qu'il supprime le cours d'histoire obligatoire des étudiants en sciences dans la dernière année du lycée.
En réalité, il y a longtemps que la France débat de son identité nationale. Elle en a débattu en profondeur et sans fausse pudeur au moment du référendum sur la Constitution européenne, lors de l'interdiction du voile à l'école, après les émeutes des banlieues, au moment du retour du pays dans l'OTAN et même dans le cadre de la mission d'information en cours sur la burqa. Tous ces débats ont été menés de manière fort civilisée et ils ont permis de rappeler que la France rejetait le multiculturalisme au profit d'une identité nationale forte que les immigrants sont invités à partager. Ces débats sont même un exemple pour certains pays où la rectitude politique empêche souvent d'aborder franchement ces questions. Quel besoin y avait-il de lancer un vaste «débat» sans queue ni tête?
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crioux@ledevoir.com


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